L’automatisation, portée par l’intelligence artificielle (IA), transforme radicalement le marché du travail, et ce sont les femmes qui risquent d’en payer le prix fort. Selon Gilbert Houngbo, directeur de l’Organisation internationale du travail (OIT), les professions les plus exposées à cette vague de transformation numérique sont celles où les femmes sont majoritaires. La digitalisation rapide et l’essor de l’IA générative, capable de rédiger des textes, de créer des images et d’automatiser des tâches administratives, menacent particulièrement les métiers du service client, du secrétariat, de la rédaction ou encore de la comptabilité.

Loin d’être une simple évolution technologique, cette transition pourrait accentuer les inégalités de genre sur le marché de l’emploi. La disparition progressive de ces postes met en lumière une réalité inquiétante : les travailleuses se retrouvent souvent en première ligne face aux suppressions d’emplois liées à l’IA, sans filet de sécurité suffisant.

Un paradoxe se dessine cependant : malgré ces suppressions massives, l’intelligence artificielle ne se contente pas d’éliminer des emplois, elle en génère aussi. Toutefois, ces nouveaux postes sont souvent précaires, mal rémunérés et ne garantissent pas les mêmes avantages sociaux que ceux qu’ils remplacent. De nombreux travailleurs et travailleuses se retrouvent ainsi dans des situations instables, contraints d’accepter des missions temporaires ou du travail à la tâche, sans assurance d’un revenu fixe.

Dans ce contexte, la question n’est pas tant de savoir si l’IA va remplacer les travailleurs, mais plutôt si les États et les entreprises mettront en place des politiques adaptées pour accompagner cette transition. L’urgence est réelle : sans préparation adéquate, l’IA pourrait creuser encore davantage les écarts entre les catégories socioprofessionnelles et aggraver la précarisation de l’emploi féminin.

Pour éviter que cette révolution technologique ne se fasse au détriment des travailleuses, plusieurs pistes doivent être explorées. La première est la mise en place de formations continues pour aider les employés à acquérir de nouvelles compétences et s’adapter aux évolutions du marché. Comme l’affirme Gilbert Houngbo, « ce n’est pas l’intelligence artificielle qui nous prendra notre emploi, mais notre incapacité à nous adapter aux nouvelles exigences du marché ».

Parallèlement, il est essentiel de repenser la protection sociale pour inclure ces nouvelles formes d’emploi. La montée en puissance des contrats précaires et du travail indépendant nécessite une adaptation des systèmes de sécurité sociale, afin que les travailleurs et travailleuses puissent bénéficier de droits et de garanties même en dehors des schémas d’emploi traditionnels.

Enfin, les entreprises doivent être responsabilisées dans cette transition. Des régulations et des incitations économiques pourraient être mises en place pour encourager des pratiques d’embauche plus inclusives et limiter les licenciements massifs au profit de l’automatisation. Christy Hoffman, secrétaire générale de la fédération syndicale UNI Global Union, met en garde : « Sans un soutien structuré aux employés affectés, l’IA aggravera les inégalités sociales ».

Alors que l’intelligence artificielle redéfinit déjà le monde du travail, une interrogation demeure : allons-nous laisser cette mutation creuser les inégalités, ou saisirons-nous l’opportunité de construire un marché de l’emploi plus inclusif et équitable ?

Le marché du travail féminin au Maroc est dans une situation préoccupante. Le taux d’activité des femmes a connu une baisse constante au fil des décennies, passant de 28,1 % en 2000 à seulement 19 % en 2023, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP).

Cette tendance s’explique par des facteurs sociaux, économiques et structurels, notamment la répartition inégale des responsabilités familiales, la difficulté d’accès aux postes qualifiés et la persistance de discriminations sur le marché de l’emploi.

Mais à cette dynamique déjà négative s’ajoute désormais un défi encore plus insidieux : l’intelligence artificielle (IA).

À moyen terme, le marché du travail féminin au Maroc risque de subir une double peine : d’une part, la disparition progressive des emplois traditionnellement occupés par les femmes, et d’autre part, l’absence de mesures suffisantes pour les intégrer dans les secteurs porteurs de demain.

Si rien n’est fait, le taux d’activité féminine pourrait continuer à baisser, renforçant ainsi la dépendance économique des femmes et creusant encore plus les inégalités sociales. Le Maroc ne peut se permettre de se priver du potentiel de la moitié de sa population active, d’autant plus que le développement du pays passe par une meilleure inclusion des femmes sur le marché du travail.

L’intelligence artificielle ne condamne pas nécessairement les femmes à l’exclusion du marché du travail. Mais sans anticipation et adaptation, les écarts entre les hommes et les femmes risquent de s’accentuer.

Le Maroc est à un tournant décisif : soit il prend des mesures fortes pour garantir une transition équitable, soit il laisse l’automatisation creuser encore plus les inégalités. Le défi est immense, mais il peut aussi être une opportunité : celle de réinventer un marché du travail plus inclusif et plus équilibré.