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À chacun son bilan : l’ombre d’un bilan du gouvernement


Rédigé par La rédaction le Mercredi 24 Septembre 2025

Le 23 septembre 2025, Bank Al-Maghrib a tenu son troisième conseil trimestriel de l’année. Comme à chaque rendez-vous, la Banque centrale a livré une lecture fouillée de la conjoncture internationale, de l’évolution interne et des projections macroéconomiques à moyen terme

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. Derrière les chiffres et les équations monétaires se dessine un récit plus large : celui d’une économie marocaine en mouvement, parfois contrainte, parfois ambitieuse, souvent prise dans les turbulences mondiales. Mais à l’approche d’échéances politiques décisives, cette lecture économique prend une autre résonance : n’est-elle pas, en creux, un miroir du bilan gouvernemental ? Entre ombres et lumières, chacun peut y voir confirmation ou contradiction de la politique menée depuis trois ans et demi.



Les fragilités derrière la façade

À chacun son bilan : l’ombre d’un bilan du gouvernement
Une reprise d’emplois en panne

Si Bank Al-Maghrib salue une amélioration de l’activité non agricole et un rebond de l’emploi à partir de fin 2024, elle pointe en même temps un net affaiblissement des créations d’emplois au deuxième trimestre 2025, particulièrement dans les services

Cet indicateur est lourd de sens : il traduit le caractère instable de la reprise et révèle une incapacité du tissu économique à absorber durablement la demande de travail, malgré les grands chantiers annoncés. La promesse gouvernementale de relancer l’emploi des jeunes et de sécuriser les parcours professionnels semble ici buter sur une réalité tenace.

Le spectre du climat et du stress hydrique

Bank Al-Maghrib insiste : les perspectives restent suspendues aux conditions climatiques et à la disponibilité de l’eau

C’est l’aveu implicite d’une vulnérabilité structurelle, toujours pas résolue malgré les plans et les budgets consacrés à la souveraineté hydrique. En plaçant l’agriculture au cœur de la croissance (+5% attendus en 2025), le Maroc joue un pari risqué : un printemps sec ou une pluviométrie capricieuse peuvent inverser la trajectoire et mettre à nu le manque de diversification.

Une croissance externe fragile

Les projections d’exportations sont ambitieuses : +6,2% en 2025 et +9,4% en 2026

Mais derrière ce dynamisme se cache une dépendance persistante à deux locomotives : les phosphates et l’automobile. Le premier souffre de la volatilité des cours mondiaux, le second reste tributaire de la demande européenne et des choix stratégiques de constructeurs étrangers. Dans un contexte où les tensions commerciales sino-américaines ou les restrictions à l’exportation chinoises affectent déjà les marchés, cette dépendance fragilise la promesse d’une souveraineté économique.

Inflation basse, mais croissance inégalitaire

La Banque centrale se félicite d’une inflation contenue autour de 1%

Mais cette stabilité, résultat en partie d’un recul des prix de l’énergie, masque une autre réalité : la vie chère continue de ronger le pouvoir d’achat, en particulier dans les villes moyennes. Les dépenses contraintes (alimentation, logement, transport) pèsent disproportionnellement sur les ménages modestes. Un taux bas d’inflation n’équivaut pas à un quotidien plus abordable. C’est là une dissonance entre macroéconomie et vécu citoyen, dont l’opposition politique ne manquera pas de se saisir.

Finances publiques sous tension

L’amélioration de 14,5% des recettes ordinaires cache une autre dynamique : l’alourdissement simultané des dépenses (+12,6%)

Le déficit budgétaire reste élevé (3,9% du PIB en 2025), et son atténuation projetée à 3,4% en 2026 dépend d’hypothèses fragiles, notamment sur la croissance et les recettes fiscales. Dans ce contexte, le gouvernement peine à convaincre de sa capacité à rompre avec la spirale du déficit chronique, qui obère les marges de manœuvre sociales et freine l’investissement dans les secteurs prioritaires (éducation, santé, innovation).

​Les acquis et la cohérence des choix : Une résilience internationale maîtrisée

Dans un monde marqué par les incertitudes géopolitiques, la Banque centrale souligne que l’économie marocaine se maintient sur une trajectoire de croissance de 4,6% en 2025 et 4,4% en 2026

Ces chiffres sont significatifs, surtout en comparaison avec les ralentissements prononcés des économies avancées. Cette résilience témoigne de choix stratégiques payants : diversification des partenaires commerciaux, consolidation des réserves de change (418 milliards DH fin 2025), et performance continue des recettes de voyages et des transferts des MRE.

Stabilité monétaire et crédibilité institutionnelle

Le maintien du taux directeur à 2,25% n’est pas une décision de statu quo, mais un signal de confiance

En choisissant de ne pas céder à la tentation d’un assouplissement excessif, Bank Al-Maghrib préserve la stabilité financière, rassure les marchés et consolide la crédibilité du dirham. La transmission graduelle de la baisse des taux bancaires (–59 points de base) vers les entreprises, notamment les TPE, illustre une volonté d’accompagner l’économie réelle sans compromettre l’équilibre macro-financier.

Des secteurs non agricoles en dynamique

La croissance attendue de 4,5% dans les secteurs non agricoles confirme que l’investissement massif dans les infrastructures et l’industrie commence à porter ses fruits. L’automobile, malgré un creux en 2025, devrait rebondir de 20% en 2026. L’essor des services modernes (télécoms, digital, tourisme) et l’attractivité confirmée pour les IDE (3,5% du PIB en 2026) placent le Maroc sur une trajectoire d’intégration renforcée aux chaînes de valeur mondiales.

Une politique budgétaire encore soutenable

Si le déficit budgétaire reste au-dessus de 3%, il demeure contenu en comparaison des standards régionaux et internationaux. Les marges fiscales générées par la hausse des recettes donnent un peu d’oxygène pour financer les grands chantiers sociaux et infrastructurels. La Banque centrale estime que la trajectoire reste soutenable et compatible avec le maintien des réserves et de l’équilibre externe

Une vision de moyen terme affirmée

Enfin, la démarche de Bank Al-Maghrib se veut tournée vers le futur. En mettant en avant la Programmation budgétaire triennale 2026-2028, en liant les perspectives agricoles au défi hydrique, et en annonçant une rencontre avec le Groupe OCP pour affiner l’analyse sectorielle, la Banque démontre une volonté d’ouverture et d’anticipation. Cette posture contraste avec la logique du court terme électoral et apporte une touche de sérieux dans la gestion des attentes.

La lecture de Bank Al-Maghrib révèle une économie marocaine qui avance sur deux jambes : l’une solide, appuyée sur la résilience monétaire, la stabilité externe et la croissance de secteurs moteurs ; l’autre fragile, exposée au climat, à la précarité de l’emploi et à des déséquilibres sociaux persistants.

À chacun, désormais, d’y lire son propre bilan. Pour les partisans du gouvernement, ces chiffres confirment la pertinence des réformes engagées et l’ancrage du pays dans une trajectoire de croissance maîtrisée. Pour ses détracteurs, ils sont la preuve d’un modèle encore trop dépendant, trop inégalitaire et vulnérable aux aléas extérieurs.

Entre l’ombre et la lumière, Bank Al-Maghrib tend un miroir. Aux responsables politiques de décider s’ils veulent y voir un reflet flatteur… ou un avertissement silencieux.




Mercredi 24 Septembre 2025