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Algérie - Maroc : aventures et mésaventures de l’islam politique

Par Kamal LAKHDAR


L’histoire récente de l’Algérie, comme celle du Maroc, a connu l’émergence d’une mouvance islamique importante, qui a fortement marqué le corps social dans son ensemble.
Mais les trajectoires de cette mouvance dans les deux pays voisins ont été totalement différentes, voire antinomiques.



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En Algérie

Algérie - Maroc : aventures et mésaventures de l’islam politique
Tout a commencé en 1979, quand Chadli Bendjedid a succédé à Houari Boumediene, dont les 13 ans de dictature tyrannique calquée sur le soviétisme stalinien avait harassé et désabusé un peuple fraîchement décolonisé et aspirant à un surcroît  de liberté et de démocratie.

Croyant bien faire, le nouveau Président promulgua  une nouvelle constitution instaurant le multipartisme et accordant plus de droits civiques aux citoyens…. mais il n’adopta en parallèle aucune mesure d’ordre social pour améliorer la vie quotidienne des Algériens, spectateurs impuissants des pratiques indécentes et décomplexées d’une nomenklatura fondée sur le népotisme, la corruption et la prédation.

C’est dans ce contexte que des personnalités religieuse sponsorisées par les Wahabites et  les Frères Musulmans s’engouffrèrent dans la brèche et créèrent officiellement en 1989 le Front Islamique du Salut (FIS), un parti politique islamiste en gestation depuis 1982 et qui eut beau jeu de surfer sur le mécotentement populaire en promettant une moralisation de la vie publique, sachant que nulle morale ne saurait dépasser celle prônée par les préceptes islamiques originels…

Et ce fut le ras de marée électoral: les Islamistes remportent les deux tiers des conseils municipaux lors des élections locales de 1990, puis vinrent les élections législatives de 1991 qui confirmèrent la déferlante islamiste dès le 1er tour avec plus de 47% des voix, et une avance abyssale sur le parti du pouvoir (FLN) avec, comme perspective inéluctable, une domination haut la main du Parlement et la main mise sur le pouvoir politique dans son ensemble…

Panique à bord chez les hauts gradés de l’Etat Major : qui décident de tout effacer: annuler les élections et renvoyer le  Chef de l’Etat. Sitôt dit, sitôt fait: pas de 2e tour des élections et S.E M. Chadli Bendjedid en résidence surveillée…

Erreur fatale, et comme d’habitude, c’est le peuple qui trinque: les Islamistes prennent le maquis et créent des brigades armées ( le GIA) qui déclenchent une véritable guerre civile, une terrible boucherie au bout de laquelle on dénombre près de 200.000 morts, et la disparition du FIS.

Après cette “décennie noire”, les militaires font appel en 1999 à Abdelaziz Bouteflika, un acteur de la première heure du Bouteflikisme mais ne possédant aucun galon militaire.

Et c’est ainsi que prit fin la longue et sanglante intrusion de l’Islamisme politique dans l’histoire de l’Algérie du 20e siècle…. et c’est ainsi, aussi que le pouvoir militaire, imbu de lui-même, s’est persuadé de son invincibilité et de son “indébounabilité”...

Actuellement, le régime algérien continue de combattre les terrorismes, mais ce qualificatif infamant de  “terroristes” est dorénavant accolé à des journalistes trop critiques à l’égard des politiques de l’Etat , à des militants régionalistes trop fiers de leurs spécificités ou encore à des associations de la société civile réclamant plus de liberté, de moralité et de justice…sans oublier, a-contrario,  la classification du groupe mercenaire armé Polisario, totalement orienté par délégation, vers l’agression terroriste contre le Maroc en tant que champion toutes catégories de la lutte pour l’instauration d’un ordre régional, continental et mondial plus juste et plus humain… rien de moins…;;; Simple question de lexique…
 
 

Au Maroc,

Il est permis d’affirmer que depuis l’instauration des Idrissides au VIIIe siècle, les différentes dynasties qui se sont succédées au Maroc ont eu, et ont encore, un adossement marqué du pouvoir politique à la religion.(Emirat des Croyants), Allégeance, sans oublier le Chérifisme alaouite et sa bienveillante générosité envers les confréreries maraboutiques et les organisations religieuses oeuvrant pour la promotion d’un Islam modéré et pacifiste, aux plans national, africain et au delà.

Pour en revenir à l’Islam politique au sens strict et étriqué, mais aussi péjoratif imposé ici et maintenant par un Occident laïc et fier de l’ëtre, (c’est son affaire), mais que nous adoptons à notre corps défendant  pour les nécessités de la démonstration, le repère le plus commode serait la fondation, en 1964, de l’association al-daawa wa attabligh qui, militant à ses débuts pour une moralisation des relations sociales fondée sur les préceptes de la charia, a bifurqué vers une critique plus ou moins feutrée de l’institution royale en tant qu’elle ne serait qu’un intercesseur entre Dieu et la Oumma,sans aucun pouvoir ni droit divin…

Petit à petit, les confréries réfractaires et les Ulémas engagés investissent le champ politique, qu’il s’agisse de la question palestinienne ou de l’invasion de l’Irak, et se positionnent en porte à faux par rapport aux choix stratégiques de l’Etat marocain, se démarquant ainsi aussi bien du salafisme wahhabiste saoudien que du salafisme réformiste feutré de Allal El Fassi

Puis vint, en 1969, la Chabiba Islamya, organisation sulfureuse , clandestine, violente, anti système et surtout anti gauchisme, particulièrement sur les campus estudiantins, le haut fait de ses hommes de main étant l’assassinat crapuleux du chef de presse  socialiste Omar Benjelloun en 1975;

A partir de là, toutes les suppositions deviennent possibles : depuis un an, nous avions un Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, dénommé Driss Basri, ancien flic de base  qui se retrouve,  comme par miracle, docteur en droit et professeur d’Université…

Ce politicien visionnaire croyait, dur comme fer, qu’un peuple ignare est plus malléable qu’un peuple instruit, et   tâchait de se conformer avec application à cette théorie sociologique imbécile dans sa sphère d’influence… mais je m’égare…

En réalité, M. Basri détestait plus que tout les “Nationalistes de Souche”, à savoir les Istiqlaliens bons musulmans et les Socialistes mécréants, tous deux représentant, à ses yeux atteints de myopie politique,   des menaces réelles pour le régime monarchique dont il ambitionnait de devenir le bras protecteur, rien de moins….

Adoubé par le pouvoir comme responsable de la sécurité nationale et de la paix sociale, il pense faire d’une pierre deux coups en sponsorisant une créature capable de contrer en même temps les “conservateurs” de l’Istiqlal et les “progressistes” de l’UNFP, sans oublier Al Adl Wal Ihsan, cette organisation islamique issue en 1973 du maraboutisme  soufique mais politiquement incorrecte, et dont le Cheikh, Abdallah Yassine, un haut fonctionnaire dans le domaine de la pédagogie, par ailleurs érudit et polyglote, s’est vu, un temps, dans la peau du “Guide Suprême” d’une “République Islamique du Maroc”, à l’instar de son illustre modèle, l’iranien Khomeini        

Il se fit un devoir d’ informer Hassan II de tout celà,  dans une lettre de plus de cent pages intitulée “L’Islam ou le Déluge”...Le destinataire ordonna que l’expéditeur soit placé en soins psychiatriques, d’autant plus qu’il affirmait dur comme fer, qu’il était sujet à des “visions” durant lesquelles il dialoguait avec le prophète Mohammed…

Et c’est dans ce contexte qu’entre en scène le Dr. Khatib.

Voila un grand Monsieur, dirigeant de l’Armée de Liberation, chirurgien de renom, fondateur en 1957, avec Mahjoubi Aherdane du Mouvement Populaire (MP) un parti d'obédience amazighe, qu’il quitta 10 ans plus tard pour créer son propre parti politique (MPDC) dont il ne s’occupa guère, submergé par ses fonctions de Président du Parlement, puis de Ministre de la Santé et de Ministre des Affaires Africaines (à ce titre, il a reçu Nelson Mandela et lui a fourni le soutien logistique et financier dont il avait besoin… ce que le petit fils décérébré du grand leader sud-africain semble ignorer ou feindre d’ignorer…)

En 1998, il devient dirigeant d’une nouvelle organisation politico-idéologique , sachant qu’il est un homme d'une piété et d’une moralité sans faille…

Devenu  Ministre de l’Intérieur plein, Basri convainc Khatib d’accueillir au sein de son parti zombie les semi-repentis du Mouvement Unité et Réforme (MUR), à savoir les membres de la Chabyba Islamya ayant renoncé à la violence.

Ainsi pris forme le Parti Justice et Développement (PJD) avec, parmi ses membres fondateurs, Abdelilah Benkirane, Mustapha Ramid et bien d’autres “leaders islamistes” lancés avec succès dans la galaxie du militantisme politiquement correct, par Son Excellence Monsieur le Ministre Driss Basri…

Après le décès du Dr. Abdelkrim Khatib en 2008, le PJD est totalement pris en charge par les anciens de la Chabyba, tout en s’attachant à rester sous l’aile protectrice du pouvoir.

Lors des Élections législatives de 2011, à la faveur du Printemps Arabe et de la réputation qu’il s’est forgée d’honnêteté, de piété et moralisme, qualités qu’une majorité de citoyens désespèrent de trouver chez les politiciens, le PJD devient, sans entraves, le premier groupe parlementaire, ce qui, dès lors, lui ouvre constitutionnellement les portes de la Présidence du Gouvernement.
Il y restera dix ans.

En 2021, c’est le coup de massue: le nombre de députés chute de 125 à 13.

C’est que les électeurs ont découvert, au fil des ans, la tartufferie, la rapacité et le népotisme des “Frères”

Et nous en arrivons au jour d’aujourd’hui, quand M. Benkirane, revenu à la tête du PJD par défaut, essaie de de se relancer et de se faire mousser à n’importe quel prix. Mal conseillé, ou plus probablement mal inspiré, il enfourche le cheval bataille de la cause palestinienne. argant que le gouvernement actuel, par la voix de son Ministre des Affaires Étrangères, comment une véritable trahison à l’égard du peuple palestinien en vantant, dans ses déplacements internationaux, l’exemplarité de la coopération entre le Maroc et “l’entité sioniste”, cette excroissance anti arabo-islamique avec laquelle l’ensemble du peuple marocain refuse catégoriquement toute “normalisation”...

Sauf que cette “normalisation” a été signée, au nom du Royaume du Maroc, par un Président du Gouvernement PJD, … et sauf que l'ensemble des Etats arabes et musulmans (à l’exception de l’Iran) reconnaissent le droit à l’existence d’un Etat israélien, dans les limites des frontières de 1947 et dans le cadre de la solution à deux Etats, garantissant la création d’un Etat Plestinien ayant Jérusalem Est pour capitale.

Et c’est ainsi que M. Benkirane vient de couler le PJD en signifiant, sans ambage, qu’il n’était pas le porte parole d’un parti, mais de l’ensemble le la nation, et que ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, quels qu’ils soient, sont des traîtres à une cause sacrée…

En conclusion, on peut dire que les “Islamistes” ont bénéficié au Maroc de beaucoup plus de latitude d’action et de réaction que les autres forces politiques qui se sont succédées au gouvernement, mais il est à craindre que leur incompétence et leur persistance dans le déni ne signifie, in fine, leur disparition définitive, ce qui serait tout de même dommage pour la diversité du champ politique national…
 
En définitive, le constat,amer ou réconfortant, selon l’angle idéologique sous lequel on se place, c’est que l’islam politique s’est cassé les dents aussi bien en Algérie qu’au Maroc.

Dans les deux pays voisins, l’Islam politique a investi le champ institutionnel à travers les urnes, mais le FIS algérien en a été chassé manu militari à l’issue d’une longue confrontation armée fratricide, cruelle et sanglante, dont la justification ultime a été de maintenir en place le régime militaire et d’empécher le pays de s’enliser dans les méandres d’un régime islamiste rétrograde, sachant que le FIS, ayant remporté les deux tiers des mairies un an avant les élections législatives, avait sorti les dents en imposant dans “ses” villes, des règles inspirées da la charia la plus restrictive (voile, séparation filles-garçons dans les écoles, …).
par contre, quand le PJD a envahi, par des moyens qui restent à cerner, le champ institutionnel, le tapis rouge lui a été déroulé et il y a vagabondé ostensiblement durant 3.650 jours  sans se soucier des dos d’âne et des crevasses qui parsemaient la chaussée et qui ont fini par crever ses pneus, et il est sorti par où  il était entré : par les urnes…

Et ce fut un rejet populaire cinglant et sans appel…

Fin de séquence,  voire même fin de partie…

En post-scriptum, je tiens à dire, tout haut, que je m'interdis d’établir une quelconque comparaison entre l’Islam politique tel qu’il s’est manifesté en Algérie et tel qu’il s’est manifesté au Maroc : ce serait non seulement mal venu, mais indécent.
 
Cependant, la comparaison que l’on peut établir à partir de cette mise en perspective des deux (mauvaises) expériences islamistes, c’est bien celle entre les deux régimes politiques en place jusqu’à ce jour dans les deux pays:

En Algérie, un régime militaire assumé et revendiqué, accroché aux vieilles lunes soviétiques et surfant sur une rente mémorielle qui ne se soucie nullement d’un quelconque mea-culpa de l’ex puissance coloniale française, mais qui s’évertue à persuader le peuple algérien lui-même que ses galonnés prédateurs, débauchés et incompétents sont  les dignes héritiers des Moudjahids et des martyrs,  libérateurs de la Nation. Bref, un régime conscient de son manque flagrant de légitimité mais prêt à tout -jusqu’aux solutions extrêmes- pour se maintenir aux commandes, y compris de se poser en valeureuse pépinière de  nouveaux résistants protecteurs du peuple et de sa terre sacrée contre les appétits infâmes d’un l’ennemi démoniaque: le Makhzen…Mais jusqu’à présent, c’est Mission Impossible, parce que les deux peuples se connaissent trop bien….Jusqu’à quand?

Au Maroc, un régime confronté, comme tous les pays en développement, à des problèmes politiques, économiques et sociaux, inhérents à la stature des gouvernants et celle des opposants, à l’efficacité et à la fiabilité des corps élus à tous les niveaux,  à l’optimisation de la gouvernance publique en matière d’investissements, d'impôts, de services publics, de lutte contre la corruption et les différentes formes de favoritisme et de népotisme, sans oublier la pluviométrie, etc…

Le régime marocain s’attache, comme il peut, à franchir ces obstacles, armé, pour celà d’un atout à nul autre pareil: celui de la légitimité.

Et c’est cette légitimité, reconnue à droite comme à gauche, au dedans comme en dehors du Maroc, qui donne au pays sa stabilité, sa crédibilité et son attractivité, pour les investisseurs comme pour les touristes.

Bien évidemment, tout celà suscite des jalousies, parfois amères et véhémentes, atteignant, malheureusement, pour des raisons psycho-somatiques personnelles trop longues à exposer ici, surtout qu’une bonne partie de ces raisons sont …inexplicables…
Suivez mon regard…
 
KAMAL LAKHDAR.
22/03/2023


Jeudi 23 Mars 2023