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Anémique : L'êtes-vous ?


L’anémie n’est pas seulement une question de fatigue chronique ou d’un taux de ferritine basse mais il se peut qu’elle soit liée à d’autres causes.



Par Dr Ben Abbes TAARJI
Par Dr Ben Abbes TAARJI
Beaucoup de femmes se plaignant de fatigue chronique ou tout simplement d’un taux de ferritine basse se déclarent anémique, ce qui n’est pas forcément le cas. Cet article est destiné à éclairer certains points sur l’anémie notamment par carence en fer, la plus fréquente.

D’emblée, précisons une chose. Ce n’est pas parce que l’on a un taux de ferritine basse que l’on est anémique. NON. L’anémie se définit comme une baisse de l’hémoglobine, le pigment qui donne sa couleur aux globules rouges, qui doit être inférieure à 12 g/100 ml pour en parler. L’hémoglobine est fondamentale pour notre vie car elle contient des atomes de fer sur lesquels se fixent les molécules d’oxygène respirés,  pour être transporté par le sang vers tous les organes.  Sans hémoglobine et sans fer, nos cellules ne peuvent respirer.

Donc pour parler d’anémie, il faut d’abord avoir fait une NFS (numération formule sanguine) et non simplement une ferritinémie. Point. Le taux de ferritine exprime le stock de fer dans le corps, mais un taux bas inférieur à 30 ne définit pas l’anémie, surtout si l’hémoglobine est normale. Un taux  isolé de ferritine bas avec une hémoglobine normale peut expliquer des petits troubles des phanères (ongles, cheveux)  mais  pas  une fatigue chronique, ou des palpitations, signes cliniques souvent retrouvés dans l’anémie. Bien sûr, le 1er signe le plus souvent retrouvé de l’anémie reste la pâleur de la peau qui nous interpelle.

En écrivant ces lignes, je me rappelle les cours de  feu mon maître Pr N.BENCHEMSI, hématologue émérite mais aussi éminente pédagogue qui nous avait simplifié la lecture de la NFS et de l’hématologie, au point où je m’en rappelle aussi clairement qu’il y a 20 ans. Je vais essayer de vous la clarifier aussi, même si ce paragraphe est technique.

Sur la NFS, il y a 3 lignées : vous voyez les plaquettes (qui servent à la coagulation du sang) dont le nombre doit être dans les normes.
Vous regardez les globules blancs (GB) qui ne doivent pas dépasser tel chiffre.
Si les GB polynucléaires sont élevées, ça évoque une infection bactérienne. Si ce sont les GB lymphocytes, ça doit être viral.
Si ce sont les GB éosinophiles, ça doit être allergique. Si les globules blancs sont très très élevés, il faut chercher une leucémie.

Enfin, vous regardez la lignée rouge. Si l’hémoglobine est normale, point barre, on s’arrête là. Si elle est basse (ce qui définit l’anémie), il faut voir la forme du globule. Si la forme est normale (anémie dite normochrome normocytaire), c’est une hémorragie ou une destruction. Si le globule rouge est gros (anémie normochrome macrocytaire) c’est une carence en vitamine B9 ou en B12. Si le globule rouge est petit (anémie hypochrome microcytaire), c’est dans la majorité des cas une carence en fer (ou carence martiale), qui sera au besoin confirmé par un taux de ferritine basse.

Cette anémie par carence en fer est la plus fréquente des causes d’anémie, surtout chez les femmes en âge de procréer car elles perdent chaque mois lors de leurs menstruations un peu de fer. Pour peu qu’elles aient des règles abondantes et/ou fréquentes, ou qu’elles ne mangent pas suffisamment d’aliments contenant du fer, ou encore quelles boivent beaucoup de thé qui empêche son absorption, elles se retrouvent peu à peu en anémie chronique. 

Les hémorragies digestives par ulcère ou saignements microscopiques sont la  2éme cause de perte chronique de fer. La géophagie est une autre cause plus rare, chez les gens qui mangent de la terre, de la peinture des murs  ou d’autres éléments qui empêchent l’absorption digestive du fer (ça existe !!!).

Au final, la lecture simple de la NFS par votre médecin généraliste ou spécialiste permet de faire le diagnostic d’anémie, dans la grande majorité des cas par carence en fer. L’interrogatoire et l’examen clinique permet souvent d’en trouver la cause et de la traiter par une prescription de fer. Vous pouvez aussi être orientée vers un gynécologue pour traiter la cause si elle est liée à des troubles du cycle menstruel ou un gastro-entérologue  en cas de suspicion de troubles digestifs.

Dans le doute ou en cas d’échec de traitement, il pourra vous envoyer vers un hématologue qui s’acharnera à comprendre le pourquoi de cette anémie rebelle au traitement.

Parlons du traitement  martial. Une anémie par carence en fer doit se traiter par un apport de fer à raison de minimum 100 mg/j pendant 2- 3 mois le temps de reconstituer les globules rouges et les réserves, sans oublier bien sûr de traiter la cause de ces pertes. Le traitement n’est pas cher, s’avale oralement, délivré sur ordonnance par votre médecin généraliste ou spécialiste. Cependant, le fer à ces doses peut faire mal au ventre et/ou constiper. Il existe des traitements injectables dans les cas d’urgence ou l’on a besoin de faire remonter rapidement l’hémoglobine, avant une intervention chirurgicale par exemple, mais qui coûte plus beaucoup plus cher et qui doit se faire en clinique.

Chez la femme enceinte, du fait de sa rétention d’eau pour la grossesse, on ne parle d’anémie qu’à partir de 11,5 g d’hémoglobine/100 ml. Cependant, en tant que gynécologue, connaissant les risques imprévisibles, je préfère qu’une parturiente ait une hémoglobine élevée au plafond,  par peur qu’elle ne me fasse une hémorragie cataclysmique au moment de l’accouchement. Dans ce cas, je préfère qu’elle ait 13 g d’hémoglobine  et quelle passe à 8 g en saignant la rage, quelle ne commence à 10 g pour finir à 5, surtout si elle est d’un groupe sanguin rare !!! De plus, une anémie durant la grossesse peut être néfaste  pour le développement du fœtus.

C’est pour cela que je demande systématiquement une NFS aux femmes enceintes en début de grossesse. Si elle est anémique, je la traite d’emblée. Sinon, je la mets systématiquement sous fer à partir du 6ème- 7ème mois pour avoir les réserves les plus hautes possibles. D’autant plus que j’espère que cette femme va allaiter son bébé et donc lui passer aussi du fer dans son lait maternel.

Mais à quelle dose faut-il prévenir ?
Laissez-moi ici pousser un coup de gueule contre les compléments alimentaires innombrables proposés par l’industrie pharmaceutique, moins dosés et 10 fois plus chers que les traitements curatifs mais en vente libre. Leurs arguments de vente : Ils ne contiennent que 7 ou 14 mg de fer élément, soit les doses journalières recommandées … dans les pays occidentaux où les femmes mangent plus de protéines que nécessaires et où la carence martiale n’est pas du tout aussi fréquente. 

On ne peut comparer que le comparable. Dalleurs l’OMS recommande pour la femme enceinte 30 à 60 mg de fer élément par jour. 2ème argument : ils ne font pas mal au ventre, ils ne constipent pas, ils sont très bien tolérés. C’est normal, ils ne contiennent rien comme dose de fer, j’appelle cela du pipi de chat !!! Plus la dose de fer est élevée, plus le traitement est efficace, plus les effets secondaires peuvent être présents. Je préfère les compléments enrichis en vitamine C et/ou en huile de noix de coco qui améliorent l’absorption du fer, mais pas dosés à 7 ou 14 mg. Il faut un minimum de 30 mg/j durant les derniers mois de la grossesse en préventif et 100 mg/j en curatif

 

Au final, après ce long exposé, je voudrais insister sur la définition de l’anémie. Ce n’est pas parce que vous avez une ferritine basse que vous êtes anémique. Et si vous êtes anémique, ce ne sont pas des compléments alimentaires peu dosés en fer qu’il vous faut mais un véritable traitement prescrit par votre médecin.

Et aux femmes enceintes, réclamez des doses suffisantes à votre médecin traitant.
 
Dr H.BEN ABBES TAARJ

Jeudi 6 Janvier 2022



Rédigé par Salma Chaoui le Jeudi 6 Janvier 2022