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Armement made in Morocco : accélération et montée en puissance


Rédigé par La rédaction le Vendredi 14 Novembre 2025

Le Royaume vient d’ouvrir un nouveau chapitre de son industrialisation militaire. Dix projets d’armement sont en cours d’installation, cinq autres s’annoncent, et le tout représente 260 millions de dollars d’investissements et 2 500 emplois qualifiés. Une impulsion stratégique, certes, mais qui soulève une foule de questions : quelle autonomie réelle ? Quels risques ? Quelle vision à long terme ? Et surtout, jusqu’où ce mouvement peut-il transformer l’économie nationale ?



Le Royaume engage une transformation militaire sans précédent, mais les défis technologiques restent immenses.

Armement made in Morocco : accélération et montée en puissance
L’annonce est passée presque discrètement lors d’une séance devant la Commission des finances, mais les chiffres frappent : dix projets industriels militaires déjà lancés, cinq à un stade avancé d’étude ou de finalisation, et un investissement global dépassant les 260 millions de dollars. Derrière ces chiffres se dessine une ambition assumée : faire du Maroc un pôle régional dans l’industrie de défense, capable non seulement d’équiper ses propres armées, mais aussi de viser l’export.

Ce volontarisme soulève un double mouvement. D’un côté, l’enthousiasme d’un pays qui diversifie son économie et s'arrime à des technologies de pointe. De l’autre, une prudence légitime : industrialiser la défense, c’est entrer dans un univers où la souveraineté se gagne

En filigrane, une question plane : le Maroc cherche-t-il à rattraper son retard… ou à prendre de vitesse un environnement géopolitique de plus en plus tendu ?

Une industrie en pleine expansion qui ouvre des opportunités économiques tout en soulevant des interrogations géostratégiques

Les projets en cours couvrent quatre domaines stratégiques : les drones, la maintenance aéronautique militaire, la fabrication de véhicules blindés et l’assemblage de systèmes de défense avancés.

Pour un observateur militaire, cela montre une volonté claire : se positionner sur les maillons essentiels des armées modernes. Le drone, par exemple, est devenu le nouvel "avion du pauvre" mais aussi une arme stratégique d’une efficacité redoutable, comme l’ont montré l’Ukraine, le Haut-Karabakh ou encore la bande sahélo-saharienne.

Le Maroc, déjà utilisateur confirmé de drones turcs Bayraktar TB2, israéliens Hermes 900 ou chinois Wing Loong, semble vouloir franchir une étape : ne plus seulement acheter, mais produire.

Là encore, une question demeure : produire quoi exactement ? Et surtout avec quel degré d’autonomie technologique ?

Une brochette de partenaires internationaux… 

Le pays s'ouvre à une diversité d’alliés : Turquie, États-Unis, Israël, Inde. Cette pluralité est une force — elle évite de mettre tous les œufs dans le même panier. Baykar pour les drones, Lockheed Martin pour la maintenance et la modernisation aéronautique, BlueBird pour des drones tactiques SPY-X, TATA pour les véhicules blindés. Sur le papier, c’est une coalition industrielle impressionnante.

Chaque partenaire apporte une expertise que le Maroc n’a pas encore. Et pourtant, la coopération militaire internationale n’est jamais totalement neutre. Elle crée une proximité technologique, mais aussi un rapport de dépendance. Tout transfert de technologie reste limité, filtré, encadré.

Un haut responsable militaire marocain confiait récemment, sous couvert d’anonymat :
« Aucun pays ne donne ses secrets gratuitement. Le Maroc obtient ce qu’il peut, mais le chemin vers une véritable autonomie reste long. »

L’avantage, toutefois, est indéniable : ces projets placent le Maroc dans la cour des nations qui produisent au moins une partie de leurs équipements. Ce n’est pas l’indépendance totale, mais c’est une souveraineté mieux défendue.

Le ministre Abdellatif Loudiyi a insisté sur trois objectifs : transfert technologique, renforcement des capacités opérationnelles des Forces armées royales et montée en puissance de l'exportation.

Sur le papier, c’est l’équation gagnante. Mais la question centrale demeure : quel transfert, et jusqu’à quel niveau ? Le Maroc a besoin d’ingénieurs, de techniciens, de laboratoires, d’écosystèmes industriels complets. Dix projets ne suffisent pas à eux seuls à créer ce maillage.

Pour autant, ces projets servent de catalyseurs. Ils permettent d’entraîner les universités, les écoles d’ingénieurs, les PME locales. Un ingénieur du secteur témoignait récemment :
« Ce qu’on gagne, ce ne sont pas seulement des machines. Ce sont les savoir-faire qui finissent par irriguer tout le tissu industriel. »

La défense, paradoxalement, peut devenir un moteur civil avec une industrie qui crée de l’emploi qualifié — et un défi de formation

Les 2 500 emplois annoncés ne sont pas de simples postes d’ouvriers. Ce sont des emplois hautement qualifiés : mécatronique, électronique embarquée, intelligence artificielle appliquée, maintenance aéronautique, robotique.

La montée en compétences s’impose comme incontournable. Le Maroc doit former plus vite, mieux, et en plus grand nombre. Les écoles d’ingénieurs marocaines produisent du talent, mais l’écart entre besoins militaires et formation nationale reste important.

Une opportunité réelle de tirer vers le haut tout le secteur technologique marocain, et d’offrir aux jeunes un nouveau terrain d’aveniren évitant le risque que les entreprises étrangères restent les seules dépositaires des compétences critiques.

Un budget Défense qui augmente… mais dont la part diminue

Le budget de la Défense pour 2026 progresse de 3,3 milliards de dirhams (+4,8 %). Pourtant, sa part dans le budget général recule. Elle passe de 4,5 % en 2025 à 4 % en 2026.

Un paradoxe apparent, qui dit en réalité deux choses :

L’État investit davantage dans la défense, un ajustement logique dans une région où les tensions ne faiblissent pas.
La croissance du budget global de l'État est encore plus rapide.

C’est une manière de dire au citoyen : la défense n’étouffe pas les dépenses sociales et nullement une militarisation économique.

Autorisations d’engagement : le chiffre qui a tout brouillé

Plusieurs médias ont brandi un chiffre spectaculaire : plus de 150 milliards de dirhams de budget défense. Le ministre a rectifié : il s’agit d’autorisations d’engagement.

Une marge stratégique. Pas un chèque.
Une réserve. Pas une dépense immédiate.

Son montant : 17 milliards de dollars, soit environ 157 milliards de dirhams.

Ces autorisations sont là pour permettre au Maroc de réagir vite en cas d’urgence militaire ou de besoin stratégique. C’est un outil de flexibilité, pas une dépense budgétaire effective.

​Le Maroc, futur exportateur d’armement ?

C’est l’un des angles les plus sensibles. Le Maroc vise l’export. Pas dans dix ans. Maintenant.

Exporter des véhicules blindés, des drones tactiques, des composants électroniques ? Le marché existe. L’Afrique en particulier.

Mais exporter, c’est entrer dans un jeu diplomatique délicat. Cela renforce le statut du pays, mais cela engage aussi sa responsabilité.

Dans une région où les lignes bougent vite, le Maroc avance avec prudence.

Une industrie de défense qui avance, le Maroc trace une route ambitieuse. Les projets avancent. Les partenariats se multiplient. Les compétences montent en gamme. Le pays se dote d’outils nouveaux pour protéger sa souveraineté.

Mais rien n’est acquis. L’autonomie technologique se construit sur des décennies. Les dépendances demeurent. Les enjeux géopolitiques s’invitent. Les défis de formation persistent.

Ce mouvement reste néanmoins cohérent avec une vision nationale : un Maroc fort, stable, ouvert, et capable d’anticiper les menaces futures tout en développant un écosystème industriel moderne et inclusif.

Une page se tourne. Reste à écrire les suivantes avec lucidité et ambition.




Vendredi 14 Novembre 2025