L'ODJ Média

Attention à l’instrumentation : l’intelligence artificielle au cœur de l’éducation


Rédigé par Salma Chmanti Houari le Vendredi 3 Octobre 2025

Par Dr Az-Eddine Bennani

L’urgence d’une réflexion collective.

L’intelligence artificielle n’est plus une promesse distante : selon les auteurs du livre AI in Education: The Urgency of the Now (éd. Leonardo Caporarello, 2025), elle s’installerait désormais au cœur de l’école et de l’université, transformant en profondeur les pratiques pédagogiques, l’évaluation des étudiants et la formation des enseignants.



Une affirmation discutable

Attention à l’instrumentation : l’intelligence artificielle au cœur de l’éducation
Je considère que cette affirmation est fausse ou au moins exagérée. Aucune avancée technologique – qu’elle soit numérique ou dite « intelligente » – ne sera capable de remplacer les professeurs. Car la pédagogie n’est pas une mécanique reproductible par un algorithme : elle est une co-création entre enseignants et apprenants, située dans un contexte précis, nourrie par l’expérience humaine, le dialogue et la confrontation des savoirs.

Réduire l’éducation à une succession de processus automatisés revient à oublier que l’acte d’enseigner est d’abord une relation vivante et réflexive. Les machines peuvent assister, mais elles ne peuvent pas inventer l’alchimie du savoir partagé ni l’esprit critique forgé dans la confrontation des idées.

Après la taylorisation numérique, le danger de l’illusion technologique

Nous avons déjà connu une première dérive avec la taylorisation des programmes par le numérique : standardisation, industrialisation des contenus, évaluation à la chaîne. Aujourd’hui, l’IA générative risque d’accentuer cette logique en cherchant à marginaliser les professeurs, au nom d’une efficacité supposée. Considérer la formation comme une simple marchandise – produite et distribuée comme n’importe quel bien de consommation – est une erreur grave. Car l’éducation ne relève pas du marché, mais du bien commun.

Des innovations utiles, mais pas suffisantes.

Il est vrai que l’ouvrage recense des expérimentations intéressantes : tuteurs virtuels disponibles 24/7, curricula de littératie en IA, simulation de débats avec des personnalités historiques. Ces outils peuvent enrichir l’apprentissage. Mais ils n’ont de valeur que s’ils sont mis au service d’une pédagogie vivante et humaniste. Ils peuvent accompagner le travail de l’enseignant, jamais s’y substituer. Car sans le regard critique, la créativité et l’adaptation contextuelle du professeur, ces dispositifs risquent de devenir de simples gadgets ou, pire encore, des instruments d’aliénation.

Vigilance face à l’instrumentation.

Le risque majeur est celui de l’instrumentalisation des esprits. Si l’IA peut stimuler l’engagement et la pensée critique, elle peut aussi enfermer dans des logiques de dépendance et d’automatisation. L’expérience a montré que vouloir « résister à l’IA » en niant son existence est inefficace. Mais l’inverse – lui donner les clés de la formation – serait tout aussi dangereux. La vigilance s’impose, comme pour les réseaux sociaux : ne jamais se laisser manipuler, ni par des algorithmes biaisés, ni par ceux qui les utilisent à des fins commerciales ou idéologiques.

Vers une pédagogie augmentée mais éthique.

AI in Education: The Urgency of the Now ne propose pas une feuille de route unique. Il offre des récits, des leçons et des mises en garde. Mais au-delà de cette diversité d’expériences, la leçon essentielle reste à rappeler : l’avenir de l’éducation ne sera pas déterminé par les algorithmes. Il dépendra de la capacité des enseignants, des chercheurs et des décideurs à intégrer l’IA de manière éthique, inclusive et créative, tout en réaffirmant que la pédagogie ne se réduit pas à des flux de données.

La condition de réussite est claire : l’IA doit augmenter et non remplacer, émanciper et non asservir, ouvrir plutôt que manipuler.

Par Dr Az-Eddine Bennani




Vendredi 3 Octobre 2025