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CAN 2025 : quand le stade devient un salon, le supporter disparaît


Rédigé par le Vendredi 26 Décembre 2025

« On est là pour regarder le match, mais à la place on mange. On a raté le but ». Lancée avec légèreté et partagée sur les réseaux sociaux par un spectateur présent lors du match d’ouverture Maroc–Comores, cette phrase a pourtant résonné comme un signal d’alarme. Au-delà de l’anecdote, elle révèle une dérive inquiétante : celle de tribunes occupées par des spectateurs plus soucieux de se montrer que de soutenir, transformant un événement sportif majeur en simple sortie mondaine rythmée par selfies, stories et plateaux-repas.



CAN 2025 : quand le stade devient un salon, le supporter disparaît

Assister à une Coupe d’Afrique des nations, surtout lorsqu’elle se joue à domicile, n’est pas un acte anodin. Ce n’est ni un cocktail mondain ni un divertissement de second plan. C’est un moment de communion, une responsabilité collective. Or, dans certaines tribunes, l’essentiel semble relégué à l’arrière-plan : conversations incessantes, téléphones braqués vers soi, repas consommés pendant que le match se joue, que l’équipe lutte, que l’histoire s’écrit.


Le problème n’est pas le confort ni la restauration. Il n’est même pas dans l’envie légitime de passer un bon moment. Le vrai malaise réside dans l’indifférence au jeu. Rater un but parce qu’on mange n’est pas une maladresse, c’est un aveu : celui d’une présence déconnectée de l’enjeu sportif.


Plus grave encore, ces pseudo-supporters occupent des places qui auraient dû revenir à de véritables passionnés. À ceux qui chantent, poussent, vivent chaque action avec intensité. À ceux qui savent qu’un stade ne se remplit pas seulement de corps, mais d’énergie, de ferveur et de voix.


Supporters d’un soir, influenceurs d’un instant

Téléphone à bout de bras, certains spectateurs semblaient davantage préoccupés par la capture de leur présence que par le déroulement du match. Selfies, vidéos, stories… puis départ anticipé, parfois bien avant le coup de sifflet final.


Ce phénomène n’est pas anodin. Il traduit une transformation inquiétante du rapport au football. Pour certains, le stade n’est plus un lieu de passion, mais un décor. Le match devient un simple arrière-plan destiné à nourrir les réseaux sociaux, à afficher un statut, à prouver qu’on y était — peu importe ce qui s’y est réellement passé.


Ils ne viennent pas soutenir, ils viennent se montrer. Ils ne chantent pas, ils posent. Ils ne vibrent pas, ils filment. Et une fois l’objectif numérique atteint, ils désertent les gradins, parfois au moment précis où l’équipe a le plus besoin de soutien.


Dans un contexte où l’accès aux billets reste limité, chaque siège occupé par un spectateur distrait est un siège refusé à un véritable supporter, prêt à rester jusqu’à la dernière seconde, quelle que soit l’issue du match.


Le football marocain s’est construit avec des tribunes pleines de voix, pas de filtres. Avec des supporters présents jusqu’au bout, même dans la douleur, même dans le doute. Voir aujourd’hui des gradins se vider avant la fin interroge : à quel moment a-t-on accepté que le stade devienne un simple lieu de passage ?


Il faut le dire clairement : le stade n’est pas un studio photo. Ce n’est pas une scène pour egos numériques. C’est un espace collectif où chaque présence compte, où chaque silence pèse, où chaque départ prématuré affaiblit l’équipe.


Regragui, un avertissement sans détour

Ce malaise, Walid Regragui l’avait anticipé. Avant le match Maroc–Comores, puis à la veille de la rencontre face au Mali, le sélectionneur national n’a pas mâché ses mots. Interrogé sur la pression du public, il a répondu sans détour :

« S’ils veulent me mettre de la pression, moi aussi je vais leur mettre de la pression ».


Avant de viser clairement certains comportements :
« Nous n’avons pas besoin de gens qui viennent pour prendre des photos ou manger ».


Le message est limpide. Le sélectionneur réclame un public concerné, concentré, entièrement tourné vers le match. Pas vers l’accessoire.


Car le public peut être un atout majeur… ou un handicap. Dans une CAN disputée à domicile, l’équipe a besoin d’un douzième homme, pas d’un public de passage venu consommer l’événement sans s’y investir.


Il faut le dire sans détour : venir au stade sans soutenir activement, c’est faillir à son rôle de supporter. Le football n’est ni un décor ni un prétexte social. C’est une passion collective, surtout dans les moments décisifs.


La CAN est populaire, exigeante, émotionnelle. Elle mérite un public à sa hauteur. Pas un public distrait. Pas un public spectateur. Mais un public acteur.


Le Mondial 2022 l’a rappelé au monde entier : les tribunes marocaines n’étaient pas là pour les selfies, mais pour le combat. Pour pousser jusqu’à la dernière seconde.


Et tant que certains continueront à confondre tribunes et salons de réception, ce sont les vrais supporters — et l’équipe nationale — qui en paieront le prix.





Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec... En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 26 Décembre 2025