Il est des distinctions qui paraissent minces au premier abord, presque anecdotiques, mais qui révèlent en réalité une profondeur insoupçonnée. Celle que je m’apprête à partager tient en deux mots seulement, ou plutôt en deux préfixes : anti-occidentaux et aoccidentaux. On pourrait croire à un simple jeu de lettres, une nuance rhétorique. Pourtant, ce glissement dit tout d’un rapport au monde, d’une façon de se définir, d’exister dans la grande scène contemporaine.
Les premiers, les anti-occidentaux, sont bien connus. Ils ne vivent, ne respirent, ne s’expriment que dans le rejet. Leur identité politique, intellectuelle ou parfois même intime se construit dans la négation de ce qu’ils nomment « l’Occident ». Derrière ce mot se cache un amalgame : États-Unis, Europe, capitalisme, libéralisme, christianisme, sécularisme, voire, plus abstraitement, modernité et postmodernité confondues. L’Occident devient pour eux une hydre maléfique, cause de tous les malheurs, machine froide qui broie les peuples, colonise les esprits, écrase les différences.
On les trouve dans les tribunes enflammées, dans les discours de certaines mouvances idéologiques, dans les sermons qui se veulent de résistance, dans les réseaux sociaux saturés de hashtags rageurs. Être anti, c’est paradoxalement être dépendant de ce que l’on combat. On ne se définit plus que par opposition. L’Occident est alors toujours là, omniprésent, obsédant, même dans son rejet. Et si l’on y réfléchit bien, c’est une prison intellectuelle. Car à force de dire « non » à l’Occident, on reste prisonnier de sa centralité.
Et puis, il y a les autres. Les aoccidentaux. Ceux dont on parle peu, car ils ne crient pas. Ils n’ont pas besoin d’élever la voix pour dénoncer ou pour se défendre. Les aoccidentaux vivent dans un ailleurs, non pas géographique mais mental. Pour eux, l’Occident n’est ni un modèle à suivre ni un démon à fuir. C’est simplement un élément périphérique, une réalité parmi d’autres dans un monde pluriel. Leur rapport au monde ne passe pas par ce miroir déformant. Ils créent, pensent, entreprennent, bâtissent leurs propres visions sans se demander sans cesse si elles sont « conformes » ou « contraires » à l’Occident.
Le préfixe « a- » est révélateur : il ne signifie pas hostilité, mais absence. Les aoccidentaux ne s’érigent pas en ennemis de l’Occident, ils s’en affranchissent. C’est un autre niveau de liberté. Un détachement. Presque une insouciance.
Ils regardent ailleurs, vers l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, ou simplement vers eux-mêmes. L’Occident n’est pas le centre de gravité de leur pensée. Ce n’est pas le point de départ obligé de leurs raisonnements. Et ça, croyez-moi, c’est une révolution silencieuse.
Car soyons lucides : l’obsession anti-occidentale est encore une forme de soumission. On ne sort pas du cercle si l’on continue à tourner autour. L’anti se nourrit de ce qu’il combat, et parfois même, il en dépend pour exister. L’aoccidental, lui, brise le cercle. Il décentre le regard. Il se rend disponible à d’autres horizons.
Ce basculement est peut-être l’un des plus grands défis des sociétés dites « non occidentales ». Non pas imiter, non pas rejeter, mais s’émanciper de cette grille de lecture binaire. Or, cela demande un travail immense, car l’Occident reste dominant dans les structures : économie, finance, diplomatie, technologies, culture. Le poids est réel, tangible. Ne pas le voir serait naïf. Mais le considérer comme l’unique référent est tout aussi stérile.
Les anti-occidentaux, souvent, tombent dans une rhétorique paresseuse. Chaque problème interne devient importé, chaque crise locale est imputée à « l’Occident ». C’est confortable, ça exonère de responsabilité. Mais ça ferme aussi la porte à toute introspection, à toute remise en question. À force de dénoncer un ennemi extérieur, on évite de regarder ses propres failles. On s’enferme dans un discours de résistance qui finit par devenir un alibi à l’inaction.
Les aoccidentaux, eux, sont rarement dans la posture. Ils ne cherchent pas à se mettre en scène comme résistants ou insurgés. Ils sont dans l’action, dans la construction, parfois même sans étiquette. Ce sont des entrepreneurs qui innovent sans se demander si leur modèle est occidental ou pas. Ce sont des artistes qui puisent dans leurs racines locales tout en s’ouvrant aux influences multiples. Ce sont des penseurs qui ne s’obsèdent pas de la validation extérieure. Leur force est dans ce détachement, cette liberté vis-à-vis du regard dominant.
Prenons un exemple concret. Quand on voit des nations d’Asie construire des modèles hybrides, où traditions et modernité s’entremêlent sans complexe, on touche du doigt ce qu’est une approche aoccidentale. Le Japon, la Corée du Sud, l’Inde même, ne sont pas dans un rejet systématique ni dans une imitation servile. Ils bricolent, ils transforment, ils adaptent. Ils vivent dans le monde globalisé sans en faire une question identitaire.
Et chez nous ? La question se pose avec acuité. Sommes-nous encore prisonniers du duel avec l’Occident ? Trop souvent, oui. Nos débats publics, nos discours politiques, nos crispations sociales, tout cela respire l’obsession de l’Occident : pour ou contre, fidèle ou traître, imitateur ou résistant.
Mais à quand un vrai saut qualitatif ? À quand la possibilité de dire : « l’Occident existe, mais il n’est pas le centre de notre monde » ?
Cela ne veut pas dire ignorer la réalité. Le monde global reste marqué par des déséquilibres. Le dollar domine, la Silicon Valley invente, l’Europe régule, l’OTAN s’impose.
Oui, les structures de pouvoir restent profondément occidentales. Mais justement, la maturité politique et culturelle consiste à les regarder lucidement sans en faire le seul horizon. C’est accepter leur existence tout en ouvrant d’autres chemins.
Le jour où nos sociétés basculeront de l’anti vers l’« a- », nous aurons gagné en sérénité.
Nous ne serons plus dans la réaction permanente, mais dans l’action créative. Nous ne serons plus obsédés par l’autre, mais centrés sur nous-mêmes, dans un rapport apaisé avec le monde. Ce ne sera pas un isolement, mais un recentrage.
Finalement, la vraie question n’est pas de savoir si nous sommes pro- ou anti-occidentaux.
C’est de savoir si nous avons dépassé ce schéma. Si nous avons atteint ce degré d’indifférence sereine, où l’Occident n’est plus qu’un acteur parmi d’autres. Car c’est là que commence la vraie liberté intellectuelle, et peut-être la vraie puissance.
Alors oui, certains continueront de clamer leur haine de l’Occident, d’autres leur fascination béate. Mais l’avenir appartient, je le crois, à ceux qui ne se définissent plus par rapport à lui.
À ces aoccidentaux qui, silencieusement, construisent des mondes nouveaux sans demander la permission ni chercher l’affrontement.
Et dans ce silence, il y a plus de force que dans tous les discours.
Les premiers, les anti-occidentaux, sont bien connus. Ils ne vivent, ne respirent, ne s’expriment que dans le rejet. Leur identité politique, intellectuelle ou parfois même intime se construit dans la négation de ce qu’ils nomment « l’Occident ». Derrière ce mot se cache un amalgame : États-Unis, Europe, capitalisme, libéralisme, christianisme, sécularisme, voire, plus abstraitement, modernité et postmodernité confondues. L’Occident devient pour eux une hydre maléfique, cause de tous les malheurs, machine froide qui broie les peuples, colonise les esprits, écrase les différences.
On les trouve dans les tribunes enflammées, dans les discours de certaines mouvances idéologiques, dans les sermons qui se veulent de résistance, dans les réseaux sociaux saturés de hashtags rageurs. Être anti, c’est paradoxalement être dépendant de ce que l’on combat. On ne se définit plus que par opposition. L’Occident est alors toujours là, omniprésent, obsédant, même dans son rejet. Et si l’on y réfléchit bien, c’est une prison intellectuelle. Car à force de dire « non » à l’Occident, on reste prisonnier de sa centralité.
Et puis, il y a les autres. Les aoccidentaux. Ceux dont on parle peu, car ils ne crient pas. Ils n’ont pas besoin d’élever la voix pour dénoncer ou pour se défendre. Les aoccidentaux vivent dans un ailleurs, non pas géographique mais mental. Pour eux, l’Occident n’est ni un modèle à suivre ni un démon à fuir. C’est simplement un élément périphérique, une réalité parmi d’autres dans un monde pluriel. Leur rapport au monde ne passe pas par ce miroir déformant. Ils créent, pensent, entreprennent, bâtissent leurs propres visions sans se demander sans cesse si elles sont « conformes » ou « contraires » à l’Occident.
Le préfixe « a- » est révélateur : il ne signifie pas hostilité, mais absence. Les aoccidentaux ne s’érigent pas en ennemis de l’Occident, ils s’en affranchissent. C’est un autre niveau de liberté. Un détachement. Presque une insouciance.
Ils regardent ailleurs, vers l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, ou simplement vers eux-mêmes. L’Occident n’est pas le centre de gravité de leur pensée. Ce n’est pas le point de départ obligé de leurs raisonnements. Et ça, croyez-moi, c’est une révolution silencieuse.
Car soyons lucides : l’obsession anti-occidentale est encore une forme de soumission. On ne sort pas du cercle si l’on continue à tourner autour. L’anti se nourrit de ce qu’il combat, et parfois même, il en dépend pour exister. L’aoccidental, lui, brise le cercle. Il décentre le regard. Il se rend disponible à d’autres horizons.
Ce basculement est peut-être l’un des plus grands défis des sociétés dites « non occidentales ». Non pas imiter, non pas rejeter, mais s’émanciper de cette grille de lecture binaire. Or, cela demande un travail immense, car l’Occident reste dominant dans les structures : économie, finance, diplomatie, technologies, culture. Le poids est réel, tangible. Ne pas le voir serait naïf. Mais le considérer comme l’unique référent est tout aussi stérile.
Les anti-occidentaux, souvent, tombent dans une rhétorique paresseuse. Chaque problème interne devient importé, chaque crise locale est imputée à « l’Occident ». C’est confortable, ça exonère de responsabilité. Mais ça ferme aussi la porte à toute introspection, à toute remise en question. À force de dénoncer un ennemi extérieur, on évite de regarder ses propres failles. On s’enferme dans un discours de résistance qui finit par devenir un alibi à l’inaction.
Les aoccidentaux, eux, sont rarement dans la posture. Ils ne cherchent pas à se mettre en scène comme résistants ou insurgés. Ils sont dans l’action, dans la construction, parfois même sans étiquette. Ce sont des entrepreneurs qui innovent sans se demander si leur modèle est occidental ou pas. Ce sont des artistes qui puisent dans leurs racines locales tout en s’ouvrant aux influences multiples. Ce sont des penseurs qui ne s’obsèdent pas de la validation extérieure. Leur force est dans ce détachement, cette liberté vis-à-vis du regard dominant.
Prenons un exemple concret. Quand on voit des nations d’Asie construire des modèles hybrides, où traditions et modernité s’entremêlent sans complexe, on touche du doigt ce qu’est une approche aoccidentale. Le Japon, la Corée du Sud, l’Inde même, ne sont pas dans un rejet systématique ni dans une imitation servile. Ils bricolent, ils transforment, ils adaptent. Ils vivent dans le monde globalisé sans en faire une question identitaire.
Et chez nous ? La question se pose avec acuité. Sommes-nous encore prisonniers du duel avec l’Occident ? Trop souvent, oui. Nos débats publics, nos discours politiques, nos crispations sociales, tout cela respire l’obsession de l’Occident : pour ou contre, fidèle ou traître, imitateur ou résistant.
Mais à quand un vrai saut qualitatif ? À quand la possibilité de dire : « l’Occident existe, mais il n’est pas le centre de notre monde » ?
Cela ne veut pas dire ignorer la réalité. Le monde global reste marqué par des déséquilibres. Le dollar domine, la Silicon Valley invente, l’Europe régule, l’OTAN s’impose.
Oui, les structures de pouvoir restent profondément occidentales. Mais justement, la maturité politique et culturelle consiste à les regarder lucidement sans en faire le seul horizon. C’est accepter leur existence tout en ouvrant d’autres chemins.
Le jour où nos sociétés basculeront de l’anti vers l’« a- », nous aurons gagné en sérénité.
Nous ne serons plus dans la réaction permanente, mais dans l’action créative. Nous ne serons plus obsédés par l’autre, mais centrés sur nous-mêmes, dans un rapport apaisé avec le monde. Ce ne sera pas un isolement, mais un recentrage.
Finalement, la vraie question n’est pas de savoir si nous sommes pro- ou anti-occidentaux.
C’est de savoir si nous avons dépassé ce schéma. Si nous avons atteint ce degré d’indifférence sereine, où l’Occident n’est plus qu’un acteur parmi d’autres. Car c’est là que commence la vraie liberté intellectuelle, et peut-être la vraie puissance.
Alors oui, certains continueront de clamer leur haine de l’Occident, d’autres leur fascination béate. Mais l’avenir appartient, je le crois, à ceux qui ne se définissent plus par rapport à lui.
À ces aoccidentaux qui, silencieusement, construisent des mondes nouveaux sans demander la permission ni chercher l’affrontement.
Et dans ce silence, il y a plus de force que dans tous les discours.