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Comment le Maroc peut-il inspirer d’autres pays africains dans la réforme de leur État actionnaire ?


le Vendredi 18 Juillet 2025



Comment le Maroc peut-il inspirer d’autres pays africains dans la réforme de leur État actionnaire ?
Avec la création de l'Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l'Etat (ANGSPE) et l’adoption d’une Politique Actionnariale structurée, le Maroc s’impose comme un laboratoire africain d’une gouvernance publique renouvelée. Une expérience qui pourrait bien faire école.

Longtemps enfermées dans une logique administrative héritée des années postcoloniales, les entreprises publiques en Afrique ont été à la fois les piliers et les boulets des économies nationales. Porteuses de missions essentielles comme l’eau, l’électricité, le transport, les mines et les télécoms, elles ont souvent souffert d’un double mal : l’opacité de gestion et la capture politique. Résultat : des déficits chroniques, une gouvernance inefficace et une image dégradée auprès des citoyens comme des investisseurs.
 

Dans ce contexte, le Maroc fait figure d’exception régionale. Depuis la création en 2022 de l’ANGSPE, le Royaume a enclenché une réforme en profondeur de son rôle d’actionnaire. Objectif : transformer l’État propriétaire en État stratège, capable de piloter avec rigueur, performance et transparence un portefeuille d’entreprises publiques redimensionné.

Alors que plusieurs pays africains se posent la question du redressement de leur secteur public, l’expérience marocaine devient une source d’inspiration crédible et concrète.


Une doctrine d’État actionnaire inédite en Afrique

Ce qui distingue aujourd’hui le Maroc, c’est moins la réforme institutionnelle que l’affirmation d’une véritable doctrine publique, claire et mesurable. Avec la Politique Actionnariale adoptée en 2023-2024, l’État entend jouer un rôle d’actionnaire stratégique et non plus passif, en fixant des missions précises aux entreprises publiques, régulièrement évaluées.

La gouvernance se veut modernisée, avec des conseils d’administration renforcés, des dirigeants sélectionnés sur des critères objectifs et une performance strictement mesurée. La parité y est érigée en principe, garantissant l’intégration des femmes dans les instances de décision, tandis que l’ouverture du capital, y compris en Bourse, est envisagée sans pour autant sacrifier les actifs stratégiques.

Cette doctrine, traduite en outils concrets (contrats de performance, référentiels, viviers de talents, suivi digitalisé), donne une lisibilité rare à l’action de l’État, ce qui n’est pas le cas dans la majorité des pays africains où le pilotage des entreprises publiques reste flou ou personnalisé.

Une agence centrale au cœur du dispositif

La création de l’ANGSPE marque une rupture majeure en centralisant, pour la première fois, la gestion stratégique de l’ensemble des participations publiques, là où chaque ministère administrait auparavant “ses” entreprises selon des logiques éclatées. Cette approche unifiée offre une vision consolidée du portefeuille de l’État, facilite l’identification de synergies entre secteurs et professionnalise la gestion des nominations, des évaluations et des opérations de restructuration.

Dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’idée d’une agence centrale de l’État actionnaire reste embryonnaire. Le Maroc peut donc, par son exemple, poser les fondations d’un nouveau modèle institutionnel africain, où l’État est stratège, mais non gestionnaire au quotidien.

​Des piliers exportables aux autres économies africaines

Sans chercher à reproduire mécaniquement des modèles, la réforme marocaine offre des leviers adaptables à d’autres contextes africains. Elle érige la transparence en outil de performance, avec la publication systématique des états financiers, rapports d’évaluation et contrats d’objectifs.

Elle professionnalise les conseils d’administration en y intégrant des profils issus du privé, des experts techniques et davantage de femmes, tout en clarifiant la séparation entre tutelle politique et gouvernance opérationnelle, rompant ainsi avec le contrôle bureaucratique au profit d’une évaluation stratégique.

Elle mise aussi sur la Bourse pour mobiliser l’épargne locale, valoriser les actifs publics et renforcer la culture de redevabilité. Enfin, elle adopte une logique de rendement global, appréciant les entreprises publiques non seulement à l’aune de leurs résultats financiers mais aussi de leur impact social, territorial et environnemental. Autant de principes transposables à des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Rwanda ou le Ghana, où des dynamiques similaires de réforme sont déjà en cours.

​Des coopérations Sud-Sud à activer

Le Maroc pourrait dépasser le simple rôle d’inspiration pour devenir un acteur central de la modernisation de l’État actionnaire en Afrique, en s’appuyant sur des initiatives concrètes : organiser des formations croisées entre administrateurs marocains et africains, déployer des missions de conseil de l’ANGSPE auprès de structures en émergence, standardiser à l’échelle régionale les indicateurs de performance afin de favoriser la comparaison transnationale, et co-créer des champions africains dans des secteurs stratégiques comme les énergies renouvelables, la logistique ou l’agriculture durable, avec une gouvernance mixte public-privé.

Une telle diplomatie économique de la gouvernance consoliderait la place du Maroc comme pôle régional de savoir-faire étatique, alliant ingénierie financière, expertise juridique et management stratégique.

​Des limites à ne pas sous-estimer

L’exportabilité du modèle marocain n’est pas automatique et appelle une lecture nuancée. La solidité institutionnelle dont bénéficie le Royaume n’est pas toujours réplicable, tandis que la légitimité politique des agences centrales varie selon les contextes nationaux. Le risque d’une “réforme vitrine”, sans véritable changement de culture managériale, demeure réel, tout comme la perception, dans certains pays soumis à de lourds ajustements structurels, d’une privatisation déguisée. Ces limites ne doivent toutefois pas freiner l’ambition, mais encourager une adaptation intelligente, fondée sur les réalités locales, plutôt qu’un mimétisme aveugle.

​Une opportunité stratégique pour l’Afrique de demain

Dans un continent où les besoins en services publics, en infrastructures et en gouvernance sont immenses, la transformation des entreprises publiques est une priorité politique majeure. Elle est aussi la condition d’un développement souverain et soutenable.

Le Maroc, en structurant son État actionnaire, offre une boussole, une méthode, un retour d’expérience. Il ne prétend pas avoir réponse à tout, mais il montre que l’on peut réconcilier performance, équité et intérêt général dans la gestion du secteur public.

À l’heure où l’Afrique cherche ses modèles endogènes, l’expérience marocaine en matière d’État actionnaire pourrait bien devenir un exemple africain… pour l’Afrique.




Vendredi 18 Juillet 2025