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Comment substituer les importations par la production nationale ?


Le Maroc ambitionne de substituer pas moins de 34 milliards de dirhams (MMDH) d’importations par la production locale et ce, en vue de permettre au tissu économique national de repartir sur de bonnes bases, après la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus (Covid-19).



Comment substituer les importations par la production nationale ?

C’est dans ce sens que l’expert international Amine Laghidi, président de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX) Centre Région Rabat et vice-président du Congrès africain des mines et énergies, analyse et explique, dans un entretien à la MAP, les moyens à déployer pour aboutir à une production nationale forte à même de réduire drastiquement les importations et rééquilibrer la balance commerciale.
 

Quelles sont les pistes à explorer pour atteindre cet objectif ?
 

Tout d’abord, je tiens à souligner que lorsqu’un problème persiste, il est nécessaire de le traiter avec une approche différente qui repose essentiellement sur la créativité en termes d’outils. Il s’agit d’un changement de paradigme.

La substitution des importations par la production nationale est un problème lié à la balance commerciale qui est déficitaire depuis longtemps. La seule fois où la balance commerciale marocaine n’a pas été déficitaire est quand les contrôles des importations et de devises étaient imposés.

Il est question d’un problème structurel qui doit être appréhendé différemment. L’approche doit prendre en considération un paradigme consistant à faire du Maroc un hub de commerce international et du trading. La transformation des zones de Tanger et Dakhla, en particulier, en zones de trading international comme Singapour et Dubai.

Outre l’industrie et la production nationale, ce volet trading porte aussi sur le fait d’importer pour réexporter. L’avantage de cette opération nous permettra d’acquérir une matière première de masse à moindre coût et par la suite, d’exporter en masse, ce qui diminuera automatiquement le coût d’export (logistique, commercial, prospection, financement, etc).

Ainsi, nous allons réussir à amortir les infrastructures, dont dispose le Royaume et qui sont excellentes grâce à la vision royale, à acquérir la matière première pour réexporter et à disposer d’une forte production nationale.

Et compte tenu qu’il est un mouvement de masse, ce trading permettra de générer un chiffre d’affaires de masse, de créer de nouvelles sources nationales de financement et de renforcer et structurer davantage le capital national.

A cet égard, je tiens à faire remarquer qu’aujourd’hui, les entreprises marocaines souffrent d’une faible capitalisation. Nous avons des coûts d’export et d’acquisition de matières premières plus importants que ceux de nos concurrents.

Il existe même des filières historiques, comme le textile, où nous ne disposons pas de toute la chaîne de valeur. Avec le trading, la matière première sera disponible d’une manière automatique et à moindre coût.

Une autre phase porte sur le renforcement de la compétitivité de l’industrie nationale. Le marché domestique doit être un phénomène de relance et non pas un retour au protectionnisme.

Il ne faut pas relancer uniquement par le financement, l’accompagnement financier ou le sponsoring des entreprises productrices. Certes, le financement est fondamental, mais il est nécessaire de le compléter par la centralisation de la demande nationale.

Le catalyseur sera la mise en place de Centrales d’achats nationales qui vont transformer la demande nationale éclatée, laquelle s’avère coûteuse pour le citoyen marocain. Ces centrales d’achats pourront négocier avec les importateurs pour diminuer les coûts d’import, ainsi qu’avec les industriels marocains pour identifier les besoins en termes de qualité, de quantité et de prix.

Elles vont inciter le secteur industriel marocain à se massifier, soit une massification capitalistique (fusion, absorption, achat) ou bien une massification stratégique (joint-venture).

En effet, ces centrales d’achat vont exprimer une demande certaine et structurée, qui sera satisfaite par une offre/production nationale forte, diversifiée, composée de grandes entreprises (GE) en groupement et en synergie avec des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) dynamiques.

Ce système va permettre à l’économie marocaine de bénéficier des avantages de chaque taille. Il s’agit de la capitalisation, de l’innovation, de l’accès aux ressources stratégiques, de la flexibilité, de la territorialité, de la spécialisation et de la diversification en même temps.

 

Quels liens auront ces centrales avec le reste du monde ?
 

Justement, nos centrales d’achat passeront par la suite, à l’internationalisation, se transformant ainsi en une locomotive d’export et de distribution à l’étranger, ce qui permettra au tissu industriel, service et agricole qui les entoure de se renforcer et de prendre en ampleur.

Les TPE et PME seront ainsi exonérées du coût et du risque de cette internationalisation, tandis que les GE disposeront d’un outil important de développement et de diversification territoriale mutualisée avec leur propre écosystème de fournisseurs et de clients.

Résultat: L’offre exportable nationale se renforcera encore plus et ce, sur une base productive et non spéculative ou théorique.

Et comme nos exportations demeurent concentrées sur quelques pays comme l’Espagne et la France, cette internationalisation sera axée sur la diversification des partenaires économiques de manière concrète, la consolidation de la part des marchés africains, outre l’ouverture sur de nouveaux marchés, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Russie, les pays asiatiques et ceux du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le Maroc est dans une économie de niche par rapport à l’export. Nous devrons également encourager le phénomène de marque de luxe. Il n’est plus question de volume, mais plutôt de la valeur ajoutée, de l’image, de la composante culturelle, de l’histoire, de la civilisation, etc.

Il est primordial aussi de garantir la qualité à l’export, d’où l’importance des centrales spécialisées privées. Assurer la continuité de la chaîne et éviter les ruptures de stocks sont deux aspects prioritaires.

Le brand « Made in Morocco » doit être encouragé dans son absolu, avec sa composante culturelle, son histoire et surtout le produit d’origine. Cette logique permettra la création d’une forte classe moyenne rurale et urbaine.

Il faut imposer le Maroc comme un hub de trading de luxe pour attirer l’investissement et la matière première à moindre coût.

En somme, la centralisation de la demande en interne a pour objet de la centraliser à l’export, ce qui amènera à la clusterisation des entreprises marocaines par des phénomènes de joint-venture, de rapprochement, de consolidation, etc.

La production nationale qui sera en mesure de se substituer aux importations, réussira à générer suffisamment d’emplois en milieux rural et urbain, et garantira l’augmentation des exportations, permettant d’atténuer le déficit commercial.
 

Dans ce sillage, quel sera le rôle du Fonds Mohammed VI pour l’investissement ?
 

Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement va donner un boost aux GE pour jouer le rôle de locomotive, en les aidant à se capitaliser encore plus, à s’exporter et à s’industrialiser davantage, ainsi qu’à avoir accès à des ressources humaines de qualité.

Tout ça afin qu’elles puissent tirer la TPME aussi bien dans l’industrialisation au Maroc qu’à l’international. Ces locomotives vont être sectorielles (agriculture, pêche, industrie lourde, …), ce qui va donner une nouvelle dynamique.

Il s’agit d’accompagner les grands groupes marocains, et dans leur sillage les TPME, dans une logique d’internationalisation, notamment vers le continent africain qui est fondamental.

Le Fonds visera l’encouragement de l’industrialisation, la création de l’emploi en masse, la qualité et la logique d’internationalisation. C’est aussi un levier de formalisation de plusieurs entreprises, notamment des TPME qui, pour travailler avec le fonds directement ou les grandes entreprises, sont dans l’obligation d’être structurées et de respecter les engagements sociaux, environnementaux, voire même être des élites en la matière.

Amine Laghidi / La MAP



Lundi 15 Février 2021