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Comparer l’IA au vivant : une erreur de méthode, un danger pour le débat public


Par Dr Az-Eddine Bennani

J’ai pris connaissance du livre de Didier van Cauwelaert, L’intelligence naturelle – Quand le génie du vivant surpasse l’IA. Je veux d’abord préciser que je n’ai jamais écrit sur le vivant. Ce n’est pas mon champ. Je respecte celles et ceux qui ont la compétence pour parler de biologie, d’évolution ou d’écosystèmes. Je peux donc accueillir sans réserve ce qu’il décrit comme la merveille du vivant, son intelligence subtile, son génie adaptatif.

Là où je suis en profond désaccord, c’est lorsque l’auteur compare ce qu’il appelle “l’intelligence naturelle” à l’intelligence artificielle, et en tire des conclusions sur la prétendue supériorité du vivant sur la machine. Ce type de comparaison n’a aucun fondement scientifique, ni technique, ni logique. Ce n’est pas un débat. C’est un glissement sémantique, une confusion entre les domaines.

Ce que j’écris depuis plusieurs années, dans mes articles, mes conférences, mes livres et mes interventions publiques, c’est que l’IA n’est qu’un outil. Une création humaine. Un système algorithmique conçu pour traiter l’information, automatiser des tâches, aider à la prise de décision. Elle ne vit pas. Elle ne pense pas. Elle n’évolue pas de manière autonome. Elle ne ressent rien. Elle calcule. Elle simule. Elle modélise.

Tout comme un crayon, l’IA est un prolongement de notre capacité à agir et penser. J’ai écrit un jour : « L’IA est un Qalam. » Elle trace ce que nous lui indiquons. Elle restitue ce que nous avons codé. Elle amplifie ce que nous sommes capables d’imaginer, mais elle n’existe pas en dehors de nous.



Comparer l’IA au vivant est une erreur de méthode.

Comparer l’IA au vivant : une erreur de méthode, un danger pour le débat public
Cela revient à comparer une cellule vivante à une ligne de code. Cela revient à dire que des neurones sont supérieurs à des transistors. Le vivant est biologique, relationnel, évolutif. L’IA est mathématique, computationnelle, architecturée. Elles ne se concurrencent pas. Elles ne se mesurent pas avec les mêmes échelles. Elles ne relèvent pas du même ordre de réalité.

Le danger de ce type de discours, c’est qu’il déforme le débat. Il entretient une peur artificielle de l’IA, fondée sur des projections, des intuitions, des analogies sans fondement. Et pendant ce temps, les vraies questions sont oubliées : la souveraineté numérique, l’éducation à la culture informatique, la maîtrise des infrastructures, la transparence des algorithmes, le rôle des États face aux Big Tech, l’éthique et la sécurité.

Ce n’est pas en comparant l’IA au vivant que l’on protège la société. C’est en donnant aux citoyens les outils pour comprendre l’IA. C’est en formant les décideurs. C’est en écrivant des lois. C’est en faisant de l’informatique une culture aussi légitime que celle du langage ou des arts.

Comme je l’ai déjà écrit, il est urgent que des pays comme le Maroc ou la France adoptent une législation définissant qui peut légitimement parler d’IA, surtout quand il s’agit de recommander des stratégies publiques, d’alerter sur des risques, de proposer des cadres juridiques.

La Chine l’a fait en limitant les prises de position sur l’IA à celles et ceux qui en maîtrisent les fondements scientifiques. Ce n’est pas censurer. C’est protéger le débat public.

Je n’ai aucun problème avec ceux qui s’émerveillent devant la beauté du vivant. Mais je refuse que l’on caricature l’IA pour glorifier le vivant. Ce n’est ni honnête ni utile. Je demande qu'on traite l'IA avec sérieux. Qu’on la regarde pour ce qu’elle est : un outil puissant entre les mains de l’humanité, qui mérite d’être compris, encadré, gouverné. Non pas comparé, mais maîtrisé.

Par Dr Az-Eddine Bennani

 


Lundi 17 Novembre 2025