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Conflits, climat, chaos : la résilience impossible du secteur privé MENA ?


Rédigé par La Rédaction le Lundi 28 Avril 2025



Conflits, climat, chaos : la résilience impossible du secteur privé MENA ?
La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) semble enfermée dans un triangle infernal : conflits récurrents, dérèglement climatique, instabilité économique. Dans ce contexte, espérer que le secteur privé puisse jouer le rôle de moteur de la croissance relève presque de la fiction. C’est pourtant l’objectif affiché par de nombreux plans nationaux et institutions internationales. Mais comment bâtir un tissu entrepreneurial résilient dans une région si exposée aux chocs ?

Le rapport de la Banque mondiale d’avril 2025 ne cache pas son inquiétude. Les entreprises de la région MENA, déjà confrontées à de faibles taux d’investissement et d’innovation, sont aussi très mal préparées à affronter les crises, qu’elles soient sécuritaires, économiques ou climatiques. Cette vulnérabilité structurelle empêche tout rebond durable.

D’abord, les conflits armés ont laissé des cicatrices économiques profondes. Aucun pays MENA touché par la guerre n’a connu de véritable reconstruction économique au cours des deux dernières décennies. Syrie, Yémen, Libye, Palestine : la destruction du tissu productif, la fuite des capitaux, l’exode des talents et l’effondrement institutionnel rendent toute relance extrêmement lente et incertaine. En Palestine, par exemple, le PIB de Gaza s’est effondré de 83 % en 2024. À Gaza comme ailleurs, l’activité économique est devenue de la survie.

Ensuite, le secteur privé MENA est aussi extrêmement exposé aux aléas climatiques. Sécheresses, canicules, inondations, stress hydrique : la région figure parmi les plus vulnérables au monde. Or, les entreprises – notamment agricoles, artisanales et touristiques – n’ont pas les moyens techniques ni les outils d’assurance pour anticiper ces chocs. L’absence de filet de sécurité environnemental se double souvent d’une gestion inefficace des ressources naturelles par les pouvoirs publics.

À cela s’ajoute une instabilité économique chronique, amplifiée par la volatilité des marchés du pétrole, les blocages logistiques mondiaux, et l’incertitude des politiques commerciales. Les exportateurs dépendent des prix du brut ; les importateurs souffrent des taux de change, de la dette, et de la fuite des devises. L’investissement privé devient un acte de foi, souvent reporté, parfois abandonné.

Dans ce contexte, la résilience du secteur privé apparaît comme une utopie inachevée. Même les entreprises les plus solides sont fragilisées. Peu d’entre elles disposent de marges de manœuvre suffisantes pour se réorganiser rapidement en cas de crise. Les pratiques de gestion sont anciennes, le numérique peine à se diffuser, et les réseaux d’appui (banques, assurances, services publics) manquent de capacité.

Et pourtant, des signaux faibles de résistance apparaissent. Des microentreprises s’adaptent en changeant d’activité, des jeunes innovent dans le digital, des femmes montent des coopératives locales. Mais ces expériences restent éparses, isolées, non soutenues par des politiques globales.

La Banque mondiale recommande donc une double stratégie :

  1. Renforcer la capacité des entreprises à encaisser les chocs, via des outils d’assurance, de gestion du risque, de numérisation, et de soutien ciblé en cas de crise.

  2. Améliorer l’environnement macroéconomique, en réduisant l’incertitude politique, en clarifiant les régulations et en sécurisant l’accès aux ressources essentielles.

Mais ces recommandations ne porteront leurs fruits que si les États de la région acceptent de partager le pouvoir économique avec leurs sociétés civiles, en favorisant l’inclusion, la transparence et l’innovation locale. C’est à ce prix que la résilience ne sera plus un vœu pieux.


​Et si la résilience du secteur privé MENA était un mythe importé, mal adapté à la réalité locale ?

Parler de résilience suppose un minimum de stabilité préalable, or celle-ci n’existe tout simplement pas dans plusieurs pays de la région. Demander à des entreprises informelles, sans accès au crédit ni à la sécurité sociale, de "rebondir" après un choc, c’est comme exiger d’un funambule sans filet de danser en cas de tempête.

De plus, vouloir "renforcer" un secteur privé sans remettre en cause la structure politique autoritaire qui l’enferme, c’est soigner les symptômes sans traiter la maladie. Les entreprises ne sont pas que des unités de production : elles ont besoin de liberté, de droit, de contrat, de justice. La résilience économique est inséparable de la démocratie économique.

Enfin, face aux changements climatiques et aux conflits géopolitiques, peut-être faut-il reconnaître que certaines économies ne pourront pas simplement "s’adapter", mais devront se transformer en profondeur, voire ralentir. Plutôt qu’un "secteur privé résilient", peut-être avons-nous besoin d’économies sociales, locales, frugales, plus en lien avec les réalités humaines et écologiques de la région.

Article dans L'Eco Business du 27 Avril 2025





Lundi 28 Avril 2025