Dans un pays comme le nôtre, où le darija et le tamazight sont avant tout des langues orales, les voix ont toujours porté la mémoire collective : contes, proverbes, chants, scènes rejouées dans les maisons et les champs. Raconter est un art ancien, qui demande de choisir le moment, doser peur et rire, observer l’enfant. Et écouter, c’est apprendre à suivre, anticiper, se souvenir. Par les contes, l’enfant développe imagination, attention, analyse et compréhension bien plus qu’en suivant des images toutes faites.
L’oralité donne au langage une dimension concrète : la voix vient d’un corps présent, réel, et relie l’auditeur à celui qui raconte. Les contes des grands-mères enseignent la sagesse, la peur, la jalousie ou le courage, sans violence ni moralisation. Pour l’individu, ils permettent d’apprivoiser ses émotions ; pour le groupe, ils construisent un langage commun ; pour la société, ils constituent un antidote à l’uniformisation culturelle, en racontant le monde depuis nos propres paysages et préoccupations.
Face à la disparition de ces gestes, il est tentant de tout archiver : filmer, enregistrer, sauvegarder. Mais une culture orale survit surtout en étant recréée, en adaptant les anciens contes à nos vies contemporaines et en inventant de nouveaux récits. La tradition n’est pas trahie : elle continue de vivre lorsque l’on raconte le présent avec ses propres images et tensions.
Les contes ne sont pas un simple folklore : ils organisent le chaos du quotidien, structurent l’expérience humaine et transmettent sens, sagesse et mémoire. Dans un pays façonné par les langues orales, maintenir, adapter ou recréer ces récits est une nécessité, afin que les générations futures héritent non seulement d’histoires anciennes, mais surtout de la capacité à en créer et à les partager.
Ce que nous laisserons aux prochaines générations, ce n’est pas seulement un répertoire d’histoires, mais l’habitude précieuse de se réunir, prendre le temps et dire à ceux qu’on aime : raconte-moi encore…