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Croissance sans emploi


Par Mustapha Sehimi

Malgré deux décennies de réformes et d’investissements colossaux, l’économie marocaine peine toujours à convertir sa croissance en emplois durables. Tel est le constat sévère dressé par l’Institut royal d’études stratégiques, qui livre un diagnostic sans détour, des comparaisons internationales et des pistes de refondation pour réconcilier productivité, équité territoriale et inclusion sociale.



Voici une étude de synthèse de l’Institut royal d’études stratégiques (IRES), dirigé par Mohamed-Tawfik Mouline, qui apporte une contribution précieuse à la compréhension des politiques publiques et au débat national :

Mustapha SEHIMI
Mustapha SEHIMI
« Croissance économique et création d’emplois – Pourquoi l’économie marocaine peine à créer de l’emploi? » (mai 2025, 277 p.).

Le rapport retient plusieurs angles d’analyse: un diagnostic couvrant la période 2000-2024 sur la problématique de l’emploi, l’examen des facteurs expliquant la faible corrélation entre croissance et création de postes, une évaluation des politiques de l’emploi à la lumière d’expériences internationales réussies, et enfin des propositions stratégiques assorties de mesures opérationnelles.
 

Le constat est préoccupant. Les données du HCP parlent d’elles-mêmes: un taux de chômage de plus de 13% au niveau national, 17% en milieu urbain, 40% chez les jeunes de 15 à 24 ans, 21% chez les femmes et 20% chez les diplômés. Le taux d’activité, qui était de 52% en 2000, a chuté à 42% en 2024. L’informel, lui, représente plus de 60% de l’économie. Résultat: le taux d’inactivité a bondi de 47% à 54%. Comme le souligne l’étude, «plus de la moitié de la population marocaine en âge de travailler n’occupe pas d’emploi et n’en cherche même pas». Une situation pour le moins alarmante.
 

Pourquoi, dès lors, les investissements en capital peinent-ils à produire les effets escomptés? La Banque mondiale et le HCP l’avaient déjà signalé: le capital accumulé est de «faible qualité». Le rapport pointe des allocations insuffisantes vers les secteurs les plus dynamiques, mais aussi le déficit de compétences de la main-d’œuvre.

À cela s’ajoute le décalage entre le succès de certains métiers mondiaux (automobile, aéronautique…) et les difficultés persistantes des entreprises locales à s’intégrer pleinement dans les chaînes de valeur industrielles. Les disparités régionales amplifient encore ce fossé: Rabat et Casablanca concentrent l’essentiel des services et de l’industrie, tandis que les PME des autres régions peinent à attirer les investissements.


« Le système entrepreneurial doit être réarticulé et consolidé, avec un accompagnement renforcé et une planification stratégique de long terme, capable d’aligner système éducatif et politiques de l’emploi. »

Dans l’analyse des liens entre croissance et emploi, les secteurs moteurs demeurent l’agriculture, le BTP, le commerce et certains services. Le secteur industriel, lui, reste peu créateur d’emplois. Les causes sont connues: difficultés de financement pour les PME innovantes, système éducatif inadapté, faible investissement dans les technologies de pointe. L’effet d’entraînement reste limité, et l’emploi, de qualité médiocre.
 

Face à ce constat, l’IRES propose de cibler les secteurs offrant à la fois un fort potentiel de croissance et une capacité à créer massivement des emplois: technologies, énergies renouvelables, industries avancées. L’étude recommande une croissance davantage tournée vers l’économie numérique, la valorisation des filières exportatrices à fort potentiel, une agriculture de productivité, le soutien à l’entrepreneuriat rural, aux jeunes et aux femmes, ainsi qu’une meilleure intégration des travailleurs informels dans les plateformes numériques.
 

Pour les entreprises, les lignes directrices sont claires: faciliter l’accès au financement pour les porteurs de projets et les PME, instaurer un régime fiscal incitatif pour l’entrepreneuriat, encourager l’innovation par la recherche et le développement, et adapter la formation professionnelle aux exigences des industries émergentes et des nouvelles technologies.
 

Enfin, le marché du travail exige des priorités affirmées: renforcer la gouvernance, cibler davantage les jeunes, les femmes et les NEET, et territorialiser les politiques de l’emploi pour réduire les disparités régionales. Le système entrepreneurial doit être réarticulé et consolidé, avec un accompagnement renforcé et une planification stratégique de long terme, capable d’aligner système éducatif et politiques de l’emploi.
 

Réaliser une croissance inclusive et durable, voilà le véritable défi. Cela suppose de maximiser l’impact des politiques actives de l’emploi, de renforcer la coordination interinstitutionnelle et d’assurer une répartition équitable des fruits de la croissance entre toutes les régions. Un mot d’ordre, une ardente obligation, qui doit nourrir durablement le débat national.

PAR MUSTAPHA SEHIMI/LE360.MA



Vendredi 10 Octobre 2025