Une illusion d’optique
Nisrine Iouzzi, la boss du chantier, ingénieure d’État en hydraulique et en géotechnique, assure pourtant que près de la moitié de l’ouvrage est déjà réalisée. Sur le moment, une pointe de déception affleure. J’aurais le temps un peu plus tard de corriger ‘’mon port fantasmé’’ pour me rendre compte combien cette première impression est une illusion d’optique.
Cette visite du chantier concluait deux journées d’échanges intenses lors de la 5ᵉ édition du Forum MD Sahara, que l’on doit au tandem de Maroc Diplomatique, Souad Mekkaoui/Hassan Alaoui. Une édition réussie, où se mêlaient débats de fond et retrouvailles.
On y croisait l’ancien Premier ministre Driss Jettou, fidèle à sa discrétion depuis son départ de la Cour des Comptes, l’infatigable Mohamed Mardji, Le photographe de trois rois, ou encore Mohand Laenser, dont l’expertise en gestion territoriale a donné un vrai relief au panel auquel il participait.
Également Neila Tazi, présidente à la 2ème Chambre de la Commission des AE et de la Défense nationale, et l’incontournable représentant du Maroc à l’ONU qui y évoluait en véritable vedette : selfies pour les uns, poignée de main pour les autres.
Même Seddik Maaninou, pourtant très sollicité, rivalisait à peine avec la popularité de Omar Hilale.
Un pur produit marocain
Le gotha technocratique, lui, a livré un plaidoyer structuré pour un modèle de développement fondé sur l’investissement, l’innovation et la durabilité.
C’est tout naturellement dans ce panel que Nisrine Iouzzi, pure produit de l’École Nationale supérieure des mines de Rabat, qui avait troqué sa tenue de chantier pour des talons assortis à un élégant tailleur blanc, a expliqué les fondements d’un projet qui conjugue économie, souveraineté et géopolitique.
Sous sa direction, un effectif de 1400 personnes, presque exclusivement des hommes, sur une superficie de 1 600 hectares qui commencent à accueillir des quais extensibles à volonté et des zones industrielles et de stockage assainies.
Sa maîtrise du dossier, son débit assuré, en disent long sur le Maroc qui se construit : un pays où les grands ouvrages sont désormais portés par des compétences locales, masculines aussi bien que féminines, mus par une vision d’ensemble.
Dans ce moment précis et dans ce décor grandeur nature, Nisrine Iouzzi offre à elle seule un condensé du Maroc de Mohammed VI.
Une vision qui s’amarre
Les cubes dépassent les quatre mètres. Chaque bloc usiné in situ, est un fragment de digue, une partie infime d’un rempart sur lequel viendront se briser les vagues de l’Atlantique.
Dans ce bout du désert, entre dalles et dédales, la scène est impressionnante : décharges des métaux, ballet des engins, grues géantes défiant les vents qui font le bonheur des kite-surfeurs, des cadres et des ouvriers à la tâche 24 sur 24, sept jours sur sept, donnent corps à l’ouvrage.
Le Port Atlantique de Dakhla n’est pas seulement pensé pour accueillir les navires. Il amarre une vision. Conçu pour domestiquer les turbulences de l’océan, il transforme la puissance de l’océan en dynamique économique.
Une fois le port achevé, Dakhla ne sera plus l’ultime étape avant Lagouira et la frontière mauritanienne, ou seulement un lieu de villégiature pour les randonneurs et les kite surfeurs.
Mais une jonction entre l’Afrique, l’Europe et les outres Atlantiques. Elle formera un corridor qui reliera les usines, les zones logistiques, les plateformes de transformation et un espace d’échanges pour le Sahel.
Dakhla, ville-monde en devenir
La ville elle-même qui pour l’instant aime s’animer le soir venu, s’inscrit déjà dans cet avenir.
Et déjà Dakhla n’est plus celle de mes souvenirs. Le dernier remonte à la fin des années 1990.
Autour de l’axe d’Al Ouala’e (à la fois allégeance et loyauté), long de quelque quatre km, nouvellement refait et élargi, la ville, s’est étendue et continue de s’agrandir, domptant sur son passage l’aridité du sol. Le prix du foncier et de l’immobilier anticipe sans complexe cet avenir.
Le littoral dans son ensemble est en chantier, et ici et là de nouveaux hôtels ‘’écolos’’ surgissent du désert pour répondre à une demande de plus en plus importante.
Au port, les ingénieurs savent que l’ouvrage outrepasse sa fonction et inscrit désormais la région et Dakhla dans une autre échelle pour devenir une ville-monde et un grand carrefour non plus pour les vaisseaux du désert, mais pour les navires cargos et les industries qu’ils draineront dans leur sillage.
PAR NAIM KAMAL/QUID.MA
