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Destins bouleversés : effets à long terme de la hausse des prix et de l’insécurité alimentaire dans la région moyen-orient et afrique du nord

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Les auteurs du rapport Destins bouleversés ont accompli un exploit rare. Ils demandent poliment à leurs lecteurs de prêter une attention particulière à l’avenir de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), alors que nous sommes consumés par les tendances actuelles de ralentissement de la croissance économique et de forte inflation.



Destins bouleversés : effets à long terme de la hausse des prix et de l’insécurité alimentaire dans la région moyen-orient et afrique du nord
Le rapport fait valoir qu’il est temps de passer à l’action afin de remédier aux répercussions à long terme de l’insécurité alimentaire avant que celles-ci ne deviennent incontrôlables dans les années à venir.

Nous recommandons donc ce rapport aux universitaires, aux responsables politiques, aux dirigeants d’organisations de la société civile, en fait à tous ceux qui ont intérêt à construire un avenir prospère pour les enfants de la région. Dans la région MENA, nous observons des trajectoires de croissance divergentes d’un pays à l’autre, un point sur lequel nous sommes d’accord avec les auteurs.

Les économies exportatrices de pétrole à revenu élevé, les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont dégagé des bénéfices exceptionnels de la hausse des prix du pétrole en 2022. Dans le même temps, les économies importatrices de pétrole et de produits alimentaires ont été confrontées à des pressions grandissantes en 2022, qui ont été renforcées par des conditions préexistantes, en particulier des vulnérabilités budgétaires dues à des niveaux élevés de dette publique.

Le rapport Destins bouleversés fait un rappel utile des notions de base sur la croissance et l’inflation. Nous sommes largement d’accord avec le diagnostic macroéconomique établi par les auteurs, mais pour nous, cela a été très instructif de voir comment les prévisions du secteur privé avaient évolué depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022.

Ceux-ci avaient vu le ciel s’assombrir en 2022 pour la plupart des pays à revenu intermédiaire de la région MENA, tandis qu’il s’éclaircissait pour le CCG. Et en phase avec les prévisions de la Banque mondiale, les prévisionnistes du secteur privé constatent un ralentissement de la croissance dans les pays du CCG en 2023 et 2024, qui revient à des taux semblables voire inférieurs à ceux des pays à revenu intermédiaire importateurs de pétrole. Plus important encore, à notre avis, la croissance des revenus par personne dans la région devrait baisser à environ 1,6 % en 2023, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale.

Bien que notre vision de l’avenir proche soit assombrie par l’incertitude mondiale — par exemple, nous ne pouvons pas prédire avec certitude comment la guerre contre l’Ukraine évoluera dans les mois à venir ou quand la politique de resserrement du crédit prendra fin sur les principaux marchés mondiaux —, nous savons avec certitude que le ralentissement de la croissance des revenus dans la région MENA se produit dans un contexte de hausse rapide des prix des denrées alimentaires. Il ne faut donc pas un effort d’imagination pour comprendre le point principal que veulent faire valoir les auteurs : une véritable crise d’insécurité alimentaire se profile dans toute la région.

Que vous soyez d’accord ou non avec les estimations des auteurs, ce rapport mérite d’être lu avec attention. Dans la conjoncture macroéconomique actuelle, la hausse des prix des denrées alimentaires fait qu’il est difficile pour les familles de joindre les deux bouts.

L’inflation frappe beaucoup plus durement les pauvres que les riches parce que les pauvres dépensent la majeure partie de leur budget pour la nourriture et l’énergie.

C’est un schéma bien connu, qui s’applique à la région MENA comme ailleurs dans le monde. L’insécurité alimentaire induite par les effets simultanés des prix élevés des denrées alimentaires et de la faible croissance économique peut avoir des conséquences considérables.

Alors que les effets immédiats de l'insécurité alimentaire peuvent se manifester par des pertes de vie dévastatrices lorsque les enfants sont mal nourris, même in utero, leur destin peut être bouleversé à jamais, car ils se retrouvent sur la voie d’une prospérité limitée. Si vous vous souciez de la prochaine génération et des suivantes dans la région MENA, alors les analyses empiriques présentées dans Destins bouleversés devraient être à la fois instructives et un appel à l’humilité. 

Même des augmentations temporaires des prix des denrées alimentaires peuvent avoir des effets à long terme sur la région, causant des dommages irréversibles à long terme, en particulier chez les enfants.

Le rapport fait valoir que la hausse des prix des denrées alimentaires depuis février 2022 pourrait avoir augmenté le risque de retard de croissance pour des centaines de milliers de nouveau-nés dans la région.

Les auteurs nous disent que d’éminents chercheurs ont constaté que non seulement la malnutrition mène à des résultats inférieurs aux examens et à des années de scolarité en moins, mais lorsque ces enfants grandissent, ils ont des revenus inférieurs et un état de santé moins bon à l’âge adulte.

De plus, les effets sont intergénérationnels — les enfants de ces adultes peuvent également être affectés. De ce fait, les travaux évoqués dans le rapport présentent en eux-mêmes un intérêt pour les responsables politiques et les analystes du monde entier.

Pourtant, le rapport nous avertit que la région MENA est spéciale. Sa population est jeune, ce qui signifie que l’insécurité alimentaire peut lui causer des dommages importants. Plus important encore, la nutrition et la santé des enfants laissaient déjà à désirer dans la région avant les chocs provoqués par la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine.

Le taux initial de retard de croissance était beaucoup plus élevé dans de nombreux pays de la région que dans les autres pays ayant un niveau de revenu équivalent. La composition diététique des aliments destinés aux enfants est limitée, et la généralisation des subventions a sans doute modifié les dépenses alimentaires des ménages en les orientant vers des produits moins nutritifs.

Cela est attesté par le double fardeau de la malnutrition — l’obésité et la dénutrition infantiles coexistent dans de nombreux pays MENA. Surtout, nous ne savons rien de la situation sanitaire et nutritionnelle actuelle des enfants, car nous ne disposons malheureusement pas de données récentes.

Comment pouvons-nous nous attaquer au fléau de l’insécurité alimentaire si nous le cherchons dans le noir ? On se trouve là encore devant une situation où des systèmes de données médiocres obscurcissent notre champ de vision précisément au moment où nous savons qu’il est temps d’agir.

Pour décrire l’état actuel de l’insécurité alimentaire dans la région, les auteurs déploient les dernières techniques de modélisation de l’apprentissage automatique et fournissent des estimations qui nous ont donné des sueurs froides. La prévalence de l’insécurité alimentaire dans la région n’a cessé d’augmenter, passant d’environ 11,8 % en 2006 à 17,6 % en 2023.

En d’autres termes, dans la région MENA, près d’un habitant sur cinq d’un pays en développement est susceptible de connaître l’insécurité alimentaire en 2023. Cela est dû en grande partie à la situation extrême de la Syrie et du Yémen, qui ont été présentés par le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) comme ayant des zones en crise.

Mais l’insécurité alimentaire est plus élevée dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et les pays à faible revenu de la région MENA que dans les autres pays à revenu comparable. Comme nous l’avons dit plus haut, le moment est venu d’agir, même si les conditions macroéconomiques ne sont pas favorables.

La région a une myriade de défis à relever pour satisfaire les aspirations des jeunes. Aujourd’hui, nous sommes en passe de décevoir les enfants de la région en mettant leur avenir en péril, à moins que nous n’agissions.

Les gouvernements de la région doivent agir sans tarder, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi pour des raisons économiques — les enfants sous-alimentés deviennent des travailleurs peu productifs.

L’insécurité alimentaire pose un défi énorme. Le rapport Destins bouleversés fait valoir que les besoins de financement du développement prévus pour les personnes en situation d’insécurité alimentaire grave dans la région MENA se chiffreraient en milliards de dollars par an. Nous invitons les lecteurs avertis à prendre langue avec les auteurs pour discuter des méthodologies et des politiques.

Le sujet est trop important pour ne pas tenir compte des conclusions du rapport. 

Nous sommes attachés à ce programme d’action, mais nous ne sommes pas naïfs. Les solutions à l’insécurité alimentaire sont coûteuses, mais nous sommes convaincus par l’argument des auteurs selon lequel les coûts de l’inaction, cumulés sur de nombreuses générations, seront plus élevés.

La finance sociale institutionnelle peut être utile pour renforcer la sécurité alimentaire à long terme dans la région. Le rapport aborde plusieurs domaines d'action qui méritent notre attention immédiate, couvrant un large éventail de politiques à soumettre au débat public, dont les transferts en espèces et en nature qui peuvent apporter un soulagement immédiat.

Toutefois, l’efficacité de ces politiques dépendra du contexte et de leur ciblage. Il serait judicieux d’investir dans la résilience et de s’attaquer à l’insécurité alimentaire chronique avant qu’elle ne dégénère en véritable crise. Les mères jouent un rôle essentiel dans la période la plus cruciale que représente la vie in utero et la petite enfance, d’où l’importance des politiques de genre. La qualité des soins médicaux est importante.

Des investissements médicaux correctifs peuvent se révéler nécessaires pour contrer les effets préjudiciables du mauvais statut nutritionnel et sanitaire qui caractérise les enfants dans la région MENA, et dont il est question dans le présent rapport. Nos systèmes de santé publique, de garde d’enfants et de protection sociale sont-ils prêts à relever ces défis que l’on peut voir même à travers le brouillard de l’incertitude mondiale ?

Dans un rapport de la même équipe publié précédemment, nous avons appris que la région était démunie face au choc de la Covid-19, malgré des auto-évaluations optimistes de l’état de préparation des systèmes de santé publique avant 20201 . Ne répétons pas la même erreur en tombant dans la complaisance, alors que nous devons également relever les défis macroéconomiques criants. Agissons sans tarder pour éviter des coûts plus élevés à l’avenir.

Ferid Belhaj & Dr. Muhammad Al Jasser 

Rapport en téléchargement



Dimanche 9 Avril 2023