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Dr BOUCHAREB : Une histoire de Choléra et de vols à l’hôpital BAB LAHDID à Fez


Rédigé par Dr Anwar CHERKAOUI le Jeudi 15 Juillet 2021

L’histoire de la Santé Publique au Maroc, depuis l’indépendance est très riche en renseignements scientifiques, sociologiques et économiques. Un médecin, Dr Fouad BOUCHAREB, s’est lancé dans l’aventure de raconter LA SANTÉ PUBLIQUE MAROCAINE. IL a passé plus de 35 ans au service de la santé des marocains, du dispensaire rural jusqu'aux méandres des cendres de décision au sein du ministère de la santé.
Dr BOUCHAREB, avec sa belle moustache et sa belle plume est un témoin privilégié de l'évolution de la santé publique dans le Royaume Chérifien. Lodj médecine et santé lui souhaite plein succès dans l'écriture de ses mémoires. Ci-dessous, un autre épisode écrit par ce vétéran de la santé publique marocaine.



Dr Anwar CHERKAOUI / lodj médecine et santé

Dr BOUCHAREB  : Une histoire de Choléra et de vols à l’hôpital BAB LAHDID à Fez
Travailler comme délégué du ministère de la santé à Fès est un grand privilège. Ça compte beaucoup dans un CV. C’est aussi un chemin semé d’embuche et un exercice quotidien fastidieux. Le Wali et le gouverneur sont très exigeants. Les élus militent toujours pour l’amélioration des services de santé et ont la critique facile. La population est très revendicatrice. Fès compte aussi un bon tissu associatif ,une société civile très active et de nombreux mécènes tours prêts à aider ou l’inverse au moindre doute.
 
Ma naissance grâce à une sage femme de Sefrou
 
Aussi mon omniprésence est très importante. Mes deux collègues des deux autres choléra de la santé me rendaient la vie dure. Ils me considéraient comme un novice. Moi je rigolais au fond de moi-même car ils oubliaient que j’avais affuté mes armes à Safi où j'ai cumulé une bonne expérience dans la gestion de la chose de la santé. Ils me considéraient comme un jeune joueur de football qui se voit parachuté dans une grande équipe et qui va moisir dans le banc des remplaçants avant de se décourager et finir par déguerpir.
Quelques mois auparavant précisément en Février 1994, Dr Abderrahman Zahi, l’un des meilleurs secrétaires généraux qu’a connu le département de la santé m’annonça ma mutation à Fès en tant que délégué à la préfecture de Fès Medina. Mr le Pr Abderrahim El Harrouchi avait pris cette décision à cause de l’épidémie du choléra qui sévissait dans la capitale spirituelle. Ma longue expérience dans le domaine de la prévention a objectivé ce choix.

Ma première mésaventure est arrivée deux mois après mon arrivée à Fès. J’habitais une chambre à l’hôpital El Ghassani dans un service fermé et qui n’était utilisé que pour les couvertures médicales lors de grands événements organisés à Fès. Par le passé ce service servait de maternité au temps du protectorat à cette époque l’hôpital s’appelait Auvert. C’est ici que ma mère avait accouché et mis au monde mes deux frères Karim et Najib et ma sœur Saloua. Chaque nuit dans ce service précédemment très animé mais actuellement désaffecté et lugubre, je me réfugiais dans ma chambre et m'enfermais à double clés sait-on jamais. Souvent je croyais entendre ma mère crier dans la salle d’accouchement ou pleurer les nouveaux nés qu’étaient mes deux frères et sœurs. Une histoire de fous. Je me voyais chanceux d’être né dans notre grande maison de la famille Bouchareb à Sefrou, un mardi très froid d’une nuit d’hiver. La sage femme qui a assisté maman lors de l’accouchement, une religieuse de la paroisse de Sefrou m’a exhibé devant les yeux émerveillés de mes deux grand-mères  en tenant mes pieds par le haut et ma tête en bas. Elle avait prédit que je serai médecin.
 
Mutinerie dans l’hôpital de la Kasba des CHRARDA
 
En rentrant un jour de Rabat après une très longue réunion avec Mr le ministre, grande fut ma surprise de constater que ma chambre a été dévalisée. Le voleur avait néanmoins eu l’amabilité de me laisser quelques effets vestimentaires et ma brosse à dents. J’ai pris la décision d’aller vivre quelques jours chez ma tante en attendant que le logement de fonction soit libéré par le délégué que j’ai remplacé.

Quelques mois plus tard, j'ai appris que le voleur a été arrêté en flagrant délit. C’était un agent de service de l’hôpital. J’avais décidé de retirer ma plainte.

En septembre 1994 j’emménageais dans la maison de fonction de fonction sise à l’hôpital Ibn El Khatib du nom d’un célèbre écrivain, poète et homme de lettres d’une célèbre famille andalouse venant s’installer à Fès. Il fut par la suite tué et incinéré sa dépouille a été suspendu à une porte de Fès qui porte à ce jour le nom de Bab El Mahrouk «  porte du brulé ». Pendant le protectorat l’hôpital portait le nom de Cocard ; un infirmier sergent chef qui fut assassiné lors d’une mutinerie après le siège de la Kasba de chrarda abritant L’hôpital par les résistants marocains luttant contre le protectorat français.

La villa est une vieille demeure datant des années vingt, date de la construction de l’hôpital. Il y avait un bon jardin avec six oliviers, deux figuiers, deux grenadiers et trois orangers. Une piscine nous permettait de nous rafraichir pendant les longues et chaudes journées d’été.

Habiter cette villa, malgré tous les désagréments, était une source de fierté pour moi. De grands médecins y ont habité par le passé. Le Dr Léon Christiani dont le nom est porté par une rue à Fès, mais aussi Dr Tazi,  un célèbre chirurgien fassi qui m’expliqua un jour que c’est lui qui avait construit la piscine.

J’ai vécu huit ans dans cette villa. C’est ici que ma mère s’est éteinte en octobre 1996 après une longue maladie. C’est là aussi que j’ai été victime de plusieurs vols au fils des années. Je connaissais les voleurs. C’étaient les fils de trois fonctionnaires de la santé. Je n’ai jamais voulu porté plainte. Leurs parents étaient des amis mais avaient la malchance d’avoir de petits délinquants parmi leurs progénitures.
 
Le larcin de l’hôpital «  BAB LAHDID »
 
Une drôle histoire de vol est arrivée aussi à l’hôpital Omar Drissi  cet établissement porte le nom du premier médecin ORL de Fès qui fut tué en 1954 par une organisation secrète. Les fassis l’appellent communément « Bab Lahdid » en rapport à la grande porte en fer qui sert de portail.

Le fait divers se passa un après-midi d’une journée ramadanesque  d'un rigoureux hiver. C’était le dernier jour de Ramadan qui cette année-là comptait trente jours. J’avais décidé de passer la journée à Ifrane à la célèbre station de Michlifen.

 Ma femme et les enfants étaient tous contents de retrouver la neige. Les enfants faisaient plusieurs descentes avec les luges et se forçaient d’esquiver des chocs avec les luges des autres badauds souvent imprudents et maladroits.

Une fois de retour, je dépose tout le monde à la maison. Ils étaient bons pour la douche. Quant à moi j’allais faire une visite inopinée à l’hôpital Bab Al Hadid pour m’assurer que tout allait bien. Il est vrai que le personnel appréhendait toujours ces visites et mes pertinentes et désagréables remarques.

Une fois sur place, grande fut ma surprise d’entendre des cris et de voir beaucoup de malades accrochés aux fenêtres du premier étage coté service d’ORL. Certaines femmes hurlaient à tue-tête. Leurs cris frisaient l’hystérie. Le premier réflexe que j’ai eu c’est d’ordonner la fermeture de la grande porte en fer. Aussitôt dit aussitôt fait par le surveillant général de l’hôpital Mr Ahmed Bendali. Il m’expliqua qu’un voleur s’était introduit à l’hôpital avec les visiteurs. Une fois la visite terminée et les gens partis, le voleur est resté au premier étage et s’est introduit dans le service d’ophtalmologie côté femmes. Ces pauvres patientes avaient toutes subi une intervention chirurgicale de cataracte et avaient forcément les yeux bandés. Je pris la décision de monter au premier étage malgré le conseil de Mr Bendali de ne pas le faire de peur que le voleur soit armé. Je n’en fis qu’à ma tête et lui demandais de téléphoner à la police.

Une fois au premier étage avec quelques courageux infirmiers de garde, on arrêta l’homme qui n’opposa aucune résistance. Il resta bouche fermée et ne prononça aucun mot. Pour l’anecdote il portait une blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Dans le sac qu’il portait on retrouva tout le butin ; des bracelets en or, des bagues, des billets d’argent et des pièces de monnaie et même des boites de lait et des yaourts.

La police ne tarda pas à venir et l’homme fut embarqué sous les huées de quelques malades. J’ordonnai au surveillant général de restituer les objets volés à leurs propriétaires et au cuisinier d’offrir un ftour amélioré à tout le monde ; personnel et malades. Les quelques malades du service ORL encore aux fenêtres criaient de joie et tentaient des youyous malgré leur état de santé. Cette fois-ci  j’ai décidé de porter plainte.

Je rentrais tranquillement chez moi ou un succulent ftour m’attendait. Les enfants étaient épatés d’écouter mon histoire et me bombarder de questions. Demain était jour de Fête pour tout le monde.

Mon séjour se prolongea à Fès jusqu’à Aout 2001. Mes deux collègues sont devenus plus gentils et aimables et nous avons entretenu des relations cordiales par la suite et jusqu’à ce jour.

Deux ans après mon arrivée à Fès on est venu à bout du choléra grâce à la bonne coordination intersectorielle et l’appui inconditionnel des valeureux gouverneur Mr Mohammed Fassi Fihri et du Wali Mr Mhammed Dryef.

Après huit ans passés à la capitale spirituelle je retourne à la capitale des Abda Safi pour d'autres péripéties.
 
Dr Fouad Bouchareb




Jeudi 15 Juillet 2021