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Du Maâlam à l’intelligence artificielle : ce que le caftan marocain peut apprendre à l’IA


Par Dr Az-Eddine Bennani

À l’heure où l’intelligence artificielle s’impose dans tous les discours, souvent présentée comme une rupture radicale ou une promesse quasi magique, le Maroc dispose d’un modèle ancien et profondément actuel pour penser l’IA autrement : celui du Maâlam.

Le Maâlam n’est pas seulement un maître artisan. Dans les médinas de Fès, de Rabat ou de Marrakech, il incarne une posture : celle de l’excellence patiente, de la transmission exigeante et de la responsabilité silencieuse. Son autorité ne repose ni sur la domination ni sur la vitesse, mais sur la maîtrise du geste, le respect du temps long et la fidélité à une éthique.

Le caftan, œuvre emblématique de cet héritage, en est l’expression la plus aboutie. Il ne se fabrique pas dans la précipitation. Chaque fil est choisi, chaque coupe mesurée, chaque point posé avec discernement. Un caftan réussi est le résultat d’un dialogue constant entre la main, la matière et la mémoire. Cette exigence n’est pas seulement esthétique : elle est morale. Elle dit quelque chose de notre rapport au travail, à la transmission et à la dignité.

Ce monde artisanal n’est pas archaïque. Il est systémique. Le souk marocain fonctionne comme un organisme régulé : spécialisation des métiers, règles implicites, réputation, confiance, transmission intergénérationnelle.

Bien avant l’ère numérique, les médinas avaient mis en place des architectures de savoir et de gouvernance distribuée, où l’excellence individuelle servait toujours la collectivité.



Observer ce système aujourd’hui, c’est comprendre que le Maâlam pensait déjà comme un architecte de systèmes d’information.

Du Maâlam à l’intelligence artificielle : ce que le caftan marocain peut apprendre à l’IA
Les flux de marchandises, de savoirs et de relations circulaient selon des logiques proches de ce que nous appelons désormais données, protocoles et réseaux.

C’est à partir de cette continuité que l’intelligence artificielle doit être abordée. Non comme une rupture brutale, encore moins comme un substitut à l’humain, mais comme un prolongement du geste.

Le fil devient donnée. L’aiguille devient algorithme. L’atelier s’étend aux réseaux numériques. Mais les règles fondamentales demeurent : rigueur, patience, responsabilité.

Un algorithme mal conçu fragilise un système, comme un fil mal tendu fragilise un caftan. L’IA n’est ni neutre ni autonome.

Elle porte les choix, les valeurs et les limites de ceux qui la conçoivent. À ce titre, elle doit être pensée avec la même exigence que celle du Maâlam face à son œuvre.

Cette lecture ouvre une réflexion essentielle sur la souveraineté numérique. Protéger ses données aujourd’hui revient à préserver sa mémoire hier.

Confier ses infrastructures sans discernement, c’est accepter que d’autres décident de la forme et du sens de ce que nous produisons.

Le Maâlam ne livrait jamais ses secrets à n’importe qui. Une nation ne devrait pas faire moins.

Le Maroc peut – et doit – penser son avenir numérique comme un caftan sur mesure, et non comme un prêt-à-porter importé.

Choisir ses priorités : éducation, santé, culture. Former ses Maâlams du XXIᵉ siècle : ingénieurs, enseignants, artistes, médecins. Inscrire l’IA dans une continuité culturelle, sans folklore ni mimétisme.

L’intelligence artificielle n’est ni une fatalité ni une panacée. Elle est une matière, comme le tissu. Elle peut servir à recoudre les fractures, à transmettre autrement, à augmenter l’humain sans l’effacer.

À condition de rester fidèle à une règle simple, transmise de génération en génération dans les ateliers marocains : ne jamais céder la maîtrise.

Entre le Maâlam, le caftan et l’intelligence artificielle, le fil ne s’est jamais rompu. Il attend simplement d’être repris avec discernement.

Par Dr Az-Eddine Bennani


Lundi 29 Décembre 2025