Entretien réalisé par Hajar DEHANE de L'ODJ Média
LODJ : Docteur, beaucoup de gens parlent de “sciatique” dès qu’ils ont mal au bas du dos. Pourtant, on entend aussi parler de “lumbago”, de “douleur lombaire” ou de “mal de reins”. Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est exactement la sciatique, sur le plan médical, et en quoi elle se différencie d’un simple mal de dos ? Cette distinction est importante, car elle conditionne la prise en charge. Quels sont les signes précis qui permettent d’identifier une vraie atteinte du nerf sciatique ? Et surtout, pourquoi une sciatique ne doit pas être banalisée, contrairement à une douleur lombaire passagère ?
Dr R.B : La sciatique est une douleur qui suit le trajet du nerf sciatique, le plus long du corps humain, qui part de la région lombaire, traverse la fesse, descend à l’arrière de la cuisse et peut aller jusqu’aux orteils. Elle se distingue des simples lombalgies -douleurs localisées au bas du dos -par son caractère irradiant. En pratique, un patient atteint de sciatique décrit souvent une douleur “en chemin” : elle commence dans le bas du dos ou la fesse et descend dans la jambe, parfois accompagnée de picotements, de sensations de brûlure, ou d’un engourdissement.
La cause principale est la compression ou l’irritation d’une des racines nerveuses formant le nerf sciatique. Le plus souvent, c’est une hernie discale qui en est responsable : un disque intervertébral se fissure et laisse sortir une partie de son noyau gélatineux, venant appuyer sur la racine nerveuse. Mais il existe d’autres causes : arthrose lombaire, rétrécissement du canal lombaire, traumatismes, voire contractures musculaires profondes (syndrome du piriforme).
Dans un simple mal de dos, le fameux “lumbago” , la douleur reste localisée et ne descend pas sous le genou. Elle peut être intense mais n’a pas ce caractère neurologique. Dans la sciatique, on peut aussi observer une faiblesse musculaire dans la jambe ou le pied, et dans les cas sévères, une perte de sensibilité.
La différence est essentielle, car la sciatique traduit souvent une atteinte mécanique sur le nerf. Si elle est négligée, elle peut se chroniciser ou, dans de rares cas, entraîner des séquelles irréversibles. Une sciatique ne doit donc pas être réduite à un simple mal de dos “qui passera”. Le diagnostic précoce permet de mettre en place des mesures adaptées : repos relatif, anti-inflammatoires, kinésithérapie, et parfois intervention chirurgicale si la compression est importante.
LODJ : Docteur, d’après votre expérience, quelles sont les causes les plus fréquentes de sciatique que vous rencontrez dans votre pratique quotidienne au Maroc ? Existe-t-il des facteurs propres à notre contexte, conditions de travail, habitudes de vie, climat, infrastructure médicale, qui favorisent ou aggravent ce problème ? Peut-on dire que certaines causes observées dans les pays occidentaux sont moins présentes chez nous, ou au contraire plus accentuées ? L’objectif est de mieux comprendre les origines pour, ensuite, agir sur la prévention.
Dr R.B : Au Maroc, les causes de la sciatique ne diffèrent pas fondamentalement de celles observées ailleurs, mais certaines sont amplifiées par notre contexte socio-économique. La cause numéro un reste la hernie discale lombaire, souvent liée à des efforts physiques mal réalisés, au port de charges lourdes et à une absence de renforcement musculaire du dos. Les métiers à risque sont nombreux : ouvriers du bâtiment, agriculteurs, artisans, mais aussi chauffeurs de poids lourds et taxis qui restent assis de longues heures.
Le deuxième facteur est la sédentarité croissante, surtout dans les villes. De plus en plus de Marocains passent leurs journées devant un ordinateur, sans pauses actives, avec un mobilier souvent inadapté. Cette posture prolongée accentue la pression sur les disques lombaires.
J’observe aussi un lien avec le surpoids, qui pèse sur la colonne vertébrale. L’alimentation déséquilibrée et le manque d’activité physique aggravent ce problème. Par ailleurs, notre système de santé fait que certains patients consultent tard, parfois après plusieurs semaines ou mois de douleur, espérant que “ça passera”. Cette prise en charge tardive complique le traitement.
Il existe aussi des causes moins fréquentes mais qu’il faut mentionner : traumatismes liés aux accidents de la route (assez fréquents au Maroc), infections vertébrales, tumeurs, ou encore malformations congénitales. Enfin, certaines douleurs sciatiques sont dues non pas à une atteinte discale mais à un syndrome musculaire, notamment le syndrome du piriforme, où un muscle de la fesse comprime le nerf.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la sciatique est multifactorielle. Si on ne peut pas toujours éviter un accident ou une hernie discale, on peut agir sur les facteurs aggravants : maintenir une bonne hygiène de vie, pratiquer un sport régulier, apprendre à porter correctement les charges, et consulter tôt.
LODJ : Docteur, on entend souvent dire que nos modes de vie modernes aggravent les problèmes de dos, et particulièrement les sciatiques. Dans le contexte marocain, où coexistent encore métiers physiques traditionnels et emplois de bureau très sédentaires, quel est l’impact réel de ces habitudes sur la santé de notre colonne vertébrale ? L’urbanisation rapide, les longs trajets quotidiens, l’usage intensif des écrans et parfois l’absence de culture de la prévention semblent jouer un rôle. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ces facteurs influencent la fréquence et la gravité des cas que vous observez en consultation ?
Dr R.B : Au Maroc, l’évolution rapide de nos modes de vie a créé un paradoxe. D’un côté, des métiers très physiques comme l’agriculture, le bâtiment ou l’artisanat exposent à des efforts répétés, souvent sans apprentissage des bonnes postures. De l’autre, une nouvelle génération de travailleurs urbains reste assise plus de huit heures par jour, devant un ordinateur ou au volant, avec très peu d’activité physique. Ces deux profils, pourtant opposés, présentent un risque élevé de sciatique, mais pour des raisons différentes.
Chez les travailleurs physiques, la cause est souvent le geste répété et mal exécuté : soulever des sacs lourds, manipuler du ciment, porter des charges à bout de bras. Les muscles profonds du dos ne sont pas renforcés, la posture est parfois instable, et les disques intervertébraux s’usent plus vite, favorisant les hernies discales.
Chez les travailleurs sédentaires, c’est l’immobilité prolongée qui est en cause. Rester assis en position statique, surtout sur des chaises de mauvaise qualité, comprime les disques lombaires et entraîne des tensions musculaires dans le bas du dos et les jambes. À cela s’ajoute l’utilisation intensive des téléphones et ordinateurs portables, qui provoque des postures penchées vers l’avant.
L’urbanisation rapide a aussi un effet indirect : beaucoup de Marocains passent une à deux heures par jour dans les embouteillages, assis dans des véhicules aux sièges peu ergonomiques. Ce temps “perdu” aggrave la sédentarité et diminue les occasions de bouger.
Enfin, il faut souligner un problème culturel : la prévention n’est pas encore ancrée dans nos habitudes. Peu de gens prennent le temps de faire des étirements, de s’échauffer avant un effort, ou d’investir dans une chaise ergonomique. Ce manque d’anticipation fait que l’on consulte souvent trop tard, quand la douleur devient invalidante.
En résumé, nos modes de vie modernes, combinés à certaines contraintes structurelles, créent un terrain favorable à la sciatique. Le défi, c’est d’amener la population à adopter des réflexes simples mais efficaces : pauses actives au travail, apprentissage des bons gestes, maintien d’une activité physique régulière. C’est un investissement sur la santé du dos qui évite bien des souffrances à long terme.
LODJ : Docteur, existe-t-il au Maroc des tranches d’âge ou des catégories professionnelles particulièrement exposées à la sciatique ? On imagine souvent que c’est un problème de “personnes âgées” ou de travailleurs physiques, mais on entend de plus en plus parler de jeunes adultes touchés. Est-ce que le phénomène est en train de se rajeunir, et si oui, pourquoi ? Pouvez-vous nous décrire les profils les plus à risque dans notre pays, en tenant compte à la fois des facteurs professionnels, des habitudes de vie, et de la condition physique générale ?
Dr R.B : La sciatique est souvent perçue comme une affection des seniors, mais dans ma pratique quotidienne, je constate qu’elle touche de plus en plus de patients jeunes, parfois dès la vingtaine. Le profil “classique” reste bien sûr celui des personnes de 40 à 60 ans, âge où les disques intervertébraux commencent à perdre de leur élasticité. Mais plusieurs facteurs accélèrent aujourd’hui l’apparition de la maladie.
Chez les jeunes adultes, on observe souvent une combinaison de sédentarité extrême, de surpoids, et d’absence totale de renforcement musculaire. Ajoutez à cela l’utilisation intensive des smartphones et ordinateurs portables, souvent dans des postures qui accentuent la pression lombaire, et vous obtenez un terrain propice aux douleurs précoces.
Du côté professionnel, plusieurs catégories sont à haut risque :
- Les travailleurs du bâtiment et de l’agriculture : port répété de charges lourdes, torsions du dos, absence d’équipement de manutention adapté.
- Les chauffeurs professionnels (taxi, bus, poids lourd) : position assise prolongée, vibrations, manque de pauses actives.
- Les employés de bureau : longues heures assis sans bouger, mobilier inadapté.
- Il existe aussi un profil plus inattendu : les sportifs amateurs qui s’entraînent intensivement sans encadrement, notamment en musculation, et qui soulèvent des poids avec une technique incorrecte. Ces faux mouvements peuvent déclencher des hernies discales même chez des personnes jeunes et en bonne forme apparente.
- Au Maroc, un autre facteur intervient : le retard dans la consultation. Beaucoup de gens minimisent leurs symptômes, continuent à travailler “malgré la douleur”, et arrivent en consultation à un stade avancé. Ce manque de prise en charge précoce transforme une simple irritation du nerf en un problème plus sérieux, nécessitant parfois une chirurgie.
En résumé, la sciatique n’est plus réservée aux seniors. Elle reflète nos modes de vie et nos habitudes de travail. Tous ceux qui cumulent immobilité prolongée, gestes à risque et manque de prévention sont potentiellement concernés. C’est pourquoi l’éducation posturale et l’adoption de bonnes pratiques professionnelles doivent commencer tôt, dès l’école ou la formation initiale, pour limiter l’apparition précoce de cette pathologie.
LODJ : Docteur, pour beaucoup de personnes, un mal de dos est juste “un mal de dos”. Mais il existe des signes spécifiques qui doivent alerter et pousser à consulter rapidement, car ils peuvent indiquer une sciatique ou une atteinte neurologique plus grave. Pouvez-vous nous expliquer comment se fait le diagnostic médical d’une sciatique, et quels sont les symptômes qui doivent amener à consulter sans attendre ? Y a-t-il des signes d’urgence absolue où il faut aller directement à l’hôpital au lieu d’attendre un rendez-vous classique ?
Dr R.B : Le diagnostic d’une sciatique repose d’abord sur l’écoute attentive du patient et un examen clinique rigoureux. Un médecin formé peut souvent identifier une sciatique rien qu’en entendant la description des douleurs : typiquement, elles partent du bas du dos ou de la fesse et descendent à l’arrière de la cuisse, parfois jusqu’au mollet ou au pied, suivant le trajet précis du nerf sciatique.
Lors de l’examen, on recherche ce qu’on appelle une douleur “radiculaire”, c’est-à-dire liée à l’irritation d’une racine nerveuse. On effectue des tests simples, comme le “test de Lasègue” : le patient est allongé, on soulève doucement sa jambe tendue, et si cela déclenche ou aggrave la douleur irradiant dans la jambe, cela oriente fortement vers une sciatique.
Mais au-delà de la confirmation clinique, il y a des signes d’alerte absolue :
- Faiblesse musculaire brutale dans la jambe ou le pied (difficulté à marcher sur la pointe ou le talon).
- Perte de sensibilité dans une zone précise de la jambe ou du pied.
- Douleur qui s’intensifie rapidement et devient insupportable malgré les antalgiques.
- Troubles urinaires ou digestifs soudains (incontinence, difficulté à uriner) associés à des engourdissements dans la région génitale ou intérieure des cuisses, cela peut indiquer un syndrome de la queue de cheval, une urgence chirurgicale.
En présence de ces signes, il ne faut pas attendre : il faut se rendre directement aux urgences, car le pronostic nerveux peut être engagé.
L’imagerie (IRM ou scanner lombaire) n’est pas systématique dès le début, sauf en cas de suspicion d’atteinte grave ou de douleur résistante au traitement. Dans les autres cas, on commence par un traitement conservateur, car la majorité des sciatiques s’améliorent en quelques semaines.
Ce que je dis souvent à mes patients, c’est qu’une sciatique est un signal d’alarme envoyé par votre corps. Plus on l’écoute tôt, plus il est facile de la traiter sans intervention lourde. Attendre “que ça passe” peut, dans certains cas, transformer un problème réversible en handicap durable.
LODJ : Docteur, toutes les sciatiques ne se valent pas : certaines se résorbent en quelques semaines avec un traitement médical, tandis que d’autres s’aggravent et nécessitent une intervention chirurgicale urgente. Pouvez-vous nous préciser les situations dans lesquelles la sciatique devient une urgence médicale ? Quels sont les critères qui vous poussent à recommander une opération plutôt qu’un traitement conservateur ? Et, dans le contexte marocain, comment se passe le parcours de soins pour ces patients : du diagnostic à l’intervention, en passant par les étapes de décision médicale ?
Dr R.B : La grande majorité des sciatiques évoluent favorablement avec un traitement médical, mais il existe des situations où l’on ne peut pas se permettre d’attendre. La plus grave est le syndrome de la queue de cheval : il survient lorsque la compression nerveuse est massive, souvent par une hernie discale volumineuse, et touche les nerfs contrôlant la vessie, les intestins et la région génitale. Les signes sont alarmants : engourdissement de la région périnéale, perte du contrôle urinaire ou fécal, faiblesse brutale dans les jambes. Dans ce cas, l’opération doit être réalisée en urgence, idéalement dans les 24 heures, pour éviter des séquelles irréversibles.
Un autre critère d’intervention rapide est la paralysie motrice progressive : si un patient perd rapidement la force dans le pied ou la jambe (incapacité à marcher sur la pointe ou le talon), cela indique une atteinte nerveuse sévère.
En dehors de ces urgences, on envisage une chirurgie lorsque :
- La douleur reste insupportable malgré 6 à 8 semaines de traitement bien conduit (médicaments, kinésithérapie, infiltrations).
- L’imagerie montre une compression nette corrélée aux symptômes.
- Le patient a des limitations fonctionnelles majeures dans sa vie quotidienne.
L’intervention la plus courante est la discectomie, qui consiste à retirer la portion du disque qui comprime le nerf. Elle peut se faire par chirurgie classique ou par technique mini-invasive.
Au Maroc, le parcours de soins peut varier selon la région et l’accès aux spécialistes. Dans les grandes villes comme Casablanca ou Rabat, les délais pour obtenir un IRM sont courts et la chirurgie peut être programmée rapidement dans les cliniques privées. Dans le public, l’accès peut être plus long, mais les vraies urgences sont priorisées.
Ce que j’explique toujours à mes patients, c’est que la chirurgie de la sciatique n’est pas systématique : elle est réservée à des cas bien précis. La majorité des gens s’en sortent sans opération, à condition de consulter tôt et de suivre scrupuleusement les recommandations médicales.
LODJ : Docteur, lorsqu’un patient marocain est diagnostiqué avec une sciatique, quelles sont les options thérapeutiques les plus efficaces que vous pouvez lui proposer aujourd’hui ? Entre médicaments, kinésithérapie, infiltrations, chirurgie et approches complémentaires, comment décidez-vous du meilleur traitement pour chaque patient ? Y a-t-il au Maroc des spécificités d’accès aux soins, par exemple en milieu rural ou urbain, qui influencent le choix thérapeutique ? Et quelles sont, selon votre expérience, les erreurs les plus fréquentes que font les patients dans leur parcours de traitement ?
Dr R.B : La prise en charge de la sciatique repose sur une approche graduée, adaptée à la cause, à la gravité et au profil du patient. Dans la majorité des cas, on commence par un traitement conservateur :
- Médicaments : anti-inflammatoires non stéroïdiens, antalgiques, parfois relaxants musculaires pour soulager la douleur et réduire l’inflammation. Les corticoïdes peuvent être prescrits à court terme dans les cas plus sévères.
- Repos relatif : éviter les efforts qui déclenchent la douleur, mais maintenir une activité douce (marche légère) pour ne pas perdre en mobilité.
- Kinésithérapie : exercices d’étirement, renforcement des muscles du tronc et rééducation posturale. Au Maroc, dans les grandes villes, l’accès aux kinésithérapeutes formés est assez bon, mais en milieu rural, il reste limité.
Si, après quelques semaines, la douleur persiste ou reste invalidante, on peut envisager des infiltrations épidurales de corticoïdes. Elles sont efficaces pour réduire l’inflammation autour du nerf et permettre une récupération fonctionnelle. Leur disponibilité est bonne dans les cliniques privées des grandes villes, mais plus rare dans le secteur public en province.
La chirurgie n’est envisagée qu’en dernier recours ou en urgence, comme expliqué plus tôt. Lorsqu’elle est nécessaire, la discectomie donne de bons résultats, avec une récupération rapide si la rééducation post-opératoire est bien suivie.
En parallèle, certaines approches complémentaires peuvent aider : physiothérapie, acupuncture, ostéopathie douce, hydrothérapie. Elles ne remplacent pas le traitement médical, mais peuvent améliorer le confort et réduire les tensions musculaires.
Les erreurs fréquentes des patients incluent :
- L’automédication prolongée avec anti-inflammatoires, sans diagnostic précis.
- Le repos total au lit pendant plusieurs jours, qui aggrave la raideur et retarde la récupération.
- Le retour trop rapide aux efforts physiques sans rééducation.
Enfin, je souligne toujours l’importance de la prévention après un épisode de sciatique : maintien d’un poids sain, renforcement musculaire régulier, gestes professionnels adaptés. Sans cela, les récidives sont fréquentes.
LODJ : Docteur, on dit souvent que “prévenir vaut mieux que guérir”, mais dans le cas de la sciatique, la prévention semble difficile à mettre en œuvre au quotidien. Est-il vraiment possible d’éviter complètement la sciatique, ou s’agit-il plutôt de réduire les risques de l’attraper ou d’en souffrir à répétition ? Quelles sont, selon votre expérience au Maroc, les habitudes les plus efficaces pour préserver la santé de sa colonne vertébrale ? Et comment convaincre les patients, souvent peu sensibilisés à la prévention, de modifier leurs comportements avant que la douleur ne s’installe ?
Dr R.B : La prévention de la sciatique est non seulement possible, mais elle est essentielle, car une fois qu’un premier épisode survient, le risque de récidive est élevé si rien n’est changé dans le mode de vie. On ne peut pas toujours éviter une hernie discale ou un accident, mais on peut largement réduire les facteurs de risque qui fragilisent la colonne vertébrale.
La première habitude à adopter est le renforcement musculaire, notamment des muscles du tronc (abdominaux profonds et muscles lombaires). Ces muscles agissent comme un corset naturel qui protège la colonne. Quelques minutes d’exercices simples, pratiqués régulièrement, peuvent avoir un effet considérable.
Ensuite, il faut éviter la sédentarité prolongée. Que l’on soit chauffeur, employé de bureau ou étudiant, il est important de se lever et de bouger au moins toutes les 45 minutes. Ces “micro-pauses actives” réduisent la pression sur les disques intervertébraux.
Le contrôle du poids est un autre facteur clé. Le surpoids augmente la charge sur la colonne, surtout au niveau lombaire. Adopter une alimentation équilibrée et pratiquer une activité physique régulière est donc bénéfique à plusieurs niveaux.
En matière de gestes professionnels, il faut apprendre à soulever correctement : plier les genoux, garder le dos droit, rapprocher la charge du corps. Dans les entreprises et sur les chantiers, des formations simples peuvent éviter beaucoup de blessures.
Au Maroc, l’un des plus grands défis est la sensibilisation. Beaucoup de patients ne voient l’intérêt de changer leurs habitudes qu’après avoir souffert. Mon rôle, comme médecin, est de leur montrer que la prévention est un investissement pour éviter des douleurs, des arrêts de travail et parfois une chirurgie.
En résumé, prévenir la sciatique, c’est entretenir la mobilité, renforcer les muscles, protéger sa colonne et écouter son corps avant que le nerf ne se rebelle. Ce sont des gestes simples, mais qui demandent de la régularité et un vrai changement culturel.
LODJ : Docteur, avez-vous observé, au fil de votre carrière, une évolution dans la façon dont la sciatique est diagnostiquée et traitée au Maroc ? L’accès aux examens comme l’IRM, les progrès de la chirurgie mini-invasive, ou encore la professionnalisation des kinésithérapeutes semblent changer le paysage médical. Pouvez-vous nous dire si, selon vous, les patients marocains bénéficient aujourd’hui de meilleures chances de guérison qu’il y a 10 ou 20 ans ? Et quelles sont encore les lacunes ou les inégalités d’accès aux soins qui freinent une prise en charge optimale ?
Dr R.B : Oui, la prise en charge de la sciatique au Maroc a considérablement évolué en 20 ans. Lorsque j’ai commencé à exercer, l’accès à l’IRM était limité, coûteux et souvent réservé aux grandes villes. Aujourd’hui, l’imagerie par résonance magnétique est beaucoup plus accessible, ce qui permet un diagnostic précis et rapide, surtout dans les cas complexes.
Sur le plan chirurgical, les techniques se sont modernisées. Les interventions mini-invasives, comme la microdiscectomie, réduisent les durées d’hospitalisation et accélèrent la récupération. Les patients peuvent souvent rentrer chez eux le lendemain de l’opération et reprendre une activité légère en quelques jours.
La kinésithérapie a également gagné en professionnalisme. De plus en plus de kinésithérapeutes sont formés aux techniques spécifiques de rééducation du dos, aux programmes de renforcement musculaire, et travaillent en coordination avec les médecins. Cela améliore la récupération et réduit les récidives.
Cependant, des inégalités persistent. En milieu rural, l’accès aux examens avancés reste limité et le délai pour consulter un spécialiste peut être long. De même, certains patients, pour des raisons financières, hésitent à suivre des séances de kinésithérapie ou à réaliser des infiltrations, pourtant parfois déterminantes.
Un autre point positif est l’évolution de la sensibilisation. Les campagnes d’information, bien que rares, commencent à faire comprendre au grand public que la sciatique n’est pas “juste un mal de dos”. Les entreprises commencent timidement à intégrer des formations sur la prévention des troubles musculosquelettiques, surtout dans les secteurs à risque.
En revanche, le retard à la consultation reste un problème culturel. Beaucoup de patients essaient d’abord de “tenir” avec des anti-inflammatoires achetés sans ordonnance, et ne viennent voir un médecin que lorsque la douleur est installée depuis plusieurs semaines.
En résumé, les progrès technologiques et médicaux sont là, et ils rapprochent la prise en charge marocaine des standards internationaux. Mais pour que tout le monde en bénéficie, il faut encore améliorer l’accessibilité, réduire les inégalités régionales et instaurer une vraie culture de la prévention et de la prise en charge précoce.
LODJ : Docteur, beaucoup de Marocains, par manque de temps ou par crainte de consulter, minimisent leurs douleurs sciatiques, se disant que “ça passera avec du repos ou quelques comprimés”. Pourtant, on sait qu’un retard de diagnostic peut aggraver la situation. Quel message clair et fort voudriez-vous adresser à ces personnes pour les convaincre de ne pas prendre ce problème à la légère ? Et, au-delà de l’alerte, quels conseils simples et concrets pourriez-vous leur donner pour agir rapidement, éviter les complications et protéger leur dos à long terme ?
Dr R.B : Mon message est simple : une sciatique n’est pas un simple mal de dos, c’est un signal d’alarme. Quand le nerf sciatique envoie une douleur qui descend dans la jambe, c’est qu’il est irrité ou comprimé. Et contrairement à ce que l’on pense, ignorer cette alerte ne fait pas disparaître le problème ; dans certains cas, cela l’aggrave et entraîne des séquelles irréversibles.
Je comprends que beaucoup de personnes repoussent la consultation par manque de temps, par peur des examens ou du coût, ou parce qu’elles pensent que “ça va passer”. Mais le risque, c’est de passer d’une irritation réversible à une compression sévère, avec perte de force, troubles sensitifs et parfois nécessité d’une chirurgie lourde.
Mon conseil est clair : si la douleur dure plus de quelques jours, ou si elle s’accompagne de fourmillements, d’engourdissements, ou d’une faiblesse dans la jambe, il faut consulter. Et si vous avez des troubles urinaires, digestifs ou un engourdissement dans la région génitale, c’est une urgence absolue : direction les urgences, sans attendre.
Je dis aussi à mes patients qu’une sciatique, même bénigne au départ, doit être l’occasion de changer certaines habitudes : améliorer la posture au travail, intégrer des exercices de renforcement du dos, maintenir un poids sain, éviter de soulever des charges lourdes de manière incorrecte. Ce sont des gestes simples qui, cumulés, réduisent énormément le risque de récidive.
Enfin, il faut sortir d’un réflexe très répandu au Maroc : l’automédication prolongée. Prendre des anti-inflammatoires sur plusieurs semaines sans suivi médical masque les symptômes mais ne traite pas la cause. C’est comme couper l’alarme incendie sans éteindre le feu.
En résumé, la sciatique n’est pas une fatalité, mais c’est un avertissement à prendre au sérieux. Plus vous agissez tôt, plus le traitement est simple et efficace. Attendre, c’est prendre le risque de transformer une douleur passagère en handicap durable. Votre dos, c’est votre colonne de vie : protégez-le comme vous protégeriez votre cœur.