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Espagne-Maroc, entre Sahara et saraha




Par Aziz Boucetta

Espagne-Maroc, entre Sahara et saraha

Près de deux mois d’une crise inédite entre Maroc et Espagne, et près de deux mois de déclarations et contre-déclarations, de communiqués vitriolés au Maroc et de petites phrases assassines en Espagne. Il y aura indéniablement un avant cette crise, et un après, si tant est que le « pendant » ne s’éternise pas trop. Au final, les Espagnols ont eu gain de cause au parlement européen, sans qu’ils n’aient pour autant « vaincu » des Marocains qui doivent aujourd’hui préciser leur volonté.
 

Le vote de cette résolution – certes non contraignante mais résolution quand même – est fort intéressant car il aura montré qui sont nos amis et qui le sont moins, malgré les longues tirades et les fines galéjades. Madrid a tout fait pour obtenir la « condamnation » du Maroc, ce qu’elle a globalement réussi, malgré l’adoption d’une version finale plus « light » que la première et même si le mot « condamnation » n’est pas employé. La diplomatie espagnole, décidément très active à Strasbourg, a ratissé très large et adopté un rythme de sprinter pour faire voter la résolution.
 

Les Européens, c’est bien connu, attaquent en meute, et les Espagnols, c’est encore plus connu, aiment rameuter leurs alliés, de l’UE à l’OTAN en passant par les anges et le Saint-Esprit. De fait, la résolution a été votée par la droite, la gauche, l’extrême-droite, les Verts… tout le monde, y compris des eurodéputés de la République en Marche d’Emmanuel Macron. Point ne faut s’en offusquer, car si chacun a pleine liberté de voter en son âme et conscience, cela présente pour les Marocains l’avantage de réviser les listes de leurs amis, leurs vrais amis. Ainsi, est-ce fortuit que le surlendemain du vote de Strasbourg, la chaîne publique France24 diffuse un long enregistrement de Mohamed Salem Ould Salek, présenté comme le ministre des Affaires étrangères de la RASD et interrogé comme un vrai et réel ministre des Affaires étrangères ?
 

Bref, pour les Européens, globalement, Allemands, Espagnols, Français… le Maroc est un pays du Sud qui doit tenir sa place. Ils n’ont pas compris le sens de l’Histoire et des grandes bascules qui s’opèrent aujourd’hui, que le Maroc a très bien su lire pour barrer le chemin aux adversaires de son intégrité territoriale.

 

Mais, pour autant, le Maroc qui s’ouvre sur l’Europe centrale et lui ouvre tendrement les bras, doit clarifier sa position. Les communiqués rageurs, listant comme une litanie les points de discorde avec l’Espagne, puis aujourd’hui le parlement européen, atteignent leur limite. Après avoir bousculé et exhorté l’Espagne à dire ce qu’elle veut et clarifier ce qu’elle cherche, le premier diplomate marocain Nasser Bourita doit aujourd’hui lui-même répondre à la question : « Que veut le Maroc ?... Où veut-il en venir ? »

En matière de gestion de crise, il y a toujours un plafond et un objectif. Le Maroc a demandé à l’Espagne de donner des explications quant à la présence sur son sol de Brahim Ghali. L’Espagne l’a fait ; ce n’est certes pas convaincant, mais elle l’a fait. Le Maroc a demandé à Madrid de clarifier ses positions, ses choix et ses décisions. Madrid l’a fait, en réaffirmant que pour le Sahara, elle s’en tiendrait encore et encore à sa position traditionnelle, à base de « solution crédible, mutuellement acceptable, durable, etc ». Ce n’est toujours pas convaincant, mais les Espagnols ont clarifié.
 

Alors, maintenant qu’il a eu les réponses à ses questions, « que veut le Maroc ? ». Soit il se contente des déclarations espagnoles et il va de l’avant pour réparer une relation méchamment fracturée, soit il n’est pas satisfait par ces réponses et monte d’un cran plus loin, rompant les relations et dénonçant les conventions. Ce n’est certes pas désirable, mais Rabat doit choisir : jusqu’où notre diplomatie est-elle prête à aller ?
 

Continuer ainsi à publier des communiqués en cascade, persister dans ce jeu aussi stérile que celui des Espagnols, fait d’attaques et de contre-attaques, énumérer les soutiens yéménites, golfiques, panafricains ou autres… tout cela n’est pas digne de la diplomatie marocaine que nous nous sommes habitués à voir à un certain niveau.
 

Aujourd’hui, il appartient à Nasser Bourita de s’exprimer, et de parler aux Marocains car si la stratégie à long terme du roi Mohammed VI est lisible, crédible, plausible et clairement énoncée dans son discours de Riyad en 2016, la tactique guerrière, au risque d’être aventurière, du ministre et diplomate en chef devrait être expliquée aux médias marocains et aussi au parlement.
 

L’opinion publique s’est mobilisée pour cette crise avec l’Espagne, et a même applaudi à l’autre crise, avec Berlin. Elle mérite davantage de respect et de considération. Bien que simple tacticien, M. Bourita devrait comprendre que stratégiquement, avant d’ouvrir plusieurs fronts extérieurs, il doit s’assurer de la solidité du front intérieur.
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com



Lundi 14 Juin 2021