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Et si le maroc libérait enfin sa diplomatie parallèle ?




Par Adnan Debbarh

La création, semble-t-il en gestation, d’une association de diplomatie parallèle pourrait marquer un tournant majeur
La création, semble-t-il en gestation, d’une association de diplomatie parallèle pourrait marquer un tournant majeur
La création, semble-t-il en gestation, d’une association de diplomatie parallèle pourrait marquer un tournant majeur. Encore faudrait-il, écrit Adnan Debbarh, qu’elle s’appuie sur une vision claire, inclusive et ambitieuse. Il explique ainsi qu’à l’heure où le Royaume entend renforcer son influence internationale, cette diplomatie plurielle doit mobiliser toutes les forces vives : élus, ONG, chercheurs, entrepreneurs, diaspora. Car dans un monde où les récits comptent autant que les positions, il est temps que le Maroc se lance entièrement dans l’anticipation du cours des évènements.

Une association de diplomatie parallèle marocaine est en gestation. Cette initiative sera-t-elle l’amorce d’une stratégie structurée et ouverte, ou le prolongement d’une pratique cloisonnée où les visages changent, mais les logiques demeurent ? Il ne s’agit plus de faire de la figuration, mais de mobiliser élus, ONG, universitaires, entrepreneurs et diaspora comme troupes de choc de la marocanité.

C’est dire que l’appel royal du 11 octobre 2024 du haut de la tribune de la Chambre des représentants donne une profondeur nouvelle à cette perspective en mettant l’accent sur la diplomatie participative et invitant partis, parlementaires, ONG, universitaires, diaspora à s’engager dans la projection internationale du Royaume. Dans cet appel, le Souverain expliquait qu’à « cet égard, les fondamentaux de la position du Maroc doivent être expliqués au petit nombre de pays qui continuent de prendre à contre-pied la logique du droit et de dénier les faits de l’Histoire. Corrélativement, il faut s’employer à les convaincre de la légitimité de la Marocanité du Sahara à grand renfort de preuves et d’arguments juridiques, politiques, historiques et spirituels. Cette démarche exige de mutualiser les efforts de toutes les institutions et les instances nationales officielles, partisanes et civiles et de renforcer leur coordination, de manière à conférer l’efficacité nécessaire à leur action et à leurs mobilisations. Vous êtes au fait, honorables parlementaires, du rôle agissant qui revient à la diplomatie partisane et parlementaire pour recueillir davantage de reconnaissances en faveur de la Marocanité du Sahara et pour élargir l’appui à l’Initiative d’autonomie, en tant que seule solution à ce conflit régional.» .

Ce n’est pas là une simple incantation. C’est une inflexion stratégique qui peut renouveler en profondeur notre rapport à l’influence, à la narration de nos intérêts, et à la fabrique des alliances.

Encore faut-il comprendre que ce que cette diplomatie parallèle peut, et ne peut pas, être.

La diplomatie parallèle n’a pas vocation à dupliquer celle de l’État. Elle doit l’éclairer, l’amplifier, la prolonger là où les canaux officiels se heurtent à des limites de langage, de temporalité ou de légitimité.

Un entrepreneur marocain implanté en Afrique peut nouer des alliances discrètes et préparer le terrain à une coopération officielle. Un chercheur peut déconstruire, dans une revue académique internationale, les narratifs hostiles sur le Sahara. Une ONG peut ouvrir des espaces de dialogue là où les ambassades n’ont ni accès ni levier.     
Le Maroc regorge d’acteurs sous-utilisés qui, bien orientés, peuvent devenir les capteurs et les catalyseurs d’une influence douce mais durable. Cette influence ne peut se construire durablement sans adosser l’action diplomatique parallèle aux dynamiques économiques. Car rien n’amplifie mieux une parole nationale qu’une capacité à proposer, à investir, à produire sur le terrain. La diplomatie plurielle devra donc articuler parole et présence, influence et offre.

Mais si cette vision tarde à s’incarner, c’est qu’elle se heurte à plusieurs blocages.  Le retard pris dans l’activation de cette diplomatie parallèle tient à plusieurs facteurs : la frilosité de certaines institutions qui craignent d’être court-circuitées ; l’absence de coordination entre les initiatives existantes ; la peur des acteurs civils d’être instrumentalisés ou de se heurter à des lignes rouges mal définies. À cela s’ajoute une crainte légitime : que la diplomatie parallèle, au lieu de libérer les énergies, ne devienne un simple prolongement externalisé de la communication officielle, bridant la crédibilité des voix qui y participent. Une diplomatie d’influence exige de la pluralité, pas de la discipline de parti.

Souvent et sur plusieurs sujets, l’action diplomatique marocaine reste perçue comme réactive : nous répondons aux offensives adverses au lieu d’imposer notre propre agenda. Cela tient aussi à une communication encore trop centralisée, trop peu adaptée aux exigences de l’ère numérique et de l’influence par le récit.

Pour surmonter ces obstacles, un changement de méthode s’impose. Il est temps d’activer tous les leviers disponibles. Et pour cela, trois principes doivent nous guider.

Complémentarité avec la diplomatie officielle, sans confusion des rôles.

Pluralité des acteurs mobilisés : ONG, diaspora, entrepreneurs, universités, élus.

Lisibilité stratégique : pas d’actions isolées, mais une narration cohérente des intérêts marocains.

Cela suppose des outils précis, des mécanismes concrets, et une vision partagée.

Voici dix mesures en ce sens :
  • Créer un label “Diplomatie participative” : accréditant ONG, entreprises et médias engagés à l’international, avec un accès facilité à la formation, aux données, aux relais diplomatiques.
  • Mettre en place une cellule de veille narrative : pour identifier les campagnes hostiles et produire des contre-discours.
  •  Déployer une cartographie dynamique de l’influence marocaine : pour mieux coordonner les leviers existants.
  • Fonder un “Africa Influence Hub” : rassemblant les Marocains actifs sur le continent.
  • Former des diplomates civils : leaders associatifs, influenceurs, patrons de PME exportatrices.
  • Créer un réseau “Maroc Global Alumni” : pour structurer un vivier d’influence issue de la formation.
  • Institutionnaliser un rapport annuel d’impact diplomatique : pour documenter les récits portés et les partenariats construits.
  • Activer les groupes d’amitié parlementaire : en leur donnant moyens, expertise et agenda clair.
  • Mobiliser les collectivités locales dans la diplomatie territoriale : pour élargir l’influence au niveau régional.
  • Mettre en place un fonds de soutien stratégique : finançant les initiatives les plus prometteuses en matière d’influence.
 
L’association annoncée pourrait incarner ce tournant, à condition d’en faire un levier stratégique et non symbolique. Ce n’est pas d’un nouveau décor dont nous avons besoin, mais d’une nouvelle grammaire de l’action. Ce moment peut être celui d’une bascule vers une diplomatie plurielle assumée, où les compétences l’emportent sur les réseaux, et les idées sur les arrangements.

Mais la structure ne suffit pas : encore faut-il penser la parole. Dans une précédente chronique, j’évoquais l’urgence pour le Maroc de structurer sa diplomatie autour d’un narratif clair, offensif et assumé. Ce narratif, c’est celui d’un pays stable, acteur de dialogue, ancré en Afrique, et porteur d’une vision singulière des équilibres globaux. Ce récit ne peut pas être simplement énoncé par le ministère des Affaires étrangères : il doit être porté par une multitude d’acteurs, à différents niveaux, avec une cohérence d’ensemble.

Le Maroc ne peut plus se contenter de répondre aux attaques : il doit raconter son action, structurer sa parole, anticiper les récits adverses. En un mot : influencer.

C’est dans cette optique que la diplomatie parallèle prend tout son sens.  Elle ne doit pas être pensée comme une alternative ou une exception, mais comme une extension nécessaire de notre stratégie d’influence. Dans un monde où les perceptions pèsent autant que les positions, où les alliances se forgent aussi dans les récits, nous ne pouvons plus laisser le champ libre.

Il est temps de faire émerger une diplomatie moderne, plurielle et maîtrisée. Une diplomatie à la hauteur des ambitions marocaines.

Il ne s’agit pas seulement d’agir, mais de faire émerger un Maroc qui pense, qui dit, qui propose au monde une voie propre. Une diplomatie plurielle, c’est aussi cela : rendre audible, lisible et désirable la singularité marocaine dans un monde fragmenté.



Jeudi 24 Juillet 2025