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Famille et éducation : les piliers oubliés du civisme marocain


le Mardi 5 Août 2025



Famille et éducation : les piliers oubliés du civisme marocain
À chaque dérapage dans l’espace public, à chaque incivilité captée en vidéo ou racontée sur les réseaux sociaux, la question revient en boucle : “Où sont passées les valeurs ?” Cette interrogation, aussi récurrente que douloureuse, trouve un début de réponse dans les chiffres. D’après l’étude du Centre Marocain pour la Citoyenneté (CMC), publiée en mai 2025, 80 % des Marocains estiment que la famille est l’acteur principal pour renforcer le civisme, suivie de l’école (59,7 %), puis du respect de la loi (54,9 %). Une hiérarchie qui en dit long : les citoyens savent d’où vient le problème… mais ne voient plus vraiment ces piliers jouer leur rôle.

​La famille : un sanctuaire fissuré

Longtemps considérée comme le noyau dur de la transmission des valeurs, la famille marocaine subit de plein fouet les effets de la modernité : éclatement géographique, rythme de vie accéléré, perte de l’autorité parentale, invasion des écrans.

Les parents, souvent épuisés, accaparés par les pressions économiques ou peu outillés sur le plan éducatif, ne jouent plus toujours leur rôle de repères. L’étude du CMC pointe une réalité glaçante : les jeunes grandissent avec un déficit d’exemplarité au sein même du foyer.

Résultat : l’enfant apprend à dire “bonjour” ou “pardon” sur YouTube, pas dans sa cuisine. Il voit son père klaxonner nerveusement pour gagner 20 secondes, ou sa mère griller une file à la caisse. Et en silence, il intègre que les règles sont optionnelles, ou que seuls les faibles les respectent.

​L’école : terrain en jachère de la citoyenneté

Deuxième pilier désigné par les répondants, l’école devrait être le laboratoire du civisme : apprendre à respecter autrui, faire la queue, débattre sans violence, nettoyer sa table. Mais dans les faits, l’école marocaine reste centrée sur l’évaluation académique, au détriment de la formation citoyenne.

Les rares programmes “d’éducation civique” sont souvent théoriques, ennuyeux et déconnectés du réel. Peu de projets concrets, peu de débats sur les comportements quotidiens, peu d’ouverture vers les quartiers, les espaces publics, les défis environnementaux.

Pire : dans certaines écoles, les enseignants eux-mêmes ne sont pas formés à incarner les valeurs qu’ils sont censés transmettre. Et quand l’institution devient le théâtre d’agressions, de tensions ou de corruption silencieuse, elle perd sa crédibilité comme espace de socialisation civique.

​Le civisme ne s’enseigne pas, il se vit

Ce que révèle surtout le rapport du CMC, c’est l’importance de l’exemplarité vécue. Les jeunes n’apprennent pas le respect dans les discours abstraits, mais dans les gestes concrets du quotidien : céder sa place, ramasser un papier, tenir sa parole, s’excuser.

Or, dans une société marquée par le “double standard”, où l’on prêche des principes qu’on ne suit pas, l’apprentissage du civisme devient confus voire contradictoire. L’enfant entend “respecte les autres” mais voit des insultes dans la rue. Il lit “la propreté est un devoir” mais vit dans un quartier mal entretenu. Il récite “la loi est la même pour tous” mais découvre très vite que le passe-droit est une compétence utile.

​Quand l’État sous-traite le civisme

Le rapport révèle également une faiblesse structurelle de l’État en matière de politiques éducatives civiques. La responsabilité est souvent rejetée sur les familles ou les associations. Mais sans une stratégie nationale claire, structurée, longue, les actions isolées ne suffiront jamais à enrayer l’érosion du civisme.

Il ne s’agit pas de multiplier les campagnes ponctuelles mais d’inscrire les valeurs civiques dans tous les espaces éducatifs : à l’école avec des projets de participation, des débats et des journées de terrain, dans les médias en valorisant les comportements positifs, dans les administrations en imposant des normes de respect et d’accueil dignes, et dans la rue en rendant visibles les règles, les interdits et les encouragements.

Redonner du pouvoir aux éducateurs

Le rapport propose également de revaloriser le rôle des enseignants, des éducateurs et des parents en introduisant plusieurs mesures. Parmi celles-ci figurent : la mise en place de formations spécifiques à la pédagogie civique ; la création d’espaces de dialogue entre école et famille ; un soutien institutionnel destiné à ceux qui souhaitent expérimenter des formes d’éducation active ; ainsi qu’une meilleure reconnaissance publique du rôle éducatif de certains métiers, tels que chauffeur de bus, policier ou animateur de quartier.

L’idée centrale est que chaque adulte en interaction avec des enfants ou des jeunes devienne un agent éducatif potentiel.

​Un socle fragile, mais pas perdu

Le Maroc n’est pas dénué de ressources. Dans certains quartiers, écoles ou familles, des expériences positives existent : ateliers de citoyenneté, comités de quartier, journées de nettoyage participatif, échanges intergénérationnels. Mais elles restent marginales, peu relayées, rarement institutionnalisées.

Le défi est de passer de l’exception au modèle. De faire du civisme un pilier transversal de la vie marocaine, et non un supplément d’âme réservé aux conférences.

​Le civisme commence à la maison, mais se construit ensemble

Un pays ne peut pas espérer le respect dans ses rues s’il ne l’enseigne pas dès la cuisine et la salle de classe. La famille donne le ton, l’école donne la méthode, et l’État doit donner les moyens.

Ce n’est pas qu’une affaire de “bonne éducation”. C’est un choix de société. Soit nous continuons à déléguer le civisme aux autres, en déplorant les conséquences. Soit nous le mettons au cœur de notre modèle de développement humain.

Car sans respect, il n’y a ni paix sociale, ni confiance collective, ni avenir durable.

Dossier complet dans IMAG

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