• Pouvez-vous vous présenter en quelques ligne ?

J’ai 31 ans, je suis une journaliste franco-marocaine, et militante féministe.
 

• Vous êtes la fondatrice de la plateforme  "Stop Féminicide Maroc" sur Instagram, qu'est-ce qui vous a motivé à la créer et à vous engager dans la lutte contre les violences patriarcales et le recensement du féminicide au Maroc ? 

J’ai remarqué que le mot « féminicide » était très rarement prononcé au Maroc : dans les médias, sur les réseaux sociaux… alors qu’il commence vraiment à être normalisé dans d’autres pays du monde, du Mexique à l’Espagne, en passant par la France. Au Maroc, le sujet des violences conjugales est évoqué, mais tout se passe comme si on ignorait que ces violences pouvaient mener à la mort, au féminicide. On semble passer sous silence aussi le fait que des milliers de femmes meurent car elles sont privées de libertés fondamentales, comme celles de disposer de leurs corps.

J’ai eu un déclic j’ai vu que nos voisines algériennes avaient créé une page Instagram pour recenser les féminicides dans leur pays : alors j’ai décidé de me lancer, et de tenir, moi aussi, un décompte des féminicides au Maroc.
 

• Quels sont les objectifs principaux de votre plateforme et comment vous travaillez pour les atteindre ? 

A travers cette page je souhaite d’abord honorer la mémoire des victimes de féminicides au Maroc en racontant leurs histoires. Recenser, compter féminicides ça sert avant tout à dire : STOP, pas une morte de plus ! Nous pouvons empêcher cela en déconstruisant la mécanique des féminicides. A travers ce compte, j’explique comment ces crimes prennent racine dans un continuum de violences patriarcales. Cela permettra, je l’espère, de sensibiliser le grand public pour mieux lutter contre ces violences.
 

• Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontée en tant que fondatrice d'une plateforme de sensibilisation sur les réseaux sociaux et comment vous les surmontez ? 

Le recensement des féminicides est difficile à accomplir. Je me fonde sur les articles de presse marocaine, mais malheureusement, les féminicides peuvent être durs à repérer car souvent classés dans les faits divers et peu relayés dans les médias. Ce qui fait que le nombre de féminicides que je recense est bien en-deçà des réalités.
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• Comment vous assurez-vous de diffuser des informations précises et vérifiées sur le sujet du féminicide au Maroc ?

Je ne me fie qu’à des médias qui ont une charte d’éthique et déontologie journalistique, et je croise les sources aux maximum. Lorsque j’ai un doute, je contacte les journalistes pour en savoir plus.
 

• Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les femmes au Maroc en matière de violences patriarcales et de féminicide, et quels sont vos efforts pour les sensibiliser et les combattre ?

L’obstacle principal à l’épanouissement des Marocaines, c’est qu’elles n’ont toujours pas l’égalité dans la loi. Les femmes sont privées de certaines libertés fondamentales, comme celle de disposer librement de leurs corps. En parallèle, la société marocaine, comme toute société patriarcale, est imprégnée par les valeurs de la masculinité hégémonique : les hommes sont mis au centre de la vie politique, économique, culturelle… Et les femmes sont condamnées à rester en périphérie, ou cantonnées à leur rôle de mère. Cette domination masculine, très ancienne, se nourrit et se maintient par une violence de plusieurs formes : économique, psychologique, sexuelle, physique… que ce soit au sein de la famille, du couple, dans la rue, dans l’entreprise : les violences fondées sur le genre forment un continuum. Son dernier échelon, c’est le féminicide : le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme.
 

• Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre vision sur la situation et le développement de la situation des droits des femmes au Maroc ?

Je pense qu’après les grandes avancées des années 2000, la situation des droits des femmes stagne dangereusement. Il est urgent de procéder à une refonte totale de la Moudawana et du Code pénal, pour acter une égalité des sexes efficiente, et mieux protéger les femmes contre les violences sexuelles, notamment. Les militant.e.s féministes se mobilisent de plus en plus pour réclamer ces grandes réformes : c’est notamment le sens de la tribune que nous avons publiée le 8 mars dernier, suivi d’un grand rassemblement à Casablanca, place des Nations Unies. J’ai bon espoir que cette mobilisation débouche sur des résultats très bientôt.
 

• Comment vous utilisez les réseaux sociaux, en particulier Instagram, pour sensibiliser et mobiliser la communauté autour de la lutte contre le féminicide au Maroc ?

Tout d’abord, je fais une veille permanente du l’actualité du pays, sur la vaste thématique des violences patriarcales. Je relaye un maximum d’articles de presse sur les affaires de viols, les procès pour violences sexuelles, les féminicides, tout en analysant ce qui se joue, au niveau sociétal, dans ces phénomènes. En même temps, je procède au recensement des féminicides: compter, c’est visibiliser, c’est dire : pas une de plus, #MatzadTaWa7da ! Enfin, je fais régulièrement des posts explicatifs autour de l’analyse des féminicides : leur typologie, leur mécanique… tout cela fondé sur des études historiques et sociologiques du monde entier.
 

• Les sujets que vous abordez, tels que le féminicide et les violences patriarcales, peuvent susciter des réactions fortes. Comment vous gérez-vous les critiques ou les messages négatifs que vous pouvez recevoir dans vos publications sur les réseaux sociaux ?

Je n’ai jamais eu de problème jusqu’ici !
 

• Quels sont les résultats ou les réalisations que vous avez obtenus jusqu'à présent grâce à votre plateforme et à vos efforts de sensibilisation ?

Je pense avoir contribué à visibiliser un peu plus les féminicides, à vulgariser un petit peu ce mot au Maroc.
 

• Comment vous collaborez-vous avec d'autres organisations ou militants pour lutter contre les violences patriarcales et promouvoir l'égalité des sexes au Maroc ?

Le 8 mars dernier, avec un collectif de militant.e.s, nous avons aussi organisé un rassemblement place des Nations Unies, à Casa. Grâce à nos communautés sur les réseaux sociaux, nous avons réussi à mobiliser une belle centaine de personnes : c’était un moment magnifique de militantisme.
 

• Quelles sont vos perspectives pour l'avenir de votre plateforme "Stop Féminicide Maroc" et comment vous envisagez d'étendre votre impact dans la lutte contre le féminicide et les violences de genre ?

J’aimerais mettre en place des formations au traitement des féminicides dans les médias, pour qu’enfin les journalistes cessent de parler de « crime passionnel » ou de « crimes d’honneur » lorsqu’il s’agit de féminicides.

J’aimerais aussi lancer un podcast pour parler de féminisme avec des militant.e.s marocain.e.s.
Enfin, et surtout : continuer à mobiliser les citoyen.n.e.s dans la rue pour réclamer nos droits !
 

• Quels sont les messages clés que vous souhaitez transmettre à travers votre travail de journalisme et votre engagement dans la lutte contre les violences patriarcales et le féminicide au Maroc ?

Si tu es une femme, et que tu te sens oppressée par les injonctions contradictoires de la société… sache que ce n’est pas une fatalité. Ensemble, nous pouvons renverser la domination masculine pour construire une société inclusive et égalitaire.

Nous remercions chaleureusement notre intervenante pour sa disponibilité et son engagement en faveur des droits des femmes au Maroc. Son travail en tant que militante et fondatrice de la plateforme Instagram "Féminicides Maroc" est d'une grande importance pour sensibiliser le public et lutter contre la violence à l'égard des femmes. Nous espérons que cette interview a permis de mieux comprendre la problématique du féminicide au Maroc et que chacun d'entre nous pourra contribuer à mettre fin à cette forme de violence intolérable.


Salma LABTAR