Si Mawazine est souvent vanté comme un moteur culturel et touristique majeur, il révèle aussi un profond déséquilibre. Le festival déroule le tapis rouge aux stars internationales aux cachets exorbitants, tandis que les artistes marocains sont cantonnés à des scènes périphériques, avec des rémunérations bien moindres. Cette fracture culturelle et sociale alimente les appels au boycott et soulève des questions sur la pertinence de tels investissements dans un pays en quête de justice sociale.
Depuis ses débuts, Mawazine affiche une ambition claire : attirer à Rabat les plus grandes vedettes mondiales. Une volonté qui semble indifférente à la crise économique, aux tensions sociales ou à l’incertitude internationale.
Des stars comme Mariah Carey, Shakira, Jennifer Lopez ou, de son vivant, Whitney Houston, auraient perçu entre 5 et 7 millions de dirhams pour une seule prestation. Plus récemment, la chanteuse libanaise Haifa Wahbi aurait touché près de 800 000 dirhams pour un concert de moins d’une heure. Des chiffres impressionnants, accompagnés de nombreuses exigences, qui font débat.
En comparaison, des artistes marocains populaires comme Zina Daoudia ou Tarik Batma se contentent de cachets allant de 40 000 à 70 000 dirhams, soit cent fois moins que leurs homologues étrangers. Aymane Serhani, figure appréciée de la jeunesse marocaine, ne dépasse pas 400 000 dirhams pour ses prestations à Mawazine.
Mais le problème ne se limite pas aux montants. C’est aussi la répartition des scènes qui révèle le déséquilibre. Tandis que les stars internationales investissent la prestigieuse scène OLM Souissi, les artistes marocains se produisent souvent dans des lieux plus modestes à Salé, Nahda ou sur des scènes réduites, rarement retransmises en direct et souvent marginalisées.
Ce découpage reflète une hiérarchie implicite : la vitrine pour l’international, la périphérie pour le local. Un système qui blesse les artistes nationaux et une audience de plus en plus consciente de cette exclusion dans son propre pays.
Sur les réseaux sociaux, la contestation est régulière. Chaque année, le hashtag #BoycottMawazine ressurgit, porté par des citoyens dénonçant des dépenses « obscènes » dans un pays où la santé, l’éducation et l’emploi des jeunes manquent cruellement de moyens. « Comment justifier de payer des millions à des chanteurs étrangers quand nos écoles rurales manquent de tables, nos hôpitaux de lits et nos jeunes d’avenir ? », peut-on lire sur X.
Même certains artistes marocains s’expriment désormais pour dénoncer ce « système de caste culturel », où le prestige revient aux vedettes étrangères, souvent pour quelques heures, sans investissement réel dans le tissu local.
Les organisateurs avancent néanmoins des chiffres positifs : plus de 3 000 emplois directs, 5 000 indirects, une hausse touristique de 22 % à Rabat, hôtels pleins à 100 %, et un dynamisme économique dans les secteurs du transport et de la restauration.
Mais ces retombées restent limitées à dix jours et à un périmètre géographique restreint. Elles ne bénéficient ni aux régions marginalisées, ni aux artistes marocains sur la durée. Ce modèle événementiel, malgré son éclat, ne crée aucun héritage durable : ni écoles de musique, ni tournées pour les jeunes talents, ni véritable écosystème culturel pérenne.
Mawazine est avant tout une vitrine de l’image que le Maroc souhaite projeter : modernité, ouverture, cosmopolitisme. Mais à quel prix ? En marginalisant ses propres créateurs et en invisibilisant la richesse musicale locale au profit de quelques noms internationaux ?
Il ne s’agit pas de rejeter la dimension internationale ni de tomber dans le repli culturel, mais de réclamer un meilleur équilibre. La culture nationale doit retrouver une place centrale, surtout dans un festival largement financé par des fonds publics, qui doit assumer une responsabilité sociale.
Mawazine continuera sans doute d’attirer les foules. Mais sur le long terme, un festival déconnecté de ses racines culturelles ne peut prétendre à une véritable légitimité. La vraie modernité, c’est d’abord valoriser ses propres voix.