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Feu Omar Boucetta, mon père, ce héros au sourire si doux…




Par Aziz Boucetta

Feu Omar Boucetta, mon père, ce héros au sourire si doux…

C’est par ces mots d’un poème fameux de Victor Hugo que mon père avait coutume de rendre hommage au grand poète français, et il nous le déclamait avec un sourire encore plus doux, que nos larmes évoquent aujourd’hui… Mon père, le Docteur Omar Boucetta s’est éteint ce 16 août, tout aussi doucement, nous laissant à jamais le souvenir de ce sourire d’une douceur dont il avait le secret…
 

Cher Papa,


Ce siècle avait 21 ans quand tu as vu le jour à Marrakech, cet étrange 20ème siècle que tu as traversé, avec ses grandes heures et ses nombreux malheurs, mais avec ta bonne humeur et ta grandeur. Tu es parti à 100 ans, un siècle de vie que tu as si merveilleusement su mettre à profit pour ton pays et pour les tiens.


50 ans pour ton pays… ton activité patriote à Paris lorsque tu y étudiais la médecine entre l’Occupation et la Libération et que tu assurais les cours du soir, éminemment politiques, aux Marocains pour leur propre Libération… ton adhésion au Manifeste de l’Indépendance que tu n’as pas signé mais auquel tu t’es associé, ce qui t’avait valu une suspension de la bourse française et quelques périodes conséquentes de disette alimentaire… ton retour au pays et ton engagement dans le mouvement national… ton activité débordante pour le sport… ah, le sport…


Avec Feu Ahmed Antifit, tu avais fondé la Fédération royale marocaine de football, que tu présidas, comme le Moghreb de Fès, ce qui était une prouesse pour le Marrakchi que tu étais, mais en réalité un prolongement de l’action de ton père, l’autre Marrakchi qui avait conduit l’université al Qaraouiyyine quelques années auparavant ! Et dans la foulée, en grande foulée, tu avais ensuite fondé le Comité national Olympique, ce qui t’avait fait dire un jour, après la débâcle des JO de Rio : « Sur 35 millions de Marocains, n’a-t-on donc trouvé personne pour prendre un poids et le jeter le plus loin possible ? Avec 2.500 kilomètres de côtes, est-il si difficile de trouver quelqu’un qui sache nager longtemps, ou vite, ou les deux ? ». Même dans la colère, tu savais garder ton humour… Ton apport au sport te valut en 1979 la Médaille d’argent olympique (ci-contre), remise à chaque Olympiade aux Grands qui ont œuvré pour le sport, la Médaille d’or ayant été remise au seul baron de Coubertin.


Puis, durant la Marche Verte, tu pris ta voiture, y embarquai médicaments, pansements, produits désinfectants et fils aîné pour porter assistance aux blessés et malades de la longue file de camions qui serpentait à flancs de collines et de montagnes… Tu étais en effet médecin, un médecin qui, face au vide hérité des Français, créa l’Ordre des Médecins puis le Conseil Supérieur de ce même Ordre… Tu étais ce médecin philanthrope qui sut soigner et accompagner, sans cesse et sans relâche, avec conscience et patience, aimant autant ton métier que tes patients, usant également de ta science et de tes connaissances, et parfois même de ton érudition religieuse que tu employais souvent comme placebo… et exerçant à titre gracieux ta médecine pour celles et ceux qui étaient dans le besoin.


Il est dur et serait long de dire tout ce que tu as accompli pour ton pays, de ce qui se révèle et de ce qui doit être tu. Tes fonctions diplomatiques auprès de l’Eglise à Rome ou des Chiites du Liban, avec les Allemands à Bonn…, tes relations politiques et fort affectives avec Feu Mohammed V auquel tu vouas tes actions et avec Feu Hassan II pour lequel tu te dévouas, jusqu’au cœur des évènements de Skhirate. Ambassadeur, tu as su représenter ton pays dans la dignité et la bonhommie qui te caractérisait. Ministre, tu as su résister quand il le fallait et persister dans tes convictions lorsque tu le devais.


Cher Père,


Les 50 années suivantes, tu nous les consacras, à nous, tes enfants, ta famille, tes proches et tes malades, éduquant les uns, aimant les autres, soignant à tour de bras et exerçant d’autres activités à tour de rôle. Tu nous as transmis une partie de ton savoir, qui était grand, comme toi… Tes manuscrits du Coran et tes deux recueils de poésie resteront à jamais dans nos cœurs.


Tu fus pour moi, pour mes frères, pour ma défunte sœur, pour tes petits-enfants, un père, un grand-père et un ami, un maître et un complice, veillant sur tout sans jamais t’ingérer, gérant bien des choses avec l’art et le tact qui te sont aujourd’hui reconnus, même par ceux qui ne t’ont pas connu.


Tu nous as appris les règles et l’esprit de la religion, nous laissant libres de sa lettre. Tu nous récitais tes longues tirades d’Hugo ou de Bossuet, et les poèmes d’al Moutanabbi ou d’al Jahid, en nous en expliquant le sens caché et souvent mystique… tout en sachant nous suggérer les versets humanistes du Coran, et en œuvrant à nous éclaircir sur les autres. Ton érudition encyclopédique n’avait d’égale que ton humour, comme ce jour où tu arrêtas le véhicule que tu conduisais pendant que tu devisais avec un autre érudit, Moulay Seddiq Alaoui, de l’origine tribale de la 3ème épouse de Moulay Smaïl, et que tu me suggéras de descendre pour mieux me concentrer sur ma feuille d’impôt, dans un taxi… ou encore ce jour où, en repas familial, quand tout le monde parlait à tout le monde, tu avais eu cette réflexion : « كلشي كايهضر او ماعرفنا شكون للي كايسمع (Tout le monde parle et on ne sait qui écoute)… ».


Tu sus être ce père et grand-père aimant et tu réussis à te montrer ferme sans jamais fermer les portes de la discussion, quand nous étions adultes, ou de la contestation voire rébellion quand nous étions jeunes. Tu ne t’es jamais départi de ton sourire, même quand tu nous sermonnais avec une dureté bien compréhensible face à nos errements d’antan.


Tu fréquentas Oufkir et Ben Barka, Allal el Fassi et Abderrahim Bouabid, Basri et Guedira, estimé par tous, proche de chacun. Et jamais tu ne te départis de ta loyauté et de ton loyalisme, de ta bonté et de ton altruisme, de ta rigueur et de ta bonne humeur. De ta grandeur. Ton sourire restera à jamais gravé dans nos esprits et dans nos cœurs.


Toutes les larmes de nos corps, tous les mots de la terre ne sauront guérir les maux causés par ta perte, éternelle, irréversible, déchirante… ô combien déchirante.


Papa, ton père t’avait mal prénommé, il aurait dû choisir Tayeb. Et je commence à comprendre, aujourd’hui, ce que ressentent les gens qui perdent leur parapluie par temps d’orage.

Repose en paix, Papa, mon cher et regretté père, mon héros au sourire si doux qui me manquera tant.


Aziz Boucetta



Lundi 23 Août 2021