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G5 Sahel : l’approche alternative du Maroc


Rédigé par le Mercredi 17 Février 2021

À travers sa deuxième participation au Sommet du G5 Sahel, le Maroc réaffirme sa volonté de collaborer à la sauvegarde des Etats et populations de cette partie voisine de l’Afrique, déstabilisée par le terrorisme jihadiste. L’originalité de son approche de cette problématique en fait un partenaire de choix.



Carte de la sous-région du G5 Sahel
Carte de la sous-région du G5 Sahel
« Nous, dans le Royaume du Maroc, ne sommes pas de simples spectateurs de ce qui se passe dans la région du Sahel et nous ne l’avons jamais été », a déclaré le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, dans son allocution prononcée devant le Sommet du G5 Sahel tenu, les 15 et 16 février à N'djamena, au Tchad.

« Bien au contraire, nous refusons, comme vous, toute menace sécuritaire et sommes solidaires de nos amis dans les pays de la région contre les dangers qui les guettent et qui nous menacent, tous, directement », a-t-il ajouté, pour indiquer l’intérêt particulier accordé par le Maroc à ce sujet.

Dans cette zone de haute insécurité séparant le Grand Sahara, au Nord, des savanes, au Sud, allant de la Mauritanie, à l’Ouest, au Soudan, à l’Est, Al Qaïda et Daech se sont greffés aux multitudes de problèmes déjà existants.

Constat de situation

Pour les besoins du présent article, nous allons cibler le propos sur les cinq pays du G5 Sahel, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad (*). Soit une surface de 5 millions de km2, plus de sept fois celle du Maroc.

Dans ce vaste espace semi-aride historiquement dédié au trafic commercial entre les régions limitrophes, les frontières entre Etats de la région que l’on peut voir sur une carte n’ont de signification que pour ceux qui veulent bien leur en accorder.

Autre aspect essentiel à souligner, les indices de fécondité très élevés enregistrés dans ces pays. Ça va de 7,6 enfants par femme au Niger, à 4,1 en Mauritanie, en passant par le Tchad (6,6), le Mali (6,1) et le Burkina Faso (5,9). À titre de comparaison, l’indice de fécondité du Maroc est de 2,4.

Même en parvenant à enregistrer des taux de croissance du PIB assez importants avant la pandémie du Covid, le Burkina Faso, 6,8 %, le Niger, 6,5 %, le Mali, 4,9 %, la Mauritanie, 3,6 %, le Tchad, 2,6 %, (chiffres 2018), il est évident que ces pays ne peuvent qu’être confrontés à de graves problèmes. Ils font plus d’enfants qu’ils n’augmentent leur production de richesses.

Spécificités ignorées

Les médias occidentaux font peu référence à cet aspect de la problématique sécuritaire au Sahel, parce que poser la question démographique pourrait les amener à se trouver en contradiction directe avec le discours politiquement correct sur la démocratie dans les pays d’Afrique.

Que valent les élections dans des pays ou l’appartenance ethnique prime sur toute autre considération ? Les minorités ethniques peuvent toujours rêver de se faire entendre ou participer aux prises de décision, même celles qui les concernent directement.     

Aussi, quand on traite des groupes jihadistes terroristes au Sahel, ignorer la dimension ethnique de la crise sécuritaire qui y prévaut, c’est se condamner à ne rien comprendre. Avant que les Touaregs ne se mettent sous la bannière d’Al Qaïda, ils s’étaient déjà soulevés à plusieurs reprises contre le pouvoir central à Bamako.

Avancer que les tribus nomades qui vivent des activités pastorales ne se sont jamais entendues avec les populations sédentaires d’agriculteurs, que le problème s’est encore plus aggravé quand les premières citées se sont retrouvées minoritaires face aux anciennes victimes de leurs razzias dans les Etats créées par les colonisateurs occidentaux n’est pas conforme, en effet, à l’idéologie dominante.



Au chat et à la souris

Au Sahel, les Jihadistes tuent et s'entretuent
Au Sahel, les Jihadistes tuent et s'entretuent
Il faut être réaliste. Ce ne sont pas les quelque cinq mille soldats de l’opération française Barkhane qui peuvent venir à bout des groupes jihadistes, même si leur effectif global est moindre, quelque trois mille combattants. 

Il en faudrait peut-être dix à vingt fois plus pour sécuriser l’ensemble de la surface cumulée des pays du G5 Sahel, ce qui n’est ni politiquement, ni militairement, ni financièrement faisable.

Les militaires français doivent savoir ce que leurs décideurs politiques semblent ignorer. Il n’est rien de plus facile pour les jihadistes que de jouer au chat et à la souris avec les soldats français. 

Les jihadistes peuvent rapidement se regrouper en petites bandes mobiles, qui peuvent aller de deux combattants montés sur une moto à quelques dizaines à bord de véhicules tout terrain dotés de mitrailleuses ZU, quand l’opportunité se présente de porter des coups aux soldats français. 

Comme ils peuvent s’éparpiller encore plus promptement et se fondre dans la population, quand la pression militaire française est trop forte. 

Le passage de simples cellules jihadistes cachées au sein de la population, se contentant de mener des attentats, à des unités combattantes numériquement plus importantes, pouvant opérer à plus grande échelle, et inversement, se fait avec grande fluidité quand les éléments concernés sont idéologiquement motivés. 

Une tactique de la guerre insurrectionnelle à laquelle les Américains avaient déjà goûté lors du conflit du Viêtnam.

Le bourbier sahélien

Quant à l’impact de l’élimination par l’armée française de chefs jihadistes, tel Abdelmalek Droukdel, l’ex-chef d’AQMI, en juin 2020, et celle de Bah Ag Moussa, du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans, en novembre de la même année, il est aussi durable que le temps que vont prendre leurs lieutenants ou leurs concurrents pour les remplacer.

L’opération Barkhane, entamée en août 2014, fait suite à l’opération Serval, menée de janvier 2013 à juillet 2014. Aux 9 soldats français morts de la première intervention sont venus s’ajouter les 45 de celle en cours et le bilan macabre est loin d’être clos.  

Il est question, actuellement, d’un affaiblissement des groupes jihadistes opérant au Sahel, mais ce n’est pas grâce à la lutte anti-terroriste. C’est plutôt parce qu’Al Qaïda et Daech s’affrontent avec acharnement pour le contrôle de cette zone. En arrière-fond, non-idéologique, encore une fois le facteur ethnique.

Ethnies et jihadisme

Al Qaïda s’est adaptée au substrat culturel local et porte, en soubassement de son discours officiel, les revendications des Touaregs et autres tribus nomades pastorales. Alors que Daech est foncièrement globaliste et ne rêve que d’étendre sa zone d’influence et atteindre la cote atlantique.

Pour se financer, ces groupes jihadistes recourent aux trafics en tout genre, des narcotiques aux êtres humains, une méthode inaugurée par les FARC en Colombie et qui a connu un succès fulgurant auprès de la plupart des mouvements terroristes à travers le monde. 

Or, tout trafic illicite suppose des complicités, plus vénales qu’idéologiques, dans les administrations et forces de sécurité des pays concernés. Ce qui rend la lutte anti-terroriste encore plus mal aisé.

Le Maroc est bien placé pour comprendre le mode de pensée propre à cette sous-région du continent, vu qu’il a été pendant des siècles, et redevient depuis quelques décennies, un acteur majeur du commerce transsaharien.

Le royaume est, aussi, tout autant soumis que les pays de cette zone profondément instable aux menaces des groupes jihadistes qui y opèrent. Le chef de Daech au Grand Sahara n’est autre qu’Adnan Abou Walid Sahraoui, un polisarien.


Soft power marocain

SM Mohammed VI en compagnie de l'ex-président Ibrahim Boubakar Keïta, lors d'une visite, en septembre 2013, au Mali
SM Mohammed VI en compagnie de l'ex-président Ibrahim Boubakar Keïta, lors d'une visite, en septembre 2013, au Mali
Dans sa contribution à la première phase (2019-2021) du Programme d’investissement prioritaire au profit des pays du G5, le Maroc s’est engagé dans des projets d’électrification de zones rurales frontalières, exploitant son expérience dans la production d’énergie solaire, ainsi que dans la gestion des ressources en eau, l’agriculture en milieu semi-aride et les mesures zoosanitaires.

Le soft-power marocain s’exprime également dans cette sous-région à travers la formation des imams. C’est un apport non-négligeable dans la lutte contre l’idéologie takfiriste, et ce en raison des spécificités socio-religieuses des populations musulmanes du Sahel, empreintes de la culture soufie.

L’approche marocaine par le bas, privilégiant l’amélioration du niveau de vie des populations et la consolidation de leurs pratiques religieuses traditionnelles, vaut largement plusieurs régiments, coûte beaucoup moins cher et ne peut entraîner aucune bavure de nature à susciter la colère de ceux-là même dont on est censé gagner l’adhésion dans la lutte contre le terrorisme jihadiste.

L’aura de la Commanderie des croyants ne connaît pas non plus de frontières et s’étend bien au-delà du fleuve Niger.

Par Ahmed NAJI

(*) Le Sahel dans son ensemble, ce sont dix pays s’étendant sur 7 millions de km2

Lien vers le communiqué final du Sommet du G5 Sahel, tenu les 15 et 16 février à N'Djamena : 
https://admin.g5sahel.org/wp-content/uploads/2021/02/2021-02-16-Commmunique-de-NDjamena-Version-valid%C3%A9e-par-les-chefs-dEtat.pdf

 





Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Mercredi 17 Février 2021