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GenZ 212, plus qu’un slogan un projet


Par Larbi Bargach

Dans cette analyse, Larbi Bargach décrypte la portée sociale et politique du mouvement GenZ 212, révélateur d’une fracture silencieuse entre un Maroc en plein essor économique et une jeunesse en quête de dignité. Au-delà du simple slogan, il y voit l’expression d’un projet de société, celui d’une génération qui réclame justice, équité et sens dans un modèle de développement où les infrastructures ne suffisent plus à apaiser les frustrations. Entre corruption, éducation, santé et crise de confiance envers la classe politique, l’auteur appelle à refonder le contrat moral entre l’État et ses citoyens.



Le développement économique, lorsqu’il se limite à l’investissement productif et à la création d’emplois, génère des frustrations au sein même des populations qu’il est censé servir.

Larbi BARGACH
Larbi BARGACH
Il réduit l’investissement à sa rentabilité immédiate et l’emploi à la force de travail qu’il génère. Cette frustration est générale. Elle touche en premier lieu ceux qui sont restés à la marge et qui continuent à souffrir du chômage et de l’accès compliqué au minimum des droits sociaux. Au Maroc, pour eux rien n’a changé : leurs salaires, quand ils en ont un, sont insuffisants pour subvenir à leurs besoins et ils se considèrent, à juste titre, comme des laissés-pour-compte. Ils n’ont ni avenir personnel ni objectif familial et leur environnement est bloqué.

Cette frustration touche également les gouvernants qui pensent avoir réalisé un grand nombre de projets structurants et trouvent injuste le procès qui leur est fait. À coups de tableaux Excel et de présentations PowerPoint, ils font le bilan des réalisations des 30 dernières années et des projets en cours sans jamais réussir à convaincre. Ils ont raison de dire qu’il faut créer de la richesse avant de la distribuer, mais encore faut-il savoir la distribuer.

Ce n’est pas qu’une question de salaire, qui s’est légèrement amélioré si l’on se fie aux nouvelles habitudes de consommation des Marocains, c’est aussi une question de dignité, de prévoyance et d’égalité des chances.

Le message des jeunes de la génération Z est clair et pointe du doigt le fossé qui sépare les réalisations accomplies et leurs perceptions par les jeunes.

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Toutes les réalisations, impossibles à énumérer dans une simple rubrique, deviennent transparentes pour les Marocains alors qu’elles sont louées par tous les observateurs, surtout étrangers. Ce n’est pas qu’une question de priorité, c’est aussi une question de contenu. Lorsqu’on explique aux jeunes Marocains que des entreprises locales, des champions nationaux, ont réussi l’exploit de construire des stades aux normes les plus élevées en 18 mois, ils ont des réponses renversantes :
 

-Ces entreprises ont accès à des marchés fermés pour les PME régionales.

-Ce n’était pas la priorité, le Maroc a besoin d’écoles et d’hôpitaux.

-Ces stades auraient dû être construits depuis 1988, date de notre première candidature à l’organisation de la Coupe du Monde.
 

S’ils ont raison pour la dernière affirmation, la plupart des réalisations des dernières années relèvent du rattrapage en infrastructures, ils posent une problématique sérieuse sur les deux autres. Beaucoup de nos PME, agences de communication et d’événementiel, sociétés de confection et autres se sentent écartées des budgets consacrés à l’organisation du Mondial ibéro-marocain. C’est frustrant et à l’encontre de la volonté de mobilisation autour de l’événement.


Le sous-développement n’a jamais été une fatalité.

Singapour, un des pays les plus riches du monde en 2025, était au bord de l’agonie en 1965, dépourvu de toutes ressources naturelles. Il fallait importer même l’eau douce et les conflits ethniques empêchaient toute cohésion sociale. C’est l’éducation, entre autres, qui l’a propulsé de pays au fin fond du classement des pays du tiers monde au Top 10 des pays les plus riches, en quelques années seulement. Lee Kuan Yew, le Premier ministre singapourien, a développé un modèle reposant sur quatre piliers :
 

-Une lutte implacable contre toutes les formes de corruption. Il a créé un bureau d’investigation doté des pouvoirs les plus étendus et d’une totale indépendance, chargé des enquêtes sur tout suspect.

-L’éducation obligatoire, source de toutes les promotions sur des bases méritocratiques. « La méritocratie et le pragmatisme sont l’idéologie en vigueur à Singapour », disait-il.

-La stricte neutralité religieuse et ethnique au Maroc, cette question ne se pose pas.

-Le culte de la performance, l’éloge de la discipline collective. Ne pas traverser sur les passages cloutés est passible de très fortes amendes et de travaux d’utilité publique, les plus humiliants quel que soit votre statut social.
 

Les jeunes du mouvement GENZ212 en ont épinglé deux : corruption et éducation, c’est dire la pertinence de leurs revendications. Le Maroc a besoin d’écoles, c’est une certitude. Il a même besoin de revoir tout son système éducatif. Ce n’est pas seulement parce que le système actuel a échoué, mais parce qu’il a freiné le renouvellement des élites par le bas. Pendant que les réformes étaient mises en œuvre, les porteurs de ces réformes mettaient leurs enfants dans les missions étrangères ou dans les écoles privées. Et tout le monde est responsable et concerné.

Les hommes politiques, de la majorité et des oppositions socialistes, nationalistes ou islamistes ont, quasiment tous, protégé leurs enfants de la médiocrité de l’école publique qu’ils ont créée. Il faut en finir avec ces privilèges et redonner à cette école tout son prestige et son statut de locomotive du développement. Le système éducatif, c’est aussi la formation professionnelle.

Adapter l’école aux besoins de l’économie, c’est aussi rapprocher l’école de l’usine. La formation est le parent pauvre de la filière éducative, car elle relève souvent du parcours académique alors qu’il s’agit parfois de spécialités pointues : tourisme, bâtiment, encadrants sportifs…


Le Maroc a également besoin d’hôpitaux.

On sait que dix CHU sont en cours de livraison pour 2026. On peut parier qu’ils seront équipés de matériel de pointe et dotés de budgets conséquents. S’ils souffrent de l’absentéisme des médecins et chirurgiens, occupés dans des missions dans les cliniques privées, ce sera une épée dans l’eau. Si les infirmiers continuent à se mobiliser principalement pour les malades à pourboires et si le personnel administratif ferme les yeux sur les médicaments qui disparaissent, tous ces investissements inaugurés en grande pompe ne régleront pas le problème.
 

C’est paradoxal de constater que les Marocains ne croient plus en leurs élus alors que depuis quelques années déjà le ministère de l’Intérieur respecte le résultat des urnes. Le populisme et l’opportunisme, qui ont porté au pouvoir un grand nombre d’hommes politiques incompétents ou déconnectés de la réalité, y sont pour beaucoup.

Les partis politiques, censés encadrer la jeunesse et remonter ses préoccupations, ont été vidés de leur substance militante. Les syndicats sont devenus des chambres d’enregistrement du bon vouloir du patronat.


Résultat : la dignité du citoyen est bafouée et l’oblige à se refermer sur lui-même dans une logique de débrouillardise au lieu du minimum de solidarité qu’impose le vivre-ensemble.

Chacun se débrouille comme il peut pour travailler, pour gagner sa vie, pour faire plaisir aux siens. Cette débrouillardise, qui prend la forme de corruption active ou passive, passe-droits et rapport de force, se généralise et détruit les effets de toutes les initiatives qui ont complètement métamorphosé le pays sous Mohammed VI.
 

La justice est à deux vitesses : expéditive pour les uns, indulgente pour les autres. Tout le monde a en tête la condamnation du cartel des pétroliers qui devait verser 17,5 milliards de dirhams à l’État pour détournement de plus-value. Le montant avait été calculé par une commission indépendante. Ils n'ont versé que 1 milliard de dirhams suite à une nouvelle évaluation du conseil de la concurrence dont le président avait changé entre-temps. Sans être légitime pour dire qui avait raison et qui avait tort, ce scénario est catastrophique pour l’image de la justice.

Surtout quand plusieurs petits propriétaires ont été exproprié avec des indemnités en décalage complet avec le prix du marché. Dans un livre d’entretiens avec Éric Laurent, feu Hassan II, le roi défunt, affirmait que « à partir de 1963-1964, je suis arrivé à la conclusion irréversible que l’État était un mauvais commerçant. D’abord il ne sait ni vendre ni acheter, ensuite il a autre chose à faire. À partir de ce moment, je me suis attaché fermement au mât de l’initiative privée, exactement comme un marin affrontant un gros temps ». Il a rajouté : « le libéralisme extrême est aussi suicidaire que le dirigisme pur et dur est mortel ».

Ce libéralisme extrême est source d’une société à deux vitesses un fléau que Sa Majesté le Roi Mohammed VI entend éradiquer au cours des prochaines années.

PAR LARBI BARGACH/QUID.MA



Jeudi 9 Octobre 2025