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Hajar Saoud : Jeunesse et désinstitutionnalisation, l’intelligence d’une gouvernance capacitaire


Rédigé par le Mardi 11 Novembre 2025



L’article scientifique de la doctorante Hajar Saoud, coécrit avec Morad Sbiti, éclaire puissamment la condition juvénile contemporaine et propose un cadre d’action concret pour le Maroc. L’idée directrice est simple et forte: la jeunesse n’est plus un “passage balisé”, c’est un espace transitionnel incertain. Plutôt que d’imposer d’anciens scripts, Saoud invite à gouverner les parcours en élargissant les libertés réelles des jeunes. C’est une bascule méthodologique et politique.

Gouverner les parcours, pas les normes: la vision de Hajar Saoud

Publié dans l’IJAFAME, l'article replace la jeunesse au cœur des mutations sociales: fin des trajectoires linéaires, fragilisation des médiations, montée des inégalités d’accès. Au lieu d’ajuster les individus à des normes figées, la chercheuse propose une “gouvernance capacitaire” qui transforme des ressources dispersées en possibilités effectives, dans un cadre soutenable et juste.

L’article s’ouvre sur un constat posé avec précision: le modèle linéaire qui enchaînait fin d’études, premier emploi, décohabitation et projet de vie ne décrit plus les trajectoires réelles. Pire, il produit une hiérarchie implicite entre “bons” et “mauvais” parcours. Cette désinstitutionnalisation n’est pas une crise passagère mais un changement de régime. La jeunesse devient une zone d’instabilité programmée, tiraillée entre exigence d’autonomie et dépendance aux dispositifs, avec une surcharge identitaire où l’individu doit fabriquer seul la cohérence de sa vie. En mobilisant la sociologie, la psychologie du travail et les sciences de gestion, Saoud refuse les angles morts habituels: elle montre simultanément la pluralisation des transitions, l’usure subjective et les leviers concrets de reconfiguration des politiques publiques.

Le choix d’ancrer l’analyse dans le cas marocain est décisif,  les jeunes marocains affrontent un empilement de contraintes qui invalide les dispositifs standardisés centrés sur l’employabilité” individuelle. L’article éclaire alors une impasse: activer sans médiation revient à naturaliser l’échec et à invisibiliser les déterminants structurels. C’est ici que la proposition de gouvernance capacitaire prend sens. Inspirée par l’approche des capabilités, elle déplace l’évaluation de l’offre vers les conditions d’accessibilité, de conversion et de soutenabilité biographique. Reconnaître la pluralité des trajectoires comme légitimes, financer des médiations de qualité (mentorat, accompagnement pair, maisons de parcours), relier éducation, formation, emploi, santé mentale et mobilité par de véritables passerelles interopérables, instaurer des droits réversibles et des rythmes adaptés: autant d’outils qui transforment des ressources en libertés réelles.

Ce cadre, loin d’un slogan, devient une boussole opérationnelle. Il invite à repenser les indicateurs de réussite, non plus en termes d’entrées-sorties brutes, mais de capabilités accrues: capacité à choisir une voie, à bifurquer sans être disqualifié, à soutenir un projet sans s’épuiser. Il appelle aussi une ingénierie relationnelle, où l’on finance les interfaces humaines autant que les programmes. Pour le Maroc, la portée est majeure: territorialiser l’accompagnement, augmenter la puissance de médiation des écosystèmes locaux, ouvrir des passerelles entre secteurs et reconnaître la valeur des trajectoires non linéaires.

Ce texte compte parce qu’il conjugue densité théorique et utilité publique. Il clarifie le diagnostic, propose une méthode et un outillage, et redonne une légitimité politique à la diversité des parcours. Plus qu’une “politique de la jeunesse”, la vision novatrice de Hajar Saoud esquisse une politique des parcours: une action publique qui mesure sa valeur à l’aune des libertés concrètes qu’elle élargit. Dans un paysage de normes qui s’effritent, cette gouvernance capacitaire est un cap et une promesse.




Mamoune ACHARKI
Journaliste junior passionné par l'écriture, la communication, les relations internationales et la... En savoir plus sur cet auteur
Mardi 11 Novembre 2025