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Hiérarchie linguistique dans la tech : "D’abord disponible en anglais !"

First available in English! : La formule qui nous classe d’emblée comme citoyens numériques de seconde zone


Rédigé par le Jeudi 29 Mai 2025



Langue d’innovation ou d’exclusion ?

Hiérarchie linguistique dans la tech : "D’abord disponible en anglais !"

À chaque annonce triomphante d’une avancée technologique majeure, d’une intelligence artificielle révolutionnaire ou d’un service numérique de nouvelle génération, une petite phrase revient comme un refrain irritant : « D’abord disponible en anglais ! ».

Ce détail en apparence anodin est devenu un signal d’exclusion systématique. Il nous rappelle cruellement que, dans la course mondiale à l’innovation, certaines langues – et donc certains peuples – passent toujours après les autres. Pour les arabophones, cette attente est souvent interminable, voire ignorée. Car il n’est pas rare que l’arabe ne soit même pas mentionné comme langue prévue dans les mises à jour.

Ce "d’abord l’anglais" est moins une contrainte technique qu’un choix stratégique. Il révèle une hiérarchie implicite des langues, où l’anglais est perçu comme la langue de la modernité, du pouvoir économique et de l’utilité immédiate. Le français, l’espagnol ou l’allemand suivent généralement peu après. Mais l’arabe ? Il est trop souvent relégué au statut de supplément exotique, si tant est qu’il soit pris en compte.

Ce décalage linguistique a des conséquences concrètes : retard dans l’accès à l’information, à la formation, à l’usage de l’outil. Dans un monde où l’intelligence artificielle et les technologies digitales dessinent l’avenir, cette barrière linguistique devient une fracture cognitive. Et donc une inégalité.

L’arabe est pourtant l’une des cinq langues les plus parlées au monde. Elle est langue officielle de plus de vingt pays, et langue liturgique de plus d’un milliard et demi de musulmans. Mais dans le monde du digital, elle est traitée comme une langue périphérique, voire optionnelle.

Le paradoxe est amer. Quand on voit des modèles linguistiques capables de générer des poèmes en gallois, de déboguer du code en islandais ou de simuler des dialogues en klingon, on se demande pourquoi l’arabe reste absent ou dysfonctionnel dans bien des interfaces ou assistants vocaux.

Cette marginalisation linguistique n’est pas qu’une affaire de fierté culturelle. Elle affecte directement la compétitivité des talents, la qualité de l’éducation numérique, l’accessibilité aux outils d’avenir et l’inclusion dans les débats mondiaux. Un enfant qui apprend à coder ou à interagir avec une IA en arabe aujourd’hui part avec une longueur de retard, simplement parce que la langue de son quotidien est absente des premières versions.

Et cela entretient un cercle vicieux : puisque les outils en arabe sont peu performants, les développeurs arabophones ne les utilisent pas, donc ne les améliorent pas, donc ils restent faibles. Résultat ? Les utilisateurs se tournent vers l’anglais… et l’arabe recule encore.

Et si on changeait de paradigme ?

Il est temps de considérer l’arabe non pas comme une langue "à localiser un jour", mais comme une composante essentielle de l’avenir numérique global. Car l’innovation ne sera réellement inclusive que si elle parle aussi aux peuples dans leurs langues. Cela implique un changement d’état d’esprit des géants du numérique, mais aussi une mobilisation des acteurs locaux : gouvernements, ingénieurs, start-ups et médias.

Pourquoi ne pas adopter une règle inverse : pas de lancement international sans version multilingue dès le départ ? Ou, à tout le moins, un engagement ferme à inclure les langues structurelles du monde — dont l’arabe — dans les premiers mois.

​Soyons lucides.

Les géants de la tech répondent à des logiques de rentabilité et d’optimisation. Développer une interface fluide en arabe, avec toutes ses complexités scripturales, son absence de voyelles explicites, ses variantes dialectales… coûte plus cher et rapporte moins.

Peut-on vraiment leur en vouloir de cibler d’abord les marchés les plus lucratifs et les plus uniformes linguistiquement ?

Peut-être que la vraie faute revient à nos gouvernements et nos élites, qui n’ont pas encore fait de la souveraineté linguistique numérique une priorité stratégique. En attendant, l’arabe reste une langue d’héritage, mais pas encore une langue d’avenir digital. À qui la faute ?

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Jeudi 29 Mai 2025