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IA au Maroc : Quand la souveraineté s’écrit encore en français..


Rédigé par le Lundi 15 Septembre 2025

Le Maroc vient de franchir une nouvelle étape dans sa stratégie numérique en signant un mémorandum d’entente avec Mistral AI, la jeune pousse française devenue le porte-étendard européen de l’intelligence artificielle générative. L’accord, paraphé à Rabat par la ministre déléguée Amal El Fallah et le cofondateur Arthur Mensch, marque la volonté affichée de bâtir un écosystème national de l’IA conciliant innovation, souveraineté et responsabilité. Mais au-delà de l’annonce officielle, ce partenariat raconte surtout une histoire familière : celle d’une doctrine française qui continue de structurer nos grands choix stratégiques, hier dans les infrastructures et aujourd’hui dans l’intelligence artificielle.



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Partenariat stratégique ou dépendance renouvelée ?

IA au Maroc : Quand la souveraineté s’écrit encore en français..
Il aurait été logique – ou du moins attendu – que le Maroc s’aligne sur la trajectoire dominante des GAFAM (OpenAI, Google ou Microsoft...), ces géants américains qui dominent l’IA avec des moyens colossaux et une avance technologique incontestable. Pourtant, le Royaume a choisi de faire un pas de côté et de s’arrimer à une alternative européenne sous-côtée .

Ce choix n’est pas neutre. Il traduit une certaine méfiance à l’égard de l’hégémonie américaine et la volonté d’affirmer un chemin plus équilibré, où la souveraineté des données et l’adaptation culturelle ne sont pas sacrifiées sur l’autel de la performance brute.

En s’associant à Mistral AI, Rabat entend rester parmi les précurseurs, tout en garantissant que ses données ne deviennent pas la matière première gratuite d’algorithmes logés dans des clouds transatlantiques. Le partenariat promet des retombées concrètes : formation avancée de data scientists, soutien aux start-up locales via l’accès aux modèles ouverts, expérimentation réglementaire encadrée par la CNDP, et déploiement d’infrastructures hybrides mêlant data centers nationaux et clouds européens conformes au RGPD. Tout cela va dans le bon sens et témoigne d’une vision structurée.

Mais une question demeure : s’agit-il d’une réelle souveraineté numérique ou d’un simple dépendance renouvelée ?

L’histoire économique marocaine regorge de projets où la patte hexagonale s’est imposée comme référence, souvent au détriment d’une montée en puissance de l’écosystème local. Cette fois encore, le risque existe que l’expertise demeure externalisée et que le Maroc se contente d’être un terrain d’expérimentation, plus qu’un acteur de co-construction.

Il faut le dire : la souveraineté numérique ne se limite pas à signer des MoU avec des partenaires prestigieux. Elle se bâtit dans la capacité locale à créer, adapter et maîtriser ses propres technologies. Si le partenariat avec Mistral AI doit avoir un sens, c’est précisément en ouvrant la voie à une coproduction : impliquer nos universités, stimuler nos ingénieurs, financer nos start-up et faire émerger une génération capable non seulement d’utiliser des modèles importés, mais de les entraîner et de les adapter aux réalités marocaines et africaines.

Reste que le symbole est fort. Alors que l’IA redessine les rapports de force mondiaux, Rabat choisit d’écrire son histoire avec un accent français. C’est une décision stratégique, qui reflète autant un pragmatisme politique qu’un héritage culturel. Mais pour que ce choix ne se transforme pas en plafond de verre, il faudra aller plus loin : transformer l’influence française en levier, et non en dépendance.

Car l’intelligence artificielle ne doit pas être un nouvel espace de tutelle, mais bien l’opportunité de tracer une voie souveraine, africaine et marocaine. À nous de transformer cette doctrine en tremplin.

Maroc ; Mistral AI ; mémorandum d’entente ; Amal El Fallah ; Arthur Mensch ; intelligence artificielle ; souveraineté numérique ; protection des données ; CNDP ; formation numérique ; écosystème technologique ; innovation ; RGPD ; calcul haute performance ; start-up tech





Mohamed Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
Lundi 15 Septembre 2025