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Incivilités sonores : pourquoi crions-nous autant dans les lieux publics ?


le Jeudi 7 Août 2025



Incivilités sonores : pourquoi crions-nous autant dans les lieux publics ?
Un coup de klaxon hargneux, une dispute vocale dans un bus bondé, un appel en haut-parleur sur la terrasse d’un café, un vendeur ambulant qui hurle son offre à 23h... Au Maroc, le bruit n’est pas un fond sonore : il est une présence sociale affirmée. L’étude du Centre Marocain pour la Citoyenneté (CMC), publiée en mai 2025, met le doigt sur un phénomène devenu presque culturel : la saturation sonore dans les lieux publics, et l’indifférence collective à ce vacarme quotidien.

​Une gêne partagée… mais peu dénoncée

Selon les résultats de l’étude, 53,5 % des Marocains affirment être mécontents de la forte propension de leurs concitoyens à parler ou crier à voix haute dans les espaces partagés. 39,4 % trouvent le phénomène “moyennement gênant” et seuls 7,2 % s’en disent satisfaits.

Le constat est clair : le bruit dérange, fatigue, agresse même. Et pourtant, peu de gens osent intervenir, de peur d’être ridiculisés, pris à partie, ou considérés comme “trop sensibles”.

​Le bruit comme mode d'existence sociale ?

Dans une société où l’espace est souvent saturé, cafés bondés, transports en commun denses, files d’attente longues, le volume sonore devient une arme sociale. Crier, parler fort, imposer sa voix, c’est affirmer sa présence, exister, ne pas se faire écraser.

Le problème, c’est que cette logique finit par écraser... le collectif. La sphère publique devient un champ de décibels croisés, un endroit où l’on subit l’autre plus qu’on ne le rencontre.

Des lieux devenus bruyants par défaut

Le phénomène touche tous les espaces : les cafés où les appels vocaux remplacent les discussions, les marchés devenus de véritables arènes sonores où le marchandage tourne au match de boxe, les transports où chacun impose sa musique ou sa vidéo, les administrations où l’attente se remplit de récits de vie partagés en public, les mariages ou funérailles parfois transformés en concerts de décibels ; dans tous ces lieux, le bruit n’est plus un excès, il est devenu la norme.

​Une fatigue sociale invisible

Ce vacarme constant n’est pas neutre. Il engendre stress, agressivité, troubles du sommeil, épuisement nerveux. Les plus vulnérables, enfants, personnes âgées, malades, travailleurs de nuit, en subissent les conséquences silencieuses.

Et paradoxalement, plus la ville devient bruyante, plus les gens se coupent les uns des autres. Casques sur les oreilles, regards fuyants, irritabilité croissante… le bruit isole. L’excès sonore n’est pas un lien, c’est une cloison.

​Une éducation sonore quasi inexistante

Le rapport du CMC pointe aussi une carence majeure dans l’éducation civique : le silence n’est jamais valorisé. On apprend aux enfants à répondre fort, à “se faire entendre”, à “ne pas se laisser faire”. Mais rarement à moduler sa voix, à respecter l’espace auditif d’autrui, à lire une pièce avec ses oreilles.

À l’école, peu d’enseignants osent aborder la question du volume sonore. Dans les familles, le bruit est souvent associé à la vitalité, voire à la virilité. L’enfant qui crie est “plein d’énergie”. Celui qui se tait est “timide” ou “effacé”.

​Le rôle des technologies : des amplificateurs sans filtres

Les smartphones ont aussi changé la donne. Les haut-parleurs publics sont partout : dans la main, dans la poche, sur la table. Plus besoin d’écouteurs : une vidéo TikTok se regarde à plusieurs… que les autres le veuillent ou non. La privatisation du son est devenue une prise d’otage auditive.

Ajoutez à cela les motos modifiées pour faire du bruit, les musiques en plein air à toute heure, les klaxons devenus systèmes de communication… et vous obtenez une société où chacun sature l’espace sonore pour exister dans le désordre.

Que faire ? Un retour au respect du silence

Le rapport du CMC propose plusieurs pistes concrètes : intégrer l’éducation au silence dans les programmes scolaires, lancer des campagnes sur le respect auditif dans les espaces publics, installer des zones silence dans les transports, les parcs, les bibliothèques, former les agents municipaux à sensibiliser plutôt qu’à sanctionner, et valoriser les comportements discrets dans les médias, les séries, la publicité.

Il ne s’agit pas d’imposer une société silencieuse à tout prix, mais d’apprendre à écouter le monde et les autres autrement. À faire du calme une forme de civilité, et non une faiblesse.

​Du bruit au brouillage social

Le Maroc n’est pas un pays bruyant par essence. Il est devenu bruyant par habitude, par relâchement, par absence d’encadrement. Mais cette saturation sonore n’est pas anodine. Elle tue la concentration, empoisonne le lien social, abîme la qualité de vie.
Le respect commence souvent… par le volume de notre voix.

Le premier pas vers un espace public apaisé, c’est de laisser une place au silence, à l’écoute, à la mesure.

Dans un monde de plus en plus bruyant, se taire peut devenir un acte de civilisation.

Dossier complet dans IMAG de LODJ

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Jeudi 7 Août 2025