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Interview avec Younes Belaidi : À quand une politique avec les jeunes, et non pour les jeunes ?


Rédigé par le Mardi 5 Août 2025

Dans un contexte politique national marqué par la désaffection croissante des jeunes pour les urnes, il devient urgent de s’interroger sur les causes de cette fracture entre jeunesse et institutions. À l’approche des élections de 2026, les partis politiques font face à un défi majeur : rétablir la confiance avec une génération lucide, connectée, mais largement désillusionnée. Pour éclairer cette réalité, nous avons rencontré Younes Belaidi, militant et chercheur engagé depuis plus d’une décennie sur les questions de justice sociale, de jeunesse et de genre.
Dans cet entretien sans filtre, il revient sur le désengagement des jeunes, la responsabilité des partis, et les voies possibles vers une réappropriation démocratique.



Interview avec Younes Belaidi : À quand une politique avec les jeunes, et non pour les jeunes ?

Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?


Younes Belaidi, militant et chercheur engagé depuis 11 ans sur les questions de justice sociale, de jeunesse et de genre. Issu d'Aïn Chok, un quartier populaire de Casablanca, je milite pour une politique ancrée dans le réel, qui inclut les voix marginalisées. Je suis coordinateur national du secteur étudiant du PPS.
 

À l’approche des élections de 2025, comment évaluez-vous le climat politique actuel au Maroc, notamment en ce qui concerne l’intérêt des jeunes ?
 

À l’approche des élections de 2026, je dirais que le climat politique au Maroc est préoccupant, en particulier en ce qui concerne l’intérêt et l’engagement des jeunes. On assiste à une consolidation de la domination du capital dans l’espace du pouvoir, où l’autorité publique et les intérêts privés semblent se renforcer mutuellement. Cette alliance, de plus en plus assumée, instaure une forme de gouvernance centrée exclusivement sur la performance économique.

Or, dans une démocratie en quête d’équilibre et de légitimité, cette approche marginalise les dimensions sociales, citoyennes et représentatives. La suppression des listes nationales réservées aux jeunes, instaurées en 2011 puis supprimées en 2021, a envoyé un signal négatif. Elle a contribué à accentuer le désenchantement d’une jeunesse déjà éloignée du champ politique formel.

Le discours du Trône du 29 juillet a certes ouvert une perspective de révision en confiant au ministre de l’Intérieur l’organisation de consultations avec les partis politiques autour du Code électoral. Mais tout dépendra de la sincérité de cette démarche, de la volonté réelle d’ouvrir les instances de décision à une nouvelle génération, et de la capacité des partis à renouveler non seulement leurs visages, mais aussi leur vision. À défaut, on risque de reproduire un cycle de désaffection, d’abstention, et de rupture silencieuse entre les jeunes et la démocratie.
 

Selon vous, quel est le rôle des partis politiques aujourd’hui dans la mobilisation des jeunes électeurs ? 


Les partis politiques, s’ils veulent encore prétendre mobiliser la jeunesse, doivent commencer par un vrai mea culpa. Parce qu’aujourd’hui, une grande partie des jeunes — surtout ceux des quartiers populaires, des zones rurales, des marges invisibilisées — ne se reconnaît plus dans ces appareils politiques figés, verticaux, souvent déconnectés du réel.

Tant qu’on ne cassera pas cette logique de monopole générationnel où les anciens s’accrochent aux commandes pendant que les jeunes patientent sagement dans les coulisses il n’y aura pas de sursaut. Il est temps de reconstruire un lien intergénérationnel basé sur la confiance, la transmission… mais aussi le partage réel du pouvoir. Pas question de faire des jeunes de simples figurants ou des "petites mains" de terrain : ils doivent être co-décideurs, co-stratèges, co-porteurs d’avenir.

Dans les quartiers comme celui où j’ai grandi, à Aïn Chok, les jeunes vivent chaque jour la précarité, le mépris institutionnel et l’invisibilité politique. Ils ne demandent pas la charité des partis. Ils réclament de la dignité, de la reconnaissance, et des espaces où leur parole pèse. Les partis doivent sortir de leurs sièges climatisés et venir là où ça vit : dans les associations, les campus, les centres culturels, les terrains de foot, les cafés, les rues. Là où la politique se pratique, pas là où elle se récite.

Cela implique aussi une véritable éducation politique pas des powerpoints technocratiques, mais des espaces d’éveil critique, d’expérimentation démocratique, de conflit d’idées. Et surtout, il faut s’attaquer aux vrais problèmes : emploi digne, logement accessible, égalité d’accès à l’éducation, justice écologique, libertés publiques. Pas des promesses recyclées à chaque élection.

S’ils veulent regagner un minimum de crédibilité, les partis doivent refléter la jeunesse dans toute sa diversité : pas seulement celle des grandes écoles, des centres urbains ou de la diaspora, mais aussi celle des zones enclavées, des jeunes femmes, des minorités, des oubliés, des sans-réseaux, des sans-piston. C’est à cette condition qu’on redonnera un sens à la participation politique.

Sinon ? Eh bien, les jeunes continueront à créer leurs propres formes d’engagement, en dehors des partis, en dehors des urnes, parfois en dehors des règles. Et franchement, qui pourrait encore les blâmer ?
 

Pourquoi, selon vous, une grande partie de la jeunesse ne participe pas aux élections ? Est-ce un désintérêt ou une forme de protestation silencieuse ?
 

« Quand voter ne change rien, s’abstenir devient un acte politique. »

L’abstention des jeunes n’est pas un désintérêt, mais une protestation. Ils refusent de cautionner un système opaque qui les ignore. Leur engagement existe, mais hors des cadres traditionnels.

Certes, certains jeunes peuvent éprouver un désintérêt vis-à-vis de la politique, qu’ils trouvent lointaine, obscure ou verrouillée. Mais pour beaucoup d’autres, l’abstention est un acte politique en soi : un refus de cautionner un système qu’ils jugent opaque, déconnecté, voire injuste. On parle souvent de “jeunes désengagés”, mais en réalité, ils sont nombreux à s’exprimer autrement — sur les réseaux sociaux, dans les collectifs locaux, à travers des mobilisations spontanées ou culturelles. Leur engagement est là, mais il se détourne des formes institutionnelles, qu’ils ne jugent ni efficaces ni représentatives.

Il y a aussi des raisons structurelles : un jeune sur quatre seulement a voté en 2021, et près de 70 % ne font pas confiance aux partis politiques. Ce n’est pas une coïncidence. On ne peut pas mobiliser une jeunesse qui vit au quotidien l’exclusion, le chômage, la précarité, et à qui l’on propose des discours figés ou des promesses recyclées. Le système politique classique peine à parler leur langage, à comprendre leurs priorités, et surtout à leur laisser une place réelle.

L’abstention n’est donc pas toujours une passivité ; c’est parfois un cri muet. Un message clair : tant que la politique se fera sans nous, elle se fera contre nous. Et tant que les partis ne feront pas un effort radical pour écouter, inclure, et représenter cette jeunesse dans toute sa diversité, le fossé ne fera que se creuser.
 

Pensez-vous que les jeunes ont perdu confiance dans les institutions politiques et les partis ? Pourquoi ?
 

Beaucoup de jeunes ont perdu confiance dans les institutions politiques et les partis. Et on ne peut pas les blâmer. Quand tu vois que les mêmes visages occupent les mêmes sièges depuis des décennies, que les promesses électorales s’envolent dès le lendemain du vote, et que les affaires de corruption éclatent sans conséquences… comment veux-tu qu’un jeune y croie encore ?

Les partis parlent de jeunesse, mais sans les jeunes. Ils décident pour nous, sans nous consulter. Résultat : une génération entière se sent mise à l’écart, trahie, ignorée. Ce n’est pas une crise de confiance, c’est une rupture politique. Et tant que ce système ne se remettra pas en question, il continuera à perdre sa jeunesse.
 

Certains jeunes affirment que « les politiciens promettent beaucoup et n’agissent pas après les élections ». comment répondez-vous à ce genre de critique ?
 

Ils ont raison : trop de politiciens promettent et disparaissent. Ce n’est pas de la politique, c’est du marketing électoral. Les jeunes veulent du concret, pas des slogans. Ce n’est pas de la politique, c’est du marketing électoral. Et les jeunes ne sont pas dupes.

Cette critique, ce n’est pas du cynisme gratuit. C’est un cri de lucidité. Et si les partis ne veulent plus être perçus comme des machines à promesses vides, ils doivent changer de méthode : être présents tout le temps, pas seulement en période électorale ; rendre des comptes, pas juste faire campagne ; écouter avant de parler, et surtout, agir après avoir promis.

La jeunesse ne demande pas des slogans. Elle demande du concret. Et elle mérite du respect.
 

À votre avis, est-ce que les partis ont suffisamment renouvelé leurs discours et leurs visages pour parler à une jeunesse connectée et exigeante ?


Honnêtement, non. Les partis n’ont ni vraiment renouvelé leurs discours, ni changé leurs visages. On parle à une jeunesse connectée, lucide, éduquée, qui voit ce qui se passe ailleurs et qui vit chaque jour les contradictions de ce pays. Et pourtant, on lui sert encore les mêmes figures, les mêmes formules creuses, les mêmes calculs politiciens.

Les jeunes veulent du vrai, du courage, de la clarté. Pas des discours poussiéreux écrits pour plaire à tout le monde. Ils veulent des visages qui leur ressemblent, des parcours qui viennent d’en bas, pas des héritiers ou des parachutés. Tant que les partis continueront à recycler les mêmes profils, les mêmes dynamiques, ils parleront dans le vide.

On ne peut pas prétendre incarner le changement avec les outils du passé. Si les partis veulent reconquérir la jeunesse, il va falloir plus qu’un coup de peinture. Il faut un changement radical de méthode, de langage, et surtout de rapport au pouvoir.
 

Est-ce que ne pas voter est un droit légitime ou un manquement civique, selon vous ?
 

Ne pas voter peut, oui, être un choix légitime — surtout quand l’offre politique ne parle ni à nos intérêts ni à nos espoirs. Ce n’est pas toujours un manquement civique ; c’est parfois un acte de protestation lucide, un refus de cautionner un système qui tourne à vide. Mais attention : cette abstention, aussi compréhensible soit-elle, profite à une minorité. Plus les jeunes s’abstiennent, plus le terrain devient facile à contrôler pour les réseaux clientélistes, les oligarques locaux, ceux qui achètent des voix à 200 dirhams. L’abstention devient alors le carburant de la manipulation électorale.

C’est pour ça que le vrai combat, ce n’est pas seulement pour le droit de ne pas voter, mais pour un droit de vote réellement accessible et égalitaire. Dans une démocratie digne de ce nom, le vote ne devrait pas dépendre d’une inscription préalable sur une liste. Tout citoyen ou citoyenne qui possède une carte nationale valide devrait pouvoir voter — sans obstacle administratif. Parce qu’en réalité, conditionner le vote, c’est déjà en exclure beaucoup : surtout les jeunes, les précaires, ceux qu’on tient à l’écart du jeu politique depuis toujours.

Alors oui, s’abstenir peut être un droit. Mais rendre le vote libre, simple et réellement universel, c’est un devoir démocratique. Car sinon, ce sont toujours les mêmes qui décident pour tout le monde.


À travers ses réflexions franches et engagées, Younes Belaidi nous offre une lecture percutante de la crise de confiance qui traverse la jeunesse marocaine face au système politique. Son appel à une transformation profonde des pratiques partisanes fondée sur l’écoute, l’inclusion et le partage réel du pouvoir rappelle que l’abstention des jeunes n’est pas un silence, mais une forme de protestation.

Nous le remercions chaleureusement pour le temps qu’il nous a accordé et pour la clarté de son engagement. Son témoignage est une invitation à repenser notre démocratie à partir de ses marges, là où les véritables aspirations du pays s’expriment avec le plus d’intensité. Puisse cette parole contribuer à ouvrir des voies nouvelles vers une participation plus juste, plus sincère, et surtout plus représentative.


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Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec... En savoir plus sur cet auteur
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