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L’Afrique convoitée ou comment éviter « le baiser de la mort »




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Par Farida Moha

L’Afrique convoitée ou comment éviter « le baiser de la mort »
Plus d’un demi-siècle après l’indépendance des pays d’Afrique, le continent est le terrain de convoitises sans précédent et de guerres d’influences qui s’accélèrent. En témoignent la multiplication des sommets et des forums comme celui, le plus ancien d’Afrique France  crée, rappelons-le, 3 Novembre 1973 par le président Georges Pompidou qui se déroule tous les 2 ou 3 ans avec parfois un écart de 4 ans .

En 1993, le premier sommet Japon Afrique  se tiendra sous l’appellation TICAD (Tokyo international conférence on africa development ), le dernier en date ayant eu lieu en Septembre 2022 a Tunis .

Citons le forum très prisé Sino- Afrique créée en l’an 2000 qui se tient tous les 3 ans et qui rapidement a fait de la Chine le premier partenaire commercial  des pays africains .

En 2008 , c’est au tour de l’Inde qui devance aujourd’hui la France en termes d’échanges d’organiser un premier sommet indo africain  .La même année c’est au tour de la Turquie qui en quelques années a développé  un réseau considérable  de relations militaires et économiques avec 43  ambassades en Afrique  et une force de frappe, la Turkish Airlines  l’une des principales compagnies aériennes en Afrique  .

Le dernier sommet en date a eu lieu à Istanbul en Décembre 2021 et celui de 2026 est déjà programmé

En 2014 , c’est au tour du président Barack Obama  d’organiser le premier sommet Etats Unis Afrique .

La seconde édition a  eu  lieu récemment à Washington le 13 Décembre dernier où le président Joe Biden recevait50 chefs d’état , ministres et hauts fonctionnaires africains avec au menu une stratégie défensive  concernant tous les secteurs pour contrer l’influence de Pékin.

Une influence qui en deux décennies n’a cessé de croitre pour devenir premier partenaire du continent. Ceci au détriment des relations avec l’Union européenne qui organise également des sommets UE-Afrique, qui reste un client important du continent mais dont la part diminue peu à peu.

L’UE  qui avec les accords de  partenariat économique, les APE tente d’ouvrir le marché africain aux produits européens  et  d’imposer un libre échange  au continent .Un libre échange  qui est considéré comme « le baiser de la mort » menaçant de destruction des pans entiers des économies et notamment de l’agriculture . La Russie va à son tour organisé le 23 Octobre 2019 à Sotchi le premier forum économique Russie –Afrique qui a réuni quelques 6000 participants des 54 pays africains dont 45 étaient représentés par des chefs d’états et de gouvernements et la nomenclature économique et politique soviétique avec un objectif « faire valoir le potentiel de coopération Russie-Afrique ».

Un contexte de guerre froide que réfute l’Afrique
 
Un état des lieux des sommets et forums qui donne, on le voit, la part belle aux pays émergents qui passent selon le mot d’un responsable de la banque africaine de développement « du balcon à l’orchestre » avec une forte évolution de montée de tension entre Washington et Pékin cette dernière décennie.

Face au projet des nouvelles routes de la soie qui intéresse quelques70pays, les Etats Unis veulent en effet maintenir leur rang de première puissance financière économique et militaire. Ces rivalités et concurrences économiques, ces guerres d’influence qui sont exportés en Afrique ont ainsi transformé le continent selon le politologue Sebastien le Belzir en « un échiquier d’une guerre froide où les deux plus grandes économies de la planète avancent leurs pièces » exacerbés en sus par le conflit de l’Ukraine

Une guerre froide que récusent les dirigeants africains comme en témoignent le Président sénégalais Macky Sall et président en exercice de l’Union africaine  qui lors de la dernière session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies a été très clair « je suis venu dire que l’Afrique a assez subi le fardeau de l’histoire , qu’elle ne veut pas être le foyer d’une nouvelle guerre froide ,mais plutôt un pôle de stabilité et d’opportunités ouvert à tous ses partenaires , sur une base mutuellement bénéfique » .

Une position partagée dans sa lettre et son esprit par le Maroc qui ne cesse de plaider pour un partenariat construit gagnant- gagnant pour sortir le continent du sous-développement et pour lancer une dynamique de transformation industrielle et culturelle

Un objectif louable mais dont les prérequis nécessitent un long combat pour une véritable émancipation et indépendance économique.

L’économiste sénégalais Moussa Dembele   directeur du forum africain des alternatives explique pourquoi l’Afrique est l’objet de tant de convoitises. Son focus sur les ressources naturelles nous rappelle l’immensité des richesses du continent avec ses 30 millions de km2. « Les ressources naturelles écrit-il recouvrent la terre, l’eau , les ressources minières , les énergies pétrole gaz naturel, les pierres précieuses, l’or , le zinc ,les forêts .

L’Afrique possède quelques-uns des plus grands fleuves et cours d’eau du monde .Elle possède 60% des  étendues de terres arables mondiales , des ressources minières abondantes .Le continent possède 54% des réserves mondiales de platine , 78% de celle du diamant ,40% de celle du chrome 28% de celles du manganèse ..

 Pays riches, populations pauvres

Pourtant analyse Moussa Dembele en dépit des énormes ressources , le continent n’a pas réussi à en tirer profit.600 millions d’africains vivent sans électricité et de populations entières de pays riches vivent dans le dénuement .

En témoignent l’exemple de la RCD République démocratique du Congo  qui dispose de fabuleuses richesses , ou la Guinée  dont le sous-sol recèle la plus grande réserve du monde de bauxite  de minerais de fer, de diamants , d’or  et qui se classe  tout en bas du classement du développement humain  du programmes des nations unies .

D’autres exemples comme le Niger  très riche en uranium  le Mali , le Ghana  le Burkina Faço riche en or , en diamant ne profitent pas de leurs richesses  .Les économies sont insérées dans un modèle d’exploitation extraverti  dans lequel les grands groupes étrangers dominent en amont et en aval .Ces groupes importent l’essentiel de leurs intrants  et exportent  la quasi-totalité de leurs produits sans les transformer ..

L’Afrique est ainsi devenue selon l’économiste la nouvelle frontière de la mondialisation , celle dont les ressources devraient servir à sortir le capitalisme de sa crise systémique au détriment des peuples africains .C’est dans ce contexte qu’il faut placer les nouvelles formes d’intervention pour l’accaparement  et le contrôle des ressources .

Ses interventions sont de différentes formes  militaires , sécuritaires , lutte contre le terrorisme  avec une menace de la mainmise du secteur financier  avec ses fonds de pension  et fonds spéculatifs qui ont engendré une course vers le contrôle des terres du continent  au détriment de la sécurité alimentaire  et de la survie de l’agriculture paysanne  sur les terres agricoles .

Comment dès lors résoudre cette équation du développement du continent , avec quels outils et quels armes ?
 
En instaurant répond le Président de l’Union africaine, un multilatéralisme ouvert et respectueux des différences une gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus adaptée aux réalité de notre temps.

Une gouvernance qui doit être portée par une réforme du conseil de sécurité où la voix de l’Afrique qui représente 1,4milliards d’africains serait écoutée, par l’octroi d’un siège pour l’Union africaine au sein du G20 interpellé pour la suspension du service de la dette. Après la crise du Covid, les conséquences de la guerre en Ukraine et celles du changement climatique fragilisent durablement les économies d’où une demande pressante pour une réallocation partielle des droits de tirages spéciaux et une mise en œuvre des engagements pris d’octroyer 100 milliards de dollars par aux efforts d’adaptation des pays africains.

Reste une question nodale : comment rompre le cercle vicieux de l’échange inégal qui fait de l’Afrique un réservoir de matières premières exploitées à bas cout et dont une partie est revendue à des prix exorbitants ? en repensant ses priorités , en changeant de paradigme .

Pour  les économistes africains, il faut mettre en œuvre  des politiques d’industrialisation et de diversification visant à transformer les ressources pour créer de la valeur  et de l’emploi et ce , dans une perspective régionale et sous régionale .

Avec la mise en place de la ZLECAF  zone de libre échange  continentale africaine  ratifiée  par 44 états , c’est un premier pas pour une dynamique de commerce interafricain  qui est lancée.

Un commerce interafricain qui ne représente que 17% des échanges extérieurs et qui est appelé avec les échanges et le régime préférentiel de la zone à s’accélérer et à booster l’intégration par le commerce.

Une manière d’éviter la malédiction des ressources qui a touché nombre de pays africains notamment exportateurs d’hydrocarbure, une malédiction qui a enfoncé les populations dans plus de pauvreté et de vulnérabilité.

Reste in finé au-delà de l’appel  et du combat  pour un ordre politique et économique plus juste une véritable prise de conscience pour une Afrique  qui doit compter sur elle-même .

C’était le sens de l’injonction fraternelle  du président de l’UA ,Macky Sall devant les représentants des Communautés économiques  et mécanismes régionaux « la crise actuelle nous renvoie  à nos propres responsabilités .Elle nous rappelle  que nous devons davantage  compter sur nous-mêmes  pour nous libérer de certaines contingences  que nous trainons depuis des décennies » .

Une parole en or…
 
 


Lundi 26 Décembre 2022