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L’accès aux soins : gratuit, mais à quel coût humain ?

Le défi de la soutenabilité financière plane sur un système déjà fragile


Rédigé par La rédaction le Jeudi 17 Juillet 2025

Le Maroc couvre 88 % de sa population via l’AMO, mais entre soins gratuits et système à bout de souffle, la pérennité du modèle social interroge.



​Une extension massive de la couverture… sur le papier

L’accès aux soins : gratuit, mais à quel coût humain ?
C’est une avancée que l’on ne peut nier. Plus de quatre millions de foyers marocains, soit près de 11,4 millions de personnes, sont désormais affiliés à l’Assurance maladie obligatoire (AMO) de base dédiée aux plus démunis. En théorie, cela signifie que près de 88 % de la population marocaine est aujourd’hui couverte médicalement. Un bond remarquable, quand on se rappelle qu’en 2022, le taux de couverture plafonnait à 42,2 %.

Derrière cette prouesse se cache un investissement public de 9,5 milliards de dirhams par an, entièrement assumé par l’État. Ce montant finance l’accès gratuit aux soins pour les bénéficiaires, dans les hôpitaux publics, et parfois même dans les cliniques privées conventionnées.

Mais comme souvent, l’ampleur des chiffres masque des failles bien réelles.

​L’accès aux soins : gratuit, mais à quel coût humain ?

Sur le papier, tout citoyen couvert par l’AMO peut se rendre à l’hôpital sans avancer un centime. Dans la réalité, les files d’attente interminables, le manque criant de personnel, l’absence de médicaments, et la dégradation des infrastructures hospitalières réduisent cette promesse à une chimère.
« J’ai une AMO, mais je me soigne aux plantes », ironise une habitante de Sidi Kacem. Comme elle, de nombreux Marocains assurés se retrouvent dans une impasse médicale : les soins sont censés être gratuits, mais ils restent inaccessibles faute de moyens humains et logistiques.

Quant aux cliniques privées conventionnées, elles ne sont qu’une exception dans le désert. Peu nombreuses, inégalement réparties, elles concernent surtout les grandes villes. Les populations rurales, elles, doivent souvent choisir entre le déplacement coûteux ou l’abandon pur et simple du soin.

​Derrière les chiffres, des réalités sociales en souffrance

Si l’AMO pour les démunis marque un tournant historique, son fonctionnement réel trahit un état social en construction, mais pas encore opérationnel. Le modèle repose sur un principe de solidarité fiscale : l’ensemble des contribuables finance, via le Trésor, une couverture identique pour tous. Une belle idée, mais qui vacille face à la pénurie de services, à l’inefficacité bureaucratique, et à l’absence de contrôle de qualité des soins dispensés.

Et ce n’est pas la CNSS, gestionnaire partiel du régime, qui changera la donne. Déjà débordée par les anciens assurés, elle peine à absorber cette nouvelle vague de bénéficiaires non-contributifs.

​L’État social s’affirme, mais vacille

En parallèle de la couverture médicale, le Maroc a lancé un vaste programme d’aides sociales directes. Quatre millions de foyers reçoivent désormais une allocation monétaire, couvrant quelque 12 millions de personnes, dont 5,5 millions d’enfants, un million de personnes âgées et 420 000 veuves.

Là encore, l’effort est notable : 34 milliards de dirhams ont été mobilisés depuis le lancement du programme. Pourtant, cette aide, aussi bienvenue soit-elle, ressemble plus à un pansement temporaire qu’à une solution durable.

La question de la soutenabilité financière devient dès lors cruciale. Car les bénéficiaires ne cessent d’augmenter, mais les recettes fiscales, elles, stagnent. L’équation devient vite explosive : comment maintenir cette couverture sans alourdir la dette publique ou réduire les prestations ?

​Des aides financières massives, mais sans filet structurel

L’une des grandes failles du système réside dans l’absence de réforme en profondeur des services publics de santé. En finançant une couverture généralisée sans moderniser les hôpitaux, sans mieux former les soignants, sans investir dans l’innovation médicale locale, l’État marocain construit un château social sur des fondations fragiles.

Les bénéficiaires de l’AMO n’ont aucun moyen de choisir ou d’évaluer la qualité du service reçu. L’opacité des critères d’éligibilité, le manque de réclamations traitées, et les ratés de coordination entre ministère, CNSS et cliniques aggravent le sentiment de défiance chez les citoyens.

​Un modèle menacé par sa propre générosité

Il faut le dire avec lucidité : le modèle marocain de couverture sociale universelle est menacé par sa propre ambition. En voulant tout couvrir sans renforcer la base, il risque de s’effondrer sous son propre poids. L’illusion de l’universalité ne peut durer si elle n’est pas accompagnée d’une gouvernance rigoureuse, d’un contrôle des dépenses, et surtout d’une vraie refonte du système hospitalier public.

Le défi n’est pas que financier. Il est politique, éthique et sociétal. Car offrir une AMO sans réelle capacité de soin, c’est créer une frustration plus grande que l’absence d’assurance. Et à terme, cela peut entamer la confiance des citoyens dans l’État social.

​Entre promesse sociale et impasse opérationnelle

Le Maroc a fait un choix courageux : offrir une couverture médicale universelle et des aides monétaires aux plus fragiles. Mais ce choix, salué sur le plan international, reste incomplet sur le terrain. Tant que les hôpitaux resteront sous-financés, tant que les médecins fuiront le public pour le privé, tant que les soins ne seront ni disponibles ni accessibles, l’État social marocain restera une promesse inachevée.

Il est encore temps d’agir. Mais il faudra sortir des logiques de chiffres, écouter les patients, mobiliser les professionnels de santé, et surtout, assumer un débat politique courageux sur la place que nous voulons accorder à la santé dans notre pacte national.

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Jeudi 17 Juillet 2025