Une écriture fondée sur l’intelligence du geste
Dans le cadre de l’apprentissage du français langue étrangère, l’introduction précoce de l’écriture cursive ne relève pas d’un simple choix esthétique ou traditionnel : elle constitue un impératif pédagogique et neurocognitif. Contrairement à l’écriture script, qui impose des levées fréquentes du stylo et fragmente le geste en une série d’interruptions, l’écriture cursive repose sur un mouvement fluide, continu et intégré. Elle engage un enchaînement kinesthésique ininterrompu qui permet à la main de « courir » sur le papier – une caractéristique dont dérive d’ailleurs l’étymologie même du terme cursive, du latin currere, signifiant « courir ».
Cette continuité gestuelle réduit la fatigue motrice et favorise une économie d’effort, essentielle pour les jeunes enfants dont la coordination fine est en cours d’acquisition. En cela, la cursive respecte mieux les capacités psychomotrices de l’élève débutant, contrairement à l’écriture script, morcelée et énergivore.
Une activation neurocognitive optimale
Les avancées en neurosciences, notamment les travaux de Stanislas Dehaene, ont mis en évidence l’effet structurant de l’écriture manuscrite - et plus précisément cursive - sur le développement cérébral. Le geste cursif active simultanément les réseaux neuronaux impliqués dans la perception visuelle, la mémoire motrice, la conscience phonologique et la compréhension linguistique.
Écrire une lettre cursive ne se limite pas à sa reproduction graphique : cela engage une codification sensorimotrice unique, qui contribue à l’établissement d’un lien solide entre la forme, le son et le mouvement. Ce processus intégré favorise non seulement l’automatisation du geste, mais aussi la reconnaissance rapide des unités linguistiques, condition essentielle à une lecture fluide et compréhensive.
L’écriture cursive, une alliée pour comprendre la langue
Loin d’être un simple "style graphique", l’écriture cursive s’impose comme un outil structurant pour les enfants en situation d’apprentissage du français langue étrangère. Le geste d’écriture cursive permet à l’enfant de lier la forme de la lettre à une action motrice précise. C’est ce tracé unique, ce chemin mental et corporel, qui aide à différencier des lettres souvent confondues lorsqu’elles sont perçues visuellement comme b et d, p et q. Ces lettres dites « en miroir » peuvent facilement être inversées en script, mais deviennent très différenciables en cursive grâce à des mouvements spécifiques.
Ce lien entre le geste et la perception est au cœur du processus d’apprentissage. L’enfant apprend à lire en écrivant, une découverte confirmée par les neurosciences contemporaines. Le fait d’écrire engage des circuits cérébraux liés à la reconnaissance visuelle, à la mémoire motrice, à la compréhension phonologique. Tracer une lettre, ce n’est pas seulement la reproduire : c’est l’apprendre dans toute sa complexité.
Une réponse précieuse aux défis du bilinguisme graphique
Chez les enfants dont la langue maternelle est l’arabe, le passage au français implique un double effort : changer de langue et de sens d’écriture. L’arabe s’écrit de droite à gauche, tandis que le français suit le sens gauche-droite. Ce double système peut créer des perturbations perceptives et motrices.
Dans ce contexte, l’écriture cursive agit comme un ancrage puissant. Grâce à elle, l’enfant installe progressivement les règles propres au système graphique français. Chaque geste contribue à stabiliser son orientation, à distinguer les lettres et à renforcer son autonomie dans la langue seconde.
Un choix rationnel, loin des dérives technocentristes
Dans un contexte numérique omniprésent, il serait illusoire – voire préjudiciable – de substituer prématurément les gestes scripturaux par des interfaces tactiles. L’enfant, avant d’être un utilisateur de technologies, est un être sensorimoteur en développement. Son cerveau requiert des expériences concrètes, structurées, rythmées pour construire des représentations mentales solides. Comme le rappelle Dehaene, le développement cognitif obéit aux lois biologiques du cerveau, non aux modes technologiques.
Pour une pédagogie cohérente avec la logique de la langue française
L’écriture cursive incarne une tradition scripturale cohérente avec l’histoire graphique, linguistique et culturelle du français. Elle reflète la syllabation, le phrasé, le rythme propre à cette langue. À l’inverse, l’écriture script - héritée de la typographie imprimée - constitue une abstraction qui ne permet pas de représenter cette fluidité langagière.
Exclure la cursive de l’apprentissage, c’est priver l’élève d’un accès complet à la logique interne du français, et le cantonner à un usage appauvri, détaché du geste et de la pensée.
Conclusion : inscrire le geste cursif dans une pédagogie du sens
Faire le choix de la cursive dès les premières années de scolarisation ne relève pas d’un attachement nostalgique à un modèle passé, mais d’une vision prospective et fondée sur les sciences du développement de l’enfant. Il ne s’agit pas d’opposer tradition et modernité, mais de reconnaître que l’intelligence du corps en action constitue le socle d’un apprentissage linguistique solide et durable.
Promouvoir l’écriture cursive, c’est affirmer une pédagogie du sens, du rythme et de l’engagement corporel. C’est offrir à l’enfant, dès ses premiers pas dans la langue française, un outil puissant pour penser, comprendre, et se structurer.
Références bibliographiques :
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Bara, F., & Morin, M.-F. (2009). Est-il nécessaire d’enseigner l’écriture script en première année ? Les effets du style d’écriture sur le lien lecture/écriture. Nouveaux Cahiers de la Recherche en Éducation, 12(2), 149–160.
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Dehaene, S. (2007). Les neurones de la lecture. Odile Jacob.
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Dehaene, S. (2018). Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Odile Jacob.
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Dehaene, S. (2019). La science au service de l’école. Odile Jacob.
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Zesiger, P. (1995). Écrire : Approches cognitive, neuropsychologique et développementale. Presses Universitaires de France.
Rédigé par : Malika Labrah