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L’écrivaine Najate El Hachimi, l'hispano-rifaine, sait-elle qui sont ces soldats sur la photo ?


Najate El Hachmi est écrivaine. Elle a obtenu en 2021 le prix Nadal, le Goncourt espagnol. Dans le tumulte de la crise maroco-espagnole, elle s’est fendue d’un article dans le quotidien El Pais, d’une rare violence contre le Maroc.



Par Naim Kamal

L’écrivaine Najate El Hachimi, l'hispano-rifaine, sait-elle qui sont ces soldats sur la photo ?

Dans cet article, Najate El Hachmi, née à Nador en 1979, s’oppose sans retenue au régime marocain et se fond corps et âme dans la peau de l’Espagne. Pour justifier sa fusion avec le lexique espagnol, elle conclut larmoyante : « Nous sommes citoyens de la terre qui nous porte et qui nous nourrit et qui nous permet de respirer, pas du pays qui nous noie, que ce soit dans les eaux glacées de la frontière ou sous le soleil brûlant d'un despotisme peu éclairé qui nous abandonne à notre sort. »
 

Des eaux glacées en Méditerranée ! Il faut l’imagination débridée d’une romancière pour les inventer. Mais il n’est pas dans mon intention de défendre le régime marocain. Najate El Hachmi, qui se définit comme une hispano-rifaine, sait pertinemment qu’il sait se défendre tout seul comme un grand.
 

C’est plutôt son identification comme hispano-rifaine qui m’interpelle. Chacun aura compris que par là c’est sa marocanité qu’elle renie. Là non plus je ne lui disputerai pas son droit au renoncement à une nationalité qu’elle ne désire pas. Même si la loi du Maroc stipule que la nationalité marocaine est inaliénable, le libéral, au noble sens du terme, que je pense être, convaincu des valeurs de la liberté de croyance, de pensée et d’appartenance, ne peut que la soutenir dans ses choix.
 

Mais son droit de se déclarer hispano-rifaine, ne fait pas du Rif une région non marocaine, car ce n’est pas parce que demain ou un autre jour un natif d’El Jadida se définira, par exemple, comme germano-doukkali que la région de Doukkala cessera de faire partie intégrante du Maroc.
 

Une petite leçon d’histoire

 

N’étant pas hispanophone, je ne peux porter aucune appréciation sur la qualité de sa littérature. Tout ce que j’espère c’est que ce n’est pas son antimarocanisme viscéral qui lui a valu ce prix, mais bien son talent d’écrivaine. En revanche, je peux affirmer sans conteste que ses connaissances historiques laissent à désirer. Il lui suffit pourtant de quelques repères et de quelques clics dans des moteurs de recherche pour découvrir l’ampleur des ravages que le colonialisme espagnol, dont elle arbore fièrement la nationalité, a faits dans sa région. Natale à défaut d’être son pays. Un colonialisme si sous-développé qu’il est en grande partie responsable des retards que cette région a accusés après l’indépendance. Que le Roi Mohammed VI essaye depuis son avènement à rattraper, souvent avec succès, parfois pas, avec les moyens du Maroc.
 

Najate El Hachmi n’ignore certainement pas, ou peut-être si, que deux facteurs ont permis l’anéantissement de la révolte des Rifains, menée par le grand Abdelkrim El Khattabi contre la présence espagnole dans le nord du Maroc :
 

Un : L’arrivée au Maroc du général Pétain, dont la France ne découvrira que plus tard, à Vichy, les malheurs dont il est capable. Son engagement à la tête de l’armée française aux cotés des troupes espagnoles, où un certain Franco brillait déjà dans le débarquement d’El Hoceima, a été déterminant dans l’écrasement des rebelles rifains. Il s’est achevé par la reddition de Mohamed Ben Andelkrim El Khattabi, condamnant le vaillant guerrier à l’exil où il finira ses jours le 6 février 1963.
 

Deux : L’usage massif des armes chimiques, le fameux gaz moutarde particulièrement dévastateur, livré par las Allemands, pour arriver à bout des intrépides insoumis. Là encore il lui aurait suffi d’un clic pour découvrir le témoignagedu général d'aviation Ignacio Hidalgo de Cisneros.  Dans son livre autobiographique Cambio de rumbo, il avoue être le premier aviateur à avoir lâché une bombe de 100 kg de gaz moutarde d'un avion Farman F.60 Goliath durant l'été 1924. Ils sont ainsi 127 chasseurs et bombardiers qui lâchent près de 1 680 bombes chaque jour. 100 jours de bombardements incessants multipliés par 1680 bombes de 100 kg chacune. Faites le calcul ! A ce jour, on ne connait pas le nombre des victimes, mais on peut les deviner par dizaines de milliers. La région en porte encore les séquelles.
 

Mais la même Najate El Hachmi devrait au moins savoir qu’en2005, c’est récent, un groupe parlementaire catalan de gauche a présenté devant le Parlement espagnol un projet de loi visant à reconnaître et à assumer le massacre au gaz moutarde. Avec un peu plus d’effort, elle apprendra aussi qu’en 2007, le projet a été retoqué par un vote unanime de la gauche et de la droite, PSOE et Partido Popular unis dans une même tranchée.
 

Les enrôlés de Franco

 

Curieusement et paradoxalement, c’est ce même Rif que le Generalisimo Francisco Franco a transformé en vivier de chair à canon dans sa guerre contre les républicains et les communistes. Une guerre civile de trois ans qui a peiné en dépits de ses horreurs à égaler les atrocités de la guerre du Rif. On parle d’une mobilisation qui a touché entre 60 et 180 mille personnes embrigadés « pour deux mois de salaire payés d'avance, quatre kilos de sucre, une boîte de pétrole de deux litres et une quantité de pain chaque jour en fonction du nombre d'enfants »,rapporte le journaliste français Pierre Magnan (France Télévisions) dans un article documenté. Il y précise que « la misère qui [règnait] dans ce Rif, sous contrôle espagnol, a été le meilleur agent recruteur pour les putschistes espagnols ».
 

Najate El Hachmi ignore sans doute aussi à quelle occasion cet article a été écrit en 2017. Dans ce cas, elle trouvera la réponse chez le même Pierre Magnan qui précise : « C'est une toute petite ligne dans le budget de l'Espagne. Une ligne de 7,2 millions d'euros. Cette somme dérisoire sert à payer, 80 ans après les faits, les pensions, extrêmement faibles, de quelque 18.000 Marocains (ou leurs proches) [les 40 mille autres passent en pertes et profits- NDLR] enrôlés par Franco lors de la Guerre civile pour abattre la République. Une page sombre de l'Espagne qui a toujours un écho au Maroc. »
 

Si après ça, l’histoire de sa région natale intéresse toujours Najate El Hachmi, elle peut toujours procéder à une recherche généalogique pour déterminer de quelle lignée elle descend. De celle qui a combattu avec Abdelkrim ou de celle qui a été enrôlée par Franco ?  Ne cherchez pas, c’est pas la peine, ce sont (souvent) les mêmes !

Rédigé par Naim Kamal sur https://quid.ma



Lundi 31 Mai 2021