De bons chiffres, certes, mais des milliers de laissés-pour-compte
Mardi 8 juillet 2025, Rabat. Une date comme une autre dans les couloirs feutrés de l’administration marocaine, où le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a réuni à huis clos une vingtaine de ministres et d’institutionnels autour d’un sujet brûlant : l’emploi. Une énième feuille de route a été mise sur la table, comme un rappel formel que l’État est à l’écoute. Pourtant, sur le terrain, les attentes sont devenues lassitudes, et les plans d’action, malgré leur technicité apparente, peinent à rassurer.
Une convergence des acteurs… sans convergence des réalités
Derrière les portes du Conseil de gouvernement, on parle gouvernance « convergente », coordination interinstitutionnelle, territorialisation. De jolis mots. Autour de la table : l’OFPPT, l’ANAPEC, la CGEM, Maroc PME… tous les habitués des grands-messes économiques. Le calendrier est serré, le ton est ferme, et chaque département est sommé d’accélérer. Mais à force de réécrire les mêmes feuilles de route à intervalles réguliers, on finit par tourner en rond.
L’emploi des jeunes : le même refrain
On nous assure que les investissements liés à la Coupe d’Afrique 2025 et à la Coupe du Monde 2030 seront des relais d’emplois massifs, en particulier dans les secteurs du BTP, de l’événementiel et du tourisme. Soit. Mais combien de jeunes, aujourd’hui, savent vers qui se tourner ? Combien reçoivent une formation adaptée, utile, et surtout reconnue ?
L’enjeu est là, criant : connecter les chantiers aux compétences disponibles. Et non l’inverse. Car bâtir un stade ne suffit pas à bâtir une carrière.
L’enjeu est là, criant : connecter les chantiers aux compétences disponibles. Et non l’inverse. Car bâtir un stade ne suffit pas à bâtir une carrière.
L’emploi rural : les invisibles d’une politique urbaine
Un mot a été lâché, timidement : le monde rural. Un territoire oublié, où l’accès au travail pour les jeunes et les femmes relève souvent du parcours du combattant. On évoque la création de crèches pilotes dans le Sud, pour faciliter la participation des mères au marché du travail. Une avancée ? Certainement. Mais marginale. Tant que l’économie rurale sera pensée en sous-couche de la stratégie nationale, elle ne bénéficiera que des miettes.
Le piège des chiffres encourageants
On nous parle d’un taux de croissance de 4,8 % au premier trimestre 2025. Trois cent cinquante mille emplois non agricoles créés. Un recul du chômage de 0,4 point. Des données flatteuses. Mais ces chiffres agrégés cachent mal une réalité fragmentée. L’emploi urbain qualifié absorbe l’essentiel des créations, tandis que les jeunes des petites villes ou les personnes peu scolarisées restent aux marges.
La croissance, oui. Mais pour qui ? Et à quel prix ?
L’épineuse question des sans-diplômes
Le ministre de l’Emploi, Younes Sekkouri, a rappelé que 43 % de la population active ne possède aucun diplôme. Un chiffre vertigineux. Un legs ancien, certes, mais un legs mal réparé. Trois chantiers ont été annoncés : relancer la formation continue, certifier les acquis d’expérience, et tripler l’apprentissage.
Mais ces dispositifs restent souvent abstraits pour les premiers concernés. Entre la complexité administrative, l’absence d’accompagnement de proximité, et la défiance vis-à-vis des programmes publics, peu osent s’y engager.
Et quand bien même ils le font, combien décrochent réellement un emploi durable ?
Mais ces dispositifs restent souvent abstraits pour les premiers concernés. Entre la complexité administrative, l’absence d’accompagnement de proximité, et la défiance vis-à-vis des programmes publics, peu osent s’y engager.
Et quand bien même ils le font, combien décrochent réellement un emploi durable ?
Quand la formation devient une usine à illusions
L’adéquation formation-emploi, encore un mantra. Quinze instituts sectoriels ont vu le jour, avec des simulateurs techniques et des modules en anglais. Très bien. Mais la vraie question demeure : forme-t-on pour le marché local ou pour un marché rêvé, exporté sur PowerPoint ?
À quoi sert un "village de formation" si aucune entreprise ne veut s’y implanter à proximité ? Combien de jeunes formés dans ces centres devront partir, faute de débouchés dans leur région ?
À quoi sert un "village de formation" si aucune entreprise ne veut s’y implanter à proximité ? Combien de jeunes formés dans ces centres devront partir, faute de débouchés dans leur région ?
L’argent ne manque pas, la cohérence si
Un milliard de dirhams pour les instituts techniques. Cinq cents millions pour la formation par apprentissage. L’enveloppe est là. Mais sans un suivi rigoureux, sans une mesure concrète de l’impact, ces budgets risquent de fondre dans l’oubli. Les présidents des régions ont été invités à contribuer. Mais que feront-ils sans visibilité ? Sans autonomie décisionnelle ? Sans lien réel avec le tissu local ?
Un portail numérique ne remplace pas une boussole humaine
La rentrée 2025 verra l’arrivée d’un nouveau portail interactif d’orientation. Un de plus. Et pourtant, ce qui manque cruellement, c’est l’humain. Un conseiller en chair et en os, qui connaît son territoire, qui sait écouter. Pas un algorithme.
L’orientation, ce n’est pas seulement faire correspondre une offre de formation à un profil, c’est aussi donner confiance, montrer des perspectives, aider à se projeter.
L’orientation, ce n’est pas seulement faire correspondre une offre de formation à un profil, c’est aussi donner confiance, montrer des perspectives, aider à se projeter.
Foi ou fatigue ?
Alors, faut-il y croire ? Oui, peut-être, encore un peu. Car l’enjeu est trop grand. Mais il serait temps que l’État cesse de parler emploi comme on parle gestion de stock. Derrière les indicateurs, il y a des vies. Des parcours brisés. Des attentes urgentes.
Cette feuille de route a le mérite d’exister. Mais elle ne suffira pas sans une révolution silencieuse : celle de la proximité, de la patience, et de l’écoute réelle des acteurs locaux.
Cette feuille de route a le mérite d’exister. Mais elle ne suffira pas sans une révolution silencieuse : celle de la proximité, de la patience, et de l’écoute réelle des acteurs locaux.