L'ODJ Média

L’épidémie des nuits fractionnées : pourquoi les Marocains ne dorment plus d’une traite


Il y a dix ans, on parlait d’insomnie. En 2025, c’est un autre phénomène qui s’installe silencieusement dans les foyers marocains : les nuits fractionnées. Non pas l’incapacité à dormir, mais l’incapacité à rester endormi.

Des réveils courts, répétés, parfois sans raison apparente.
Une fatigue qui s'accumule.
Un brouillard mental qui s’installe au réveil.
Et un sentiment étrange : « Je dors… mais je ne récupère plus. »

Ce phénomène touche particulièrement les urbains, les étudiants, les jeunes actifs et… de plus en plus de familles entières. Une « épidémie invisible » qui transforme la relation des Marocains au sommeil et à leur vie quotidienne.



Un sommeil cassé en fragments : le nouveau mal du pays

L’épidémie des nuits fractionnées : pourquoi les Marocains ne dorment plus d’une traite
La nuit marocaine n’est plus ce qu’elle était. Ce n’est pas qu’on dort moins : c’est qu’on dort mal. Un phénomène autrefois associé au stress intense devient maintenant la norme : des réveils toutes les 60 à 120 minutes, sans raison claire, suivis d’un retour au sommeil souvent laborieux.

Les causes sont multiples et, surtout, cumulatives :

• Le bruit urbain, devenu permanent. Ventilation des immeubles, climatisations, motos, klaxons plus tardifs, voisinage nocturne… Le Maroc se modernise, mais son niveau sonore explose.

Résultat : le cerveau reste en “vigilance”, prêt à se réveiller au moindre stimulus.

• Le stress diffus, le fameux “stress de fond” : pas la grande crise d’angoisse.
Juste la liste mentale :

Payer les factures, études, carrière, famille, messages non lus, réunion demain,  l’impression d’être toujours “en retard” sur quelque chose Ce stress bas-niveau est l’ennemi numéro un du sommeil continu.

• Les écrans, l’ennemi lumineux : la lumière bleue retarde l’endormissement, oui. Mais le vrai problème ? Le flux d’informations stimule le système nerveux, même après extinction. Le cerveau continue de “processer”. Et il réveille plus facilement le dormeur au moindre bruit.

Le climat et la chaleur nocturne : le facteur marocain sous-estimé

Même les climatiseurs ne suffisent plus. Les nuits marocaines, surtout entre mai et octobre, sont devenues nettement plus chaudes qu’il y a 20 ans, un fait observé à l'échelle nationale.

Et un corps trop chaud… dort très mal. Le sommeil profond celui qui répare se déclenche lorsque la température corporelle baisse légèrement. Avec la chaleur ambiante, ce mécanisme est perturbé.

Résultat : moins de sommeil profond, plus de réveils nocturnes. Ajoutons à cela :

– Les ventilateurs bruyants
– la clim qui coupe et se rallume
– la sensation de transpiration légère
– la déshydratation nocturne. Et la nuit se fragmente encore plus.

Le travail en décalé et l’hyperconnexion : une combinaison dévastatrice

Le Maroc est entré dans l’ère du travail flexible, mais aussi du travail dérégulé. Entre les secteurs qui fonctionnent tard (restauration, ventes en ligne, services IT, freelancing international), et WhatsApp professionnel devenu omniprésent, les horaires explosent.

Le cerveau, lui, n’est pas fait pour vivre dans cette orientation permanente :

– Disponibilité émotionnelle,
– possibilité que “quelque chose” arrive sur le téléphone,
– micro-stress du message non lu,
– conversations tardives,
– notifications nocturnes,
– réunions avec d’autres fuseaux horaires.

Tout cela crée un état d’alerte incompatible avec un sommeil continu. Un Marocain sur deux dort désormais à proximité immédiate de son téléphone, parfois même dans la paume de la main. On dort, mais on reste accessible, au cas où.

Les conséquences : une fatigue nouvelle, plus insidieuse

Ce qui inquiète les médecins ? Ce n’est plus seulement le manque de sommeil. C’est le manque de sommeil profond. Celui qui :

– consolide la mémoire,
– répare les muscles,
- stabilise l’humeur,
– régule l’appétit,
– recharge l’attention,
– renforce l’immunité.

Une personne peut dormir 7 heures… mais ne récupérer que l’équivalent de 4.

C’est ce qui explique :

• L’explosion des fatigues matinales. Le réveil devient difficile même après une “longue nuit”.
• La baisse de la concentration chez les étudiants. Les révisions deviennent plus lentes, plus lourdes.
• L’irritabilité et la perte de motivation. Le cerveau fatigué dramatise : tout semble plus compliqué.
• Les fringales sucrées. Le corps cherche à compenser.
• La baisse de l’immunité. Respirations, petits rhumes, maux de tête : tout augmente.

Comment les Marocains adaptent leurs nuits ? Une nouvelle routine émerge

Face à ce phénomène, de nouvelles habitudes apparaissent, spontanément, dans les foyers marocains.

• Le retour du “rituel de soir”  : tisanes (verveine, fleur d’oranger, louiza), douches tièdes, lumières tamisées. Un retour à des gestes simples qui rassurent le système nerveux.

• Le “mode avion” après 23h : de plus en plus de jeunes adoptent cette règle sans jamais l’avouer.

• La sieste stratégique (20 minutes max) : elle devient une vraie stratégie de survie pour les jeunes actifs.

• L’aménagement de chambres plus minimalistes : moins d’écran, moins de clutter visuel = plus de calme mental.

• Le renouveau des lectures du soir : lire quelques pages paraît anodin… Mais c’est en train de remplacer le “scroll” nocturne chez de nombreux Marocains épuisés.

Vers une nouvelle conscience du sommeil au Maroc

Les nuits fractionnées ne sont pas une mode c’est un symptôme d’un pays qui bouge, vite, parfois trop vite. D’une population plus connectée, plus stressée, plus sollicitée. Mais cette crise du sommeil révèle aussi quelque chose d’intéressant : Une génération marocaine qui tente de reprendre le contrôle.

Qui comprend que le sommeil n’est pas un luxe, mais une ressource vitale. Et qu’avant la productivité, avant la performance, avant les ambitions… Il y a quelque chose de simple, ancestral, essentiel : Une nuit entière. Une vraie nuit. Une nuit qui transporte.

Jeudi 20 Novembre 2025



Rédigé par Salma Chmanti Houari le Jeudi 20 Novembre 2025