Derrière les discours sur la régulation, la peur d’un renversement géopolitique latent
Bruxelles, Paris, Berlin… La vieille Europe vacille. Non pas sous le choc d’une crise économique ou d’un conflit armé, mais face à une révolution technologique mondiale : l’intelligence artificielle. Là où les États-Unis foncent, où la Chine industrialise à outrance et où l’Afrique commence à entrevoir un raccourci historique vers la modernité, l’Union européenne, elle, freine.
L’éthique et les normes sont brandies comme boucliers. Mais pour certains observateurs, ce serait surtout la peur de perdre une hégémonie technologique et géopolitique qui guide les hésitations européennes.
L’éthique et les normes sont brandies comme boucliers. Mais pour certains observateurs, ce serait surtout la peur de perdre une hégémonie technologique et géopolitique qui guide les hésitations européennes.
Europe : l’obsession du contrôle, au risque du décrochage
Avec l’adoption du AI Act, premier cadre légal mondial pour encadrer les usages de l’intelligence artificielle, l’Europe veut jouer la carte de la régulation vertueuse. Un choix applaudi par certains défenseurs des droits fondamentaux, qui y voient une protection contre les dérives algorithmiques, les biais discriminatoires ou la surveillance de masse. Mais ce volontarisme éthique s’accompagne de lourdeurs administratives et d’un climat de frilosité réglementaire qui inquiète les entrepreneurs du secteur.
Pendant ce temps, les startups d’intelligence artificielle européennes peinent à lever des fonds, les chercheurs migrent vers les États-Unis ou le Canada, et les grandes plateformes américaines dominent sans partage les marchés européens. L’Europe semble ainsi reproduire son échec face aux géants du numérique : elle régule… trop tard.
Pendant ce temps, les startups d’intelligence artificielle européennes peinent à lever des fonds, les chercheurs migrent vers les États-Unis ou le Canada, et les grandes plateformes américaines dominent sans partage les marchés européens. L’Europe semble ainsi reproduire son échec face aux géants du numérique : elle régule… trop tard.
L’Afrique, le cheval noir de la course technologique ?
Mais ce n’est pas seulement la rivalité transatlantique qui taraude les élites européennes. Une autre peur, plus sourde, plus dérangeante, commence à émerger : celle d’un rattrapage africain. Grâce à l’intelligence artificielle, certains pays africains pourraient sauter des étapes de développement, contourner les infrastructures obsolètes, et créer des solutions adaptées à leurs réalités locales, de la santé à l’agriculture, de la finance à l’éducation.
Des initiatives comme “AI for Good” en Afrique de l’Est, le hub IA du Maroc, ou les investissements croissants du Nigeria et du Rwanda dans l’IA appliquée à la gouvernance publique intriguent et inquiètent les chancelleries européennes. Car pour la première fois, l’Afrique n’attend plus que l’Europe lui “transfère des compétences” : elle développe ses propres modèles, forme ses data scientists, et attire même les convoitises des géants chinois et américains.
Des initiatives comme “AI for Good” en Afrique de l’Est, le hub IA du Maroc, ou les investissements croissants du Nigeria et du Rwanda dans l’IA appliquée à la gouvernance publique intriguent et inquiètent les chancelleries européennes. Car pour la première fois, l’Afrique n’attend plus que l’Europe lui “transfère des compétences” : elle développe ses propres modèles, forme ses data scientists, et attire même les convoitises des géants chinois et américains.
Des normes éthiques comme rempart stratégique ?
Dans ce contexte, l’obsession normative de l’Europe pourrait bien être moins humaniste qu’elle n’y paraît. En multipliant les certifications, les clauses de conformité et les barrières réglementaires, elle verrouille un accès à ses marchés… et ralentit de facto la capacité des pays du Sud à entrer dans la compétition mondiale.
L’éthique devient ainsi une arme géopolitique molle, habillée de grands principes mais motivée par une volonté de préserver une asymétrie historique. Car si l’Afrique monte en puissance, si ses ingénieurs conçoivent demain des modèles d’IA en swahili, en wolof ou en darija marocain, si ses systèmes éducatifs et de santé deviennent intelligents… alors l’Europe ne pourra plus dicter ses règles.
L’éthique devient ainsi une arme géopolitique molle, habillée de grands principes mais motivée par une volonté de préserver une asymétrie historique. Car si l’Afrique monte en puissance, si ses ingénieurs conçoivent demain des modèles d’IA en swahili, en wolof ou en darija marocain, si ses systèmes éducatifs et de santé deviennent intelligents… alors l’Europe ne pourra plus dicter ses règles.
Le discours ambivalent de la coopération
Certes, l’Union européenne affiche des partenariats de coopération, finance des projets IA sur le continent et organise des sommets “Afrique-Europe du numérique”. Mais sur le terrain, les acteurs africains dénoncent un manque de transfert de technologies effectif, des financements orientés, et un agenda dicté depuis Bruxelles. La France, par exemple, à travers ses alliances universitaires, forme des centaines d’ingénieurs africains… qui restent en Europe ou retournent dans des pays sous-équipés.
La coopération est asymétrique, et l’IA n’échappe pas à cette règle.
La coopération est asymétrique, et l’IA n’échappe pas à cette règle.
Et si l’Afrique inversait la donne ?
Et si l’intelligence artificielle devenait le premier levier d’un renversement ? Un outil de souveraineté, de résilience, de modernisation rapide ? Des plateformes africaines de santé publique pilotées par IA, des agriculteurs connectés en temps réel à des prévisions hyperlocales, des services juridiques en langues locales, une justice prédictive, une cybersécurité maîtrisée… Ce scénario n’est plus une utopie.
Le continent a déjà connu des sauts technologiques spectaculaires. Le mobile banking au Kenya, par exemple, a devancé l’Europe. L’intelligence artificielle pourrait bien être le prochain terrain de dépassement.
Le continent a déjà connu des sauts technologiques spectaculaires. Le mobile banking au Kenya, par exemple, a devancé l’Europe. L’intelligence artificielle pourrait bien être le prochain terrain de dépassement.
Une Europe nostalgique, un Sud audacieux
Face à ce constat, l’Europe semble crispée. Elle se méfie de l’audace africaine, tout en se rêvant gardienne des valeurs universelles. Mais peut-on être en même temps moteur technologique et gardien éthique, sans tomber dans la paralysie ? Peut-on ralentir les autres au nom de la prudence, sans risquer de se retrouver à la traîne d’un monde qui bouge à une vitesse algorithmique ?
Certes l’éthique n’est pas seulement une excuse
L’Europe a raison de défendre des principes : transparence, respect des libertés, non-discrimination. Mais en les figeant dans des lois surdimensionnées et inflexibles, elle confond prévention et inhibition. À force de ralentir ses propres acteurs et de complexifier l’accès à ses marchés, elle perd en compétitivité.
Et derrière son discours de régulation, elle dissimule mal une peur géostratégique de voir émerger une Afrique forte, autonome, et technologiquement avancée.
La vraie question est donc : l’éthique, oui, mais pour qui ? Et au service de quoi ?
Et derrière son discours de régulation, elle dissimule mal une peur géostratégique de voir émerger une Afrique forte, autonome, et technologiquement avancée.
La vraie question est donc : l’éthique, oui, mais pour qui ? Et au service de quoi ?