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La chaîne de création de valeur de l’intelligence artificielle au Maroc : le rôle stratégique des métiers


Par Dr Az-Eddine Bennani

L’intelligence artificielle est souvent présentée comme une rupture technologique majeure.

Mais elle est, bien plus profondément, une rupture dans les mécanismes mêmes de création de valeur.

À l’ère de l’intelligence artificielle, la richesse ne se crée plus uniquement dans les machines, les logiciels ou les algorithmes, mais dans un système de métiers interconnectés, inscrit dans des chaînes de valeur imbriquées à la fois informationnelles, économiques, sociales, culturelles et politiques.

Réduire l’intelligence artificielle à quelques profils techniques constitue aujourd’hui une erreur de lecture stratégique.

La valeur naît désormais de l’articulation entre les métiers, de leur alignement avec les processus organisationnels, et de leur inscription dans un projet de souveraineté numérique et de transformation systémique.



Dans l’économie industrielle, la matière première était le charbon, l’acier ou le pétrole.

La chaîne de création de valeur de l’intelligence artificielle au Maroc : le rôle stratégique des métiers
Dans l’économie de l’intelligence artificielle, la matière première est la donnée. Les ingénieurs des données, les architectes des données, les responsables de la qualité des données, les gestionnaires de données et les scientifiques des données constituent le premier maillon de la chaîne de valeur. Ils organisent la collecte, la qualité, la traçabilité, le stockage et la transformation des données en information exploitable.

La chaîne de valeur technologique transforme ensuite la donnée en intelligence opérationnelle. Les ingénieurs en apprentissage automatique, en apprentissage profond, en vision par ordinateur, en traitement automatique du langage et les chercheurs en intelligence artificielle constituent la fabrique cognitive des organisations.

Mais la valeur ne se crée réellement que lorsque ces modèles sont déployés dans les systèmes réels. L’ingénierie des opérations de l’apprentissage automatique assure le passage entre le laboratoire et l’outil de production. Ce métier consiste à déployer les modèles, à surveiller leur comportement, à les maintenir à jour, à garantir leur fiabilité, leur sécurité, leur traçabilité et la continuité de service. Sans cette fonction, l’intelligence artificielle reste une promesse sans impact économique durable.


La chaîne de valeur économique apparaît lorsque l’intelligence artificielle est injectée dans les secteurs productifs.

La maintenance prédictive réduit les arrêts de production, l’intelligence artificielle agricole optimise l’eau et les rendements, l’intelligence artificielle médicale améliore le diagnostic, l’intelligence artificielle financière sécurise les transactions et l’intelligence artificielle logistique fluidifie les chaînes d’approvisionnement. C’est dans ce maillon que l’on sort du paradoxe de la productivité pour entrer dans une productivité systémique mesurable.

La chaîne de valeur humaine et organisationnelle conditionne l’appropriation de l’intelligence artificielle. Les concepteurs d’interfaces, formateurs, consultants, responsables de projets et intégrateurs transforment l’innovation technologique en usage réel. Une solution techniquement brillante mais socialement rejetée ne crée aucune valeur.

La chaîne de valeur culturelle et patrimoniale consacre l’intelligence artificielle comme actif symbolique. Elle permet la valorisation des identités locales, des patrimoines immatériels et de la mémoire collective dans l’espace numérique mondial.


La chaîne de valeur politique et de gouvernance repose sur l’éthique, le droit et la régulation.

Les éthiciens, juristes, responsables de conformité, auditeurs d’algorithmes et directeurs de la stratégie créent la valeur de confiance, condition de la durabilité des systèmes.

À l’ère de l’intelligence artificielle, aucun métier ne crée seul de la valeur. Celle-ci naît de la cohérence entre les chaînes informationnelle, technologique, économique, humaine, culturelle et politique.

Pour le Maroc, l’enjeu n’est pas seulement de former des ingénieurs, mais de bâtir un système national de métiers de l’intelligence artificielle, cohérent, souverain, inclusif et territorialement ancré. C’est à ce prix que l’intelligence artificielle deviendra un véritable levier de création de valeur nationale, de souveraineté numérique et de transformation systémique durable.

Par Dr Az-Eddine Bennani



Vendredi 5 Décembre 2025