Tout commence par une série d’« exactions » d’une frange de la gendarmerie locale.
Pas tout le corps, bien sûr, la majorité fait son travail honnêtement, comme partout. Mais il suffit parfois d’une poignée pour abîmer l’uniforme. Une poignée qui a décidé que dans cette vallée reculée, la loi pouvait être flexible comme un pneu chinois : élastique pour certains, tranchante comme un couperet pour d’autres.
D’un côté, on laissait rouler en toute illégalité des transporteurs sans papiers, sans assurance, sans visite technique, sans même parfois un frein à main en état de marche.
De l’autre, on tombait avec une rigueur olympique sur ceux en règle : contrôle, contravention, immobilisation du véhicule, sermon façon père Fouettard… et surtout, surtout, ces « prix de passage » aussi inventifs que humiliants.
De l’autre, on tombait avec une rigueur olympique sur ceux en règle : contrôle, contravention, immobilisation du véhicule, sermon façon père Fouettard… et surtout, surtout, ces « prix de passage » aussi inventifs que humiliants.
800 dirhams d’amende imaginaire, selon les dires monsieur Moha et, apothéose de l’absurdité bureaucratico-pastorale : la fourniture d’une chèvre…
Oui, une chèvre.
Une vraie.
Avec plein de poils et une barbichette…
La chèvre de Monsieur Moha, transporteur de son état, homme sans doute respecté, père de famille, citoyen modèle, jusqu’au jour où il a dû, pour éviter une contravention sortie des nuages, remettre une chèvre à un gendarme en guise de règlement de contravention et dont le sens de l’éthique tient manifestement dans une poche très extensible.
La pauvre bête, innocente, fut certainement embarquée comme preuve vivante d’un système archaïque qui ne dit pas son nom. Une monnaie animale. Une taxe sur pattes. Une humiliation ineffaçable…
Alors les transporteurs ont dit stop.
Ils ont garé les camions dans les artères de la petite ville, coupé les moteurs, laissé les routes vides. Et ils ont déclaré une grève digne des grands romans du Sud : silencieuse, déterminée, imperturbable. Parce que dans ces régions où l’on mène la vie avec dignité, on peut tout accepter sauf qu’on touche à l’honneur ou aux chèvres…
La gendarmerie, dans sa très grande majorité, n’a rien à voir avec ces pratiques. Les milliers d’hommes et de femmes qui servent dans le monde rural savent ce qu’est la loyauté, la droiture, l’intérêt général.
Mais il y a toujours, dans les plis du pays, des individus qui croient que l’uniforme est un raccourci vers l’impunité. Ceux-là, heureusement, ne tardent jamais à être rattrapés par la lumière du scandale.
Mais il y a toujours, dans les plis du pays, des individus qui croient que l’uniforme est un raccourci vers l’impunité. Ceux-là, heureusement, ne tardent jamais à être rattrapés par la lumière du scandale.
La chèvre de Monsieur Moha n’est pas qu’une anecdote grotesque : elle est un symbole. Celui de tous ces petits abus qui sapent la confiance, humilient les plus vulnérables et ternissent l’image d’un corps d’élite qui mérite mieux que ce folklore douteux.
En attendant, à Rich, les transporteurs continuent la grève malgré une première rencontre de conciliation avec le Gouverneur de Midelt qui a pourtant duré quatre heures et qui n’a abouti à rien de concret…
Monsieur Moha, lui, espère ne plus avoir à sacrifier une chèvre. Car dans le Tafilalet, une chèvre, ce n’est pas seulement un animal : c’est un revenu, une assurance-vie, un morceau de patrimoine familial.
C’est aussi, désormais, une preuve vivante que lorsque la dignité est piétinée, tout un village peut se lever et faire trembler même les montagnes les plus anciennes.
C’est aussi, désormais, une preuve vivante que lorsque la dignité est piétinée, tout un village peut se lever et faire trembler même les montagnes les plus anciennes.
Mais la question lancinante est : pourquoi y a-t-il 10 barrages de gendarmerie de Meknes à Errachdia éloignées d’à peine 323 km ?
Mais ça, c’est encore une autre histoire…
