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La dirhamocratie marocaine




Par Aziz Boucetta

La dirhamocratie marocaine

Une élection pas comme les autres, certes… avec en perspective de lourds défis à relever, certes aussi…  mais ce qui est certain est que ce scrutin général du 8 septembre sera le plus « cher » jamais organisé dans le royaume. Tous les partis s’accordent à le dire et à le dénoncer, mais pas trop, parce que tous les partis misent…
 

Ainsi, le 11 août dernier, quelques jours après l’organisation des élections des chambres professionnelles, à l’issue desquelles le RNI a été déclaré gagnant, largement gagnant, triomphant, cinq partis sont montés au créneau pour dénoncer « l’usage excessif de l’argent » et « l’exploitation manifeste de certains projets et programmes ministériels et l’intervention flagrante de certains secteurs ministériels partisans ». Les cinq partis – PJD, PAM, PPS, MP et UC – pensent certainement à leur sérieux compétiteur, le RNI.
 

Interrogé à la télé, l’un des principaux dirigeants de ce parti de Bleus, Rachid Talbi Alami, a tranquillement confirmé, en disant ceci : « Le résultat (aux Chambres professionnelles) est une reconnaissance et une récompense des efforts déployés dans les secteurs (concernés par les Chambres) … (…) Les stratégies mises en place par Sa Majesté le Roi, nos ministres ont déployé l’efficacité et le dynamisme nécessaires pour leur exécution. Aujourd’hui, il y a un retour sur investissement (sic), une récompense ». La messe est dite, si l’on ose dire…
 

Et puis, voici quelques mois, la quasi-totalité des partis avaient colériquement dénoncé les agissements de la Fondation Joud, adossée au RNI et accusée de distribuer des paniers de ravitaillement aux populations, ici et là. Aziz Akhannouch lui-même était monté au créneau pour démentir, et on le sait pourtant avare de discours et très économe de sa parole. Pourquoi a-t-il donc parlé à ce propos ?
 

Le problème est là, certes, mais il est aussi ailleurs. Pourquoi les partis ne vont-ils pas en justice ? Pour paraphraser les anglosaxons dans leurs cérémonials de mariage : « Si quelqu’un s’oppose à cette élection, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ! », et cela serait applicable à tous ces partis qui aiment à dénoncer, mais sans se prononcer. En avril dernier, PAM, Istiqlal et PPS sortaient un communiqué conjoint disant, entre autres, ceci : « Les trois partis politiques réaffirment leur condamnation de principe du phénomène de l’instrumentalisation politicienne de l’œuvre caritative et solidaire, quel qu’en soit le penchant politique pour influencer le choix (…). Ce phénomène illicite s’appuie sur l’exploitation illégale et immorale des renseignements et des données personnelles des citoyennes et citoyens et nécessite l’intervention des autorités publiques pour l’empêcher et y mettre fin ».
 

C’est ce qu’on appelle en dire trop ou pas assez… Et Nabil Benabdallah en dit encore plus, mais toujours pas assez : « Ce sont 200 millions de DH qui sont déversés, en un mois… Vous imaginez de quoi on parle ? Qui pourra lutter contre cela ? ». Allez, M. Benabdallah, vous et vos amis des autres partis, de pratiquement tous les autres huit premiers partis, un petit effort, dites-en plus ! Nommez les choses ! Confondez les indélicats ! Des noms, des noms !...
 

Si lui et ses pairs ne le font pas, c’est que les choses sont biaisées, ou que chacun met la main à la poche, à sa manière et selon ses moyens. Et cela fait des années que cela dure, sauf que cette année, tous se sont retrouvés pris à leur propre jeu des notables argentés qu’ils s’arrachent, des transferts d’argent et de pouvoir d’achat qu’ils tolèrent, s’ils ne les encouragent. Aujourd’hui, ils attaquent tous le RNI, mais n’osent aller « plus vite, plus haut, plus fort ». Le RNI se défend avec une virulence qui confine à l’arrogance, mais tout le monde sait et tout le monde comprend ; il suffit juste de jeter un œil sur les profils des candidats des uns et des autres…
 

Et dans tout le monde, on trouve cette masse compacte que sont les électeurs, qui observent et se tâtent, qui s’interrogent et doutent. Cette élection est et sera monétaire et financière, et tout le monde s’en accommode.

La loi dit qu’un candidat aux législatives ne peut dépasser 500.000 DH pour ses dépenses de campagne, et 300.000 pour l’ambitieux qui entend devenir conseiller à la Chambre du même nom. Face à la très liquide réalité, on peut en rire, à défaut d’en pleurer. Et ce sont seulement deux pelés et trois tondus qui ont été confondus par la justice (photo : capture d'image d'un candidat distribuant de l'argent et jugé, condamné, emprisonné)…

 

 

Globalement, les partis abreuvent, l’Etat attend des preuves mais ce sont au final les électeurs qui devront subir cette épreuve… de cinq longues années avec des élus très majoritairement monétaires. C’est dommage pour cette démocratie en transition éternelle qui bascule aujourd’hui en dirhamocratie. 


Raison de plus pour voter en masse pour dégager la crasse...
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com



Jeudi 2 Septembre 2021