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La face hideuse du journal Le Monde (1/2)

Par Driss Ajbali et Naïm Kamal


À travers un feuilleton intitulé « L’énigme Mohammed VI », le quotidien français Le Monde s’est lancé dans une entreprise journalistique qui, sous couvert d’investigation, s’apparente davantage à une mise en scène bancale qu’à une analyse solide. En six épisodes, ses auteurs ont multiplié les sources anonymes et les insinuations, tentant d’éclairer ce qu’ils considèrent comme un mystère : un Roi qui, vingt-six ans après son accession au Trône, En vain écrivent dans cette chronique en deux parties Driss Ajbali, sociologue er essayiste, et Naïm Kamal, directeur du site Quid.ma.

Mais quelle est donc cette mouche qui a piqué le journal Le Monde. Dans une série sur le mode Netflix, le journal a feuilletonné, avec six interminables épisodes, « l’énigme Mohamed VI ». Serait-ce là une manière de clôturer l’été par une démarche qui attire le chaland, en ces temps de disette caniculaire.



D’où tu parles camarde ?

Le Roi Mohammed VI, le Prince héritier Moulay El Hassan et la Princesse Lalla Khadija à Paris en novembre 2024
Le Roi Mohammed VI, le Prince héritier Moulay El Hassan et la Princesse Lalla Khadija à Paris en novembre 2024
« Le maitre du discours devient le maitre tout court » disait Tzvetan Todorov. D’aucuns en France, ceints du magistère du titre pour lequel ils travaillent comme journalistes, se croient tout permis. Ils aiment, selon la leçon d’Albert Londres, « porter la plume dans la plaie » quitte à user d’un tisonnier.

En tant qu’hommes de métier, nous n’ignorons rien des manœuvres de la cuisine rédactionnelle et des astuces pour monter en épingles un dossier. Nous avons donc attendus sagement la parution de l’ensemble, au lieu de réagir impulsivement à l’une des parties. De fait, le bidonnage caractérise l’investigation de Christophe Ayad et Frederic Bibon et c’est patent. L’indigne volonté de nuire est manifeste. Plus qu’un dossier à charge, c’est un réquisitoire. Une enquête journalistique, où l’absence de rigueur intellectuelle tutoie la déficience de morale. Si troublante qu’elle soit, la démarche interroge plus son non-dit que par ce qu’elle dévoile. Pourquoi ? Et pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui la motive et quel en est le dessein ultime ? Ceci mis part les angles de tir et surtout le sévère regard posé sur le royaume, frappé d’une conjonctivite déontologique. Cela laisse perplexe.

Le dossier achève l’été. Il est écrit à quatre mains. Il n’est pas consacré aux relations entre le Maroc et la France, si ce n’est en filigrane, de manière subtile et offensante, le plus souvent. Il est réservé à la famille royale dans son ensemble, et ad hominem au Roi Mohammad VI, ce « bon calife » entouré de ses « mauvais vizirs » avec un Fouad Ali Himma « véritable clé de voûte du Makhzen ».

La haine et le pamphlet étant plus vendeurs et lucratifs, nos deux journalistes sont comme à la fête. C’est open bar. Trêve de convenances et de bienséances. Outre le paternalisme intellectuel éculé, on perçoit chez eux l’évidente, rampante et peut être inconsciente touche d’orientalisme digne d’un Eugène Delacroix ou d’un Pierre Loti, surtout lorsqu’ils évoquent ces réceptions royales, « mélange de mille et une nuit et du Moyen-âge ».

Les Marocains ne sont dupes. Ils n’ignorent rien de la viscérale détestation, non pas du Maroc mais de sa monarchie. Cela fait partie de l’ADN du journal Le Monde. Et ces articles peuvent se lire comme le symptôme bubonique d’un tropisme tiers-mondiste attardé, chevillé au corps de sa ligne éditoriale. Cependant, de ces articles, le peuple marocain, le profond, celui qui est de moins en moins francophones, il n’en a cure. Contrairement à l’élite marocaine qui elle n’ignore rien de ce qui vient de l’Hexagone. Et elle est, cette élite, blessée. Elle qui retient de la France, de son histoire, de sa culture et de sa langue une fragile empreinte de grandeur aujourd’hui pulvérisée par la médiocrité, de plus en plus manifeste, et par la médiacratie que n’effraie plus aucune obscénité. Elle sait cette élite que, dès lors qu’il s’agit du Maroc, il y a, dans ce quotidien du soir, la résurgence d’une pulsion régicide qui, de manière épistolaire, procède à un vain meurtre symbolique.

Quoi de neuf ?

Rien. Absolument rien. Du réchauffé. Du périmé. Avec un arrière-goût fétide tant certaines dates de péremption dépassent les décennies. Et sous prétexte que « l’administration royale n’a pas pour habitude de répondre aux demandes de confirmation des journalistes étrangers », ces deux journalistes s’autorisent l’accréditation des murmures.

Ils rivalisent d’imagination pour faire accroire à des sources anonymes, les unes plus que les autres.  Défilent alors les « bons connaisseurs du palais », les « observateurs attentifs du pouvoir », un « économiste bien informé », un « familier du palais », « un politologue qui ne souhaite pas être nommé », un « analyste, soucieux de rester anonyme par peur des représailles ». Bref, C’est un voyage à « médisance-land ». Le bal masqué. Un « Eyes Wide Shut » sans Stanley Kubrick. Un théâtre d’ombres où se compose un récit sans visages et sans voix. Le tout est bâti sur le sable du conditionnel, du ressassement et des redites. Et c’est là où on passe du journaliste au journaleux. Les usufruitiers de la calomnie, deviennent ains, dans la bourse du Cac 40 de l’outrance, les champions de l’insinuation et du chuintement attribués à « fins connaisseurs des arcanes du Makhzen, ce mot intraduisible ».

Ce n’est pas à du journalisme sur la cour royale qu’on va assister. C’est à une chasse à courre.

C’est connu. En politique, on chasse en meute. Et pour l’occasion, les confrères français n’ont pas dérogé à cette règle. Ils ont pris un soin particulier dans le choix de leurs références bibliographiques ou leurs correspondants téléphoniques. Ils ne leur pas suffi d’équarrir Ignace Dalle, ancien de l’AFP aujourd’hui complice de l’extrême-droite comme c’est le cas de Pierre Vermeren, ancien professeur d’histoire au lycée Descartes de Rabat. Jean-Pierre Tuquoi, cet ancien de la boutique qui un temps se rêvait d’être un pâle Gilles Perrault. Ou encore Nicolas Beau et son Bakchich. Ils ont même eu l’outrecuidance d’appeler en renfort Éric Laurent, ce maitre chanteur pris, avec sa complice Catherine Graciet, la main dans le sac. Les archives poussiéreuses de la fragile étagère française n’étant pas suffisantes, Ils ont même appelé en renfort, Ignacio Cembrero, l’espagnol. Sans compter les acolytes de toujours, Marocains ceux-là, dont ils ne cesseront pas de reprendre le narratif. Un récit connu, usité, maintes fois recyclé et rabâché à satiété, depuis 25 ans. En dehors d’Omar Brousky, Ils ne les nomment pas, manière de protéger la source. Mais ils sont connus. Et on les devine aisément. Tapis dans l’ombre, ils susurrent, autour d’un café, ce qu’il faut dire pour infliger la meurtrissure.

Mais que cherche donc Ayad et Bibon? Une brouille ? la discorde ? le chaos ? N’ont-ils rien appris de la leçon libyenne ? De la Libye démantibulée. De la Syrie dévastée. De l’Irak ravagé. De la Tunisie ébranlée. Rêvent-ils, pour nous et par procuration, d’un grand soir ?  S’ils ont le secret espoir de provoquer, avec cette entreprise, une fracture, c’est, à en juger les clameurs (non pas de la presse aux ordres comme ils disent), c’est exactement l’inverse qu’ils ont déclenché.

Une approche volontairement crépusculaire

Le Makhzen déplait Ayad et Bibon ? Soit. De grâce. De quoi je me mêle. Le Makhzen, c’est l’affaire des Marocains. Des bouts des lèvres, ils reconnaissent eux même que Mohammed VI est très populaire. Et c’est incontestable. Autrefois les Marocains avaient peur du Roi Hassan II. Aujourd’hui, ils ont peur pour leur Roi Mohammed VI. S’ils avaient fait une enquête de terrain, et non pas dans les bureaux climatisés du Le Monde, nos journalistes auraient eu du mal à trouver un Marocain qui, à l’évocation du nom du souverain, ne leur dira pas « que Dieu le préserve, avec un prompt rétablissement », manière tendre et affectueuse de déplorer ses problèmes de santé, connus de tous. Généralement, les journalistes français ont des pudeurs de gazelles sur les maladies de leurs classe politique. Là, comme il s’agit d’une « dictature » passée « à l’autocratie éclairée », on peut tout s’autoriser et même c’est halal.

Rien donc dans le règne de Mohammed VI, ne trouve grâce dans les encriers de ce journal. Rien n’a été épargné. Les confrères ont mis une telle ardeur à discréditer tout sur leur passage. A tout souiller. Les reformes « inachevées » La Mouddawana, l’instance Equité et réconciliation, la gestion du printemps arabe et le discours du 9 mars 2011 dont l’initiative serait « inspirée par Nicolas Sarkozy »(sic). La nouvelle constitution où le premier ministre est rebaptisé, non pas comme ils le prétendent « de président du gouvernement », mais de chef de gouvernement. Durant ce règne, le Maroc s’est même permis le passage des islamistes, dix ans durant, avant qu’ils ne soient battus par les urnes et pas par la violence comme ce fût ailleurs. S’ils connaissaient vraiment le Makhzen, « ce concept intraduisible », jamais ils n’auraient commis l’erreur d’écrire que Driss Jettou a rétabli les comptes royaux avant qu’il ne soit remplacé par Mounir Majidi. C’est proprement un mélange de pinceaux et il y a de quoi avoir un rire cathartique si ce n’était proprement dramatique. Ils ont qualifié Abdelatif Hammouchi de Fouchet, pas le Christian, le Joseph qui fut cinq fois ministre de la police. Une confusion, probablement pavlovienne, avec Driss Basri. Hammouchi est un haut fonctionnaire et grand serviteur de l’État. Il a vu passer plusieurs ministres de l’intérieur. Mais il est vrai que dès lors qu’il s’agit du monde arabe, du monde musulman, de l’Orient compliqué, l’approximation et le « à peu près » journalistiques sont pardonnés quand ils ne sont pas de rigueur

Encore une fois, Ayad et Bibon nous font le coup autrefois commis par Jean-Pierre Tuquoi en 2006. Avec une psychologie de petite facture et pourquoi pas un freudisme de mauvais aloi, ils entreprennent, pour comprendre le fils, de passer par le père. Ainsi, et après vingt-six ans de règne qui, de l’avis de tous, ont transformé le Maroc, ils ont décidé, pour capturer le portrait de « l’énigmatique Mohammed VI », de passer par la figure tutélaire du père. Ce qui leur permet, librement et impunément, de le souligner son « caractère introverti » et expliquer ses « emportements terribles qui se traduisent parfois par des colères aussi violentes qu’inattendues ».

Et puis, dès la cinquième livraison. On ressent comme un essoufflement. Un épuisement tant ils ont tiré sur la corde.  C’est le moment de nous infliger la théorie des cercles qui gravitent « dans l’orbite royal » : Les amis du collège royal avec à leur tête Fouad Ali Himma qui, pour le coup n’est plus un « mauvais vizir » mais le « vice-roi » qui a « orchestré la domestication du champs politique ». La guerre des services entre Hammouchi et Yacine Mansouri qui nous projettent dans un pastiche du « nid d’espions » du caricatural SOS 117 avec Jean Dujardin. Même pas dans un bon 007, avec un Sean Connery impérial. Il y a ensuite le cercle économique, avec sa gloutonnerie, sous la houlette de Aziz Akhannouch et autres prédateurs. Last but not least, un retour au cercle familial de la cour royale, en ne nous épargnant aucun nom.

Tout ça est cousu de fil blanc. Et le chapelet de perles qui font la chair des textes, longs comme un jour sans pain, laissent un goût amer tant les plumes sont vengeresses. Il y a, cependant plus insupportable. C’est la posture altière de ces journalistes, qui ont écrit pour leur bon plaisir, tant ils sont convaincus qu’ils sont vertueux et sûrs de leur bon droit d’exprimer leurs indignations.

Laissons alors le dernier mot à Nietzche : « Nul ne ment autant qu’un homme indigné ».



Samedi 30 Août 2025