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La folie de l’avocat au Gharb : or vert ou tache d’eau ?


Rédigé par Salma Chmanti Houari le Lundi 6 Octobre 2025

Quand on roule entre Kénitra et Larache, on voit des champs alignés d’avocatiers à perte de vue. L’avocat, ce fruit crémeux tendance, est devenu presque un symbole du succès agricole marocain : exportations, devises, nouveaux emplois. Mais derrière l’euphorie verte se cache un défi sérieux : celui de l’eau, ressource rare, précieux héritage menacé.



Richesse fruitière et mirage hydrique.

La folie de l’avocat au Gharb : or vert ou tache d’eau ?

L’essor spectaculaire de la filière :
Le Maroc s’est hissé ces dernières années parmi les grands exportateurs d’avocat dans le monde. Dans la plaine du Gharb, la culture de l’avocat occupe désormais des milliers d’hectares, avec l’essentiel de la production destinée à l’export, surtout vers l’Europe.

Les chiffres parlent : pour la campagne 2025-2026, on prévoit une récolte bien inférieure aux espérances, à cause des chaleurs extrêmes. Certaines exploitations indiquent des pertes pouvant aller jusqu’à 40-50 % dans les vergers du Gharb.
 
Le coût caché : l’eau qu’on oublie 
Ce succès économique a un prix : l’avocat est une culture aquavore. Selon les spécialistes, un hectare d’avocatiers peut nécessiter environ 16 millions de litres d’eau par an. Dans des régions déjà touchées par le stress hydrique, cela signifie une pression forte sur les nappes phréatiques, sur les réserves des barrages, et sur l’accès à l’eau potable pour les habitants.

Le Maroc est désormais en forte tension hydrique : avec environ 500-600 mètres cubes d’eau par habitant par an, le pays est proche du seuil de pénurie d’eau (souvent évalué à 500 m³).


Quand la chaleur brûle les rêves

- Canicules + jeune plantation = double peine
La campagne actuelle a vu des vagues de chaleur record (jusqu’à 49 °C dans certaines zones autour de Moulay Bousselham), qui ont provoqué la chute prématurée des fruits, abîmé le feuillage, stressé les arbres. Les jeunes plantations, moins résistantes, souffrent plus. 

- Irrigation intensive et gaspillage invisible :
Même si beaucoup d’exploitations adoptent le système de goutte-à-goutte pour limiter les pertes d’eau, ce n’est pas toujours suffisant : mauvaise gestion, évaporation, systèmes mal calibrés ou mal utilisés. Le fruit “star” nécessite souvent un arrosage deux à quatre heures par jour selon les saisons.


Pour qui l’avocat ? Les inégalités sous le soleil

Les grands vs les petits :
Les exploitations bien financées et orientées vers l’export peuvent investir dans des technologies plus avancées, construire de grands bassins de stockage, maîtriser l’irrigation, supporter les pertes. Les petits agriculteurs, eux, risquent d’être laissés pour compte : manque d’accès aux ressources, aux équipements, aux financements.

Eau, droit et justice locale :
Quand les nappes se vident, ce sont les villages qui souffrent des coupures d’eau potable, des puits asséchés ou trop profonds, ou de la qualité de l’eau qui diminue. On entend des plaintes : “notre eau est rare”, “les canalisations ne donnent plus assez”, etc.

Ce ne sont pas toujours les producteurs d’avocat les plus visibles, mais les petits habitants ruraux qui paient le prix.


Les options pour un avenir plus durable

Régulation , quotas , subventions revisitées :
Le gouvernement marocain a déjà commencé à réagir. En septembre 2022, les incitations pour de nouvelles plantations d’avocat ont été suspendues. Quelques mesures de restriction sont envisagées pour limiter l’expansion. Mais une suspension ne suffit pas si les plantations existantes continuent à tirer excessivement sur l’eau.
 
Irrigation modernisée et technologies adaptées :
Le goutte-à-goutte reste une piste forte. Mais il faut aussi investir dans la formation des agriculteurs pour bien gérer la cadence d’arrosage, l’ombre, la couverture du sol (mulch), le choix des variétés plus résistantes à la chaleur. 
 
Diversification culturale et agriculture raisonnée :
L’une des pistes sera de poser la question : est-ce toujours pertinent d’augmenter la surface d’avocat alors que d’autres cultures moins gourmandes en eau pourraient être favorisées? Ou bien mélanger l’avocat avec d’autres cultures, ou faire de l’agroforesterie pour limiter l’évaporation? Reinventer le modèle agricole du Gharb pour qu’il soit plus résilient. 
 
Gouvernance locale et transparence :
Impliquer les populations locales dans les décisions concernant l’eau, la répartition, les priorités. Permettre que les droits liés à l’eau soient protégés, que l’irrigation respecte des normes de durabilité, que les grandes exploitations soient tenues responsables de leur impact sur les nappes. 


Peut-on avoir l’avocat et l’eau ?

L’avocat, dans le Gharb, incarne une contradiction délicate : source de richesse et de visibilité internationale, mais aussi facteur aggravant du stress hydrique local. En 2025, avec les chaleurs extrêmes, les pertes dans les vergers, les nappes phréatiques qui baissent, le modèle est mis à rude épreuve.
 

L’enjeu est de repenser ce modèle : non pas rejeter la culture de l’avocat, mais la rendre plus responsable. L’eau doit cesser d’être “l’or invisible” que l’on gaspille ou surexploite, et redevenir un bien commun respecté.
 

Pour le Maroc, le vrai défi est de trouver un équilibre : soutenir les filières exportatrices, tout en préservant les droits des communautés locales, la santé des sols, et la pérennité des ressources. Car si l’eau manque, il n’y aura plus rien à exporter : ni les avocats, ni l’avenir.


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Lundi 6 Octobre 2025