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La paranoïa de Citizen Kane ou la fin politique d’Aziz Akhennouch


Par Rachid Boufous

La chute politique ne vient jamais d’un seul faux pas. Elle procède d’une suite d’erreurs, de signaux ignorés, de colères mal lues. Aziz Akhennouch, homme d’affaires devenu Premier ministre, a confondu la gouvernance d’un pays avec la direction d’un conglomérat. L’exercice du pouvoir exige autre chose qu’une rationalité comptable : il réclame une écoute, une empathie, une conscience du moment. Or, c’est précisément ce qui a manqué. Trois fautes majeures auront scellé son destin politique.



La première, c’est l’arrogance de la majorité absolue.

Rachid BOUFOUS
Rachid BOUFOUS
Akhennouch a cru qu’un Parlement acquis, des mairies contrôlées, des régions verrouillées suffiraient à gouverner un pays. En réalité, cette homogénéité du pouvoir a produit un effet inverse : elle a privé le Maroc de débats, d’équilibres et de respiration démocratique. En écartant la contradiction, en verrouillant les plateaux de télévision, en refusant toute confrontation d’idées, le chef du gouvernement a confondu l’unanimité de façade avec la légitimité populaire. Ce fut la faute originelle. Car un gouvernement sans opposition audible devient sourd. Et la surdité, en politique, est le premier signe de déclin.

La deuxième erreur, plus insidieuse, fut la déconnexion.

Akhennouch a vécu ces derniers mois comme un monarque d’entreprise, entouré de chiffres et de bilans, mais coupé du réel. Les colères de la jeunesse, les angoisses des familles, les appels à la dignité ont glissé sur un pouvoir qui ne sait plus écouter. Les mouvements du 27 et 28 septembre l’ont démontré : la rue n’a plus peur, mais elle n’est plus entendue non plus.

Au lieu d’y voir un signal, le gouvernement y a vu une menace. Or, gouverner, ce n’est pas sécuriser, c’est comprendre. Le Maroc d’aujourd’hui n’est pas celui des années 2000 : il est plus connecté, plus lucide, plus impatient. L’ère du pouvoir vertical est terminée. Et Akhennouch ne l’a pas vu venir.

La troisième erreur est psychologique.

Elle tient à une forme de paranoïa du pouvoir, comparable à celle de Charles Foster Kane dans le film d’Orson Welles. Comme le magnat solitaire de Citizen Kane, Akhennouch a cru que l’image, la communication et la maîtrise du récit suffiraient à gouverner. Il a bâti des écrans, des slogans, des publicités, mais le réel finit toujours par fissurer le miroir.

Derrière le storytelling, le Maroc a vu la hausse des prix, la dégradation des services publics, la fuite des jeunes talents, et surtout, un sentiment d’abandon. Plus le gouvernement contrôlait sa communication, plus il perdait sa crédibilité. Plus il se fermait, plus il s’isolait. La paranoïa du contrôle total a engendré une perte de confiance totale.

Ainsi s’écrit la fin politique d’Aziz Akhennouch :

Non pas comme une chute brutale, mais comme un lent effacement. Les erreurs de stratégie, de perception et de psychologie ont formé un cercle vicieux où l’autorité se délite sans qu’elle s’en rende compte. Le Premier ministre aurait pu être le réformateur du Maroc post-pandémique, celui qui redonne souffle à la classe moyenne, confiance à la jeunesse, vision au pays. Il aura été, au contraire, le symbole d’un pouvoir qui s’écoute parler pendant que le peuple s’éteint. Et comme dans Citizen Kane, il restera, dans la mémoire politique, une image poignante : celle d’un homme qui possédait tout sauf l’essentiel : la capacité d’entendre le murmure du peuple.

PAR RACHID BOUFOUS/FACEBOOK.COM


Mardi 7 Octobre 2025