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La politique industrielle à l’épreuve de la réalité MENA


Rédigé par La Rédaction le Lundi 28 Avril 2025



La politique industrielle à l’épreuve de la réalité MENA

Depuis quelques années, la politique industrielle fait un retour remarqué sur la scène économique mondiale. Face aux défis de souveraineté, de relocalisation et de transition énergétique, de nombreux pays cherchent à orienter leur production et soutenir leurs secteurs stratégiques. Dans la région MENA, ce tournant est observé avec attention… mais sa mise en œuvre soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Selon le rapport de la Banque mondiale (avril 2025), les États de la région MENA — Maroc, Égypte, Arabie saoudite, Tunisie ou Jordanie — utilisent de plus en plus des instruments d’intervention économique : subventions, exonérations fiscales, barrières à l’importation, quotas d’exportation, zones franches, programmes d’investissement public, etc. L’objectif affiché ? Stimuler la production locale, attirer les investissements étrangers et réduire la dépendance extérieure.

Mais derrière cette ambition se cache une réalité plus complexe. Dans des économies marquées par la fragilité institutionnelle, la faiblesse des données économiques et l’influence des groupes d’intérêt, la politique industrielle se heurte à plusieurs limites structurelles. Trop souvent, elle renforce les inégalités de traitement entre entreprises publiques et privées, crée des effets de rente, ou soutient des champions nationaux déconnectés de la réalité du marché.

La Banque mondiale souligne que la neutralité concurrentielle est rarement respectée. Les entreprises d’État bénéficient d’un traitement préférentiel (accès au foncier, crédits bonifiés, marchés publics garantis), ce qui fausse la compétition. Les PME innovantes, elles, peinent à obtenir un soutien équivalent, malgré leur potentiel en matière de création d’emplois et de diversification économique.

Autre problème : l’absence de mécanismes d’évaluation rigoureux. Trop souvent, les politiques industrielles sont menées à l’aveugle, sans suivi, sans indicateurs clairs, et surtout sans possibilité d’ajustement en cas d’échec. Les décisions sont prises de manière centralisée, sur la base d’intuitions politiques ou de pressions sectorielles, plutôt que sur des données probantes.

Or, une politique industrielle efficace exige une chose rarement disponible dans la région : des capacités administratives solides, des données fiables, et une gouvernance transparente. Sans ces préalables, l’État risque de gaspiller des ressources, de décourager les investissements, et d’entretenir la méfiance du secteur privé.


Le rapport préconise donc une série de réformes pour rendre les politiques industrielles plus stratégiques, plus inclusives et plus responsables :

  • Identifier clairement les défaillances de marché à corriger (coûts d’entrée, formation, innovation, accès au crédit) ;

  • Réduire les distorsions existantes avant d’en ajouter de nouvelles ;

  • Mieux cibler les aides publiques vers les entreprises à fort potentiel de croissance et de résilience ;

  • Et surtout, soumettre toutes les interventions à une évaluation régulière, transparente et publique.

Autrement dit, il ne s’agit pas de renoncer à toute intervention économique, mais de revoir en profondeur les méthodes et les objectifs. Une politique industrielle moderne ne doit pas créer des dépendances, mais encourager l’autonomie, la montée en gamme, l’intégration régionale et l’inclusion sociale.

Dans une région en quête de diversification et de justice économique, la politique industrielle peut être un levier puissant… à condition qu’elle soit menée avec méthode, avec humilité, et avec le souci permanent de l’intérêt général.


​Et si, malgré toutes les précautions théoriques, la politique industrielle n’était qu’un mirage technocratique ?

L’histoire économique des pays MENA est remplie de plans ambitieux, de zones industrielles flambant neuves, et de discours sur la "réindustrialisation"… qui ont laissé derrière eux des usines vides, des dettes, et beaucoup de désillusion.

Dans des systèmes où l’État reste juge et partie, où la proximité avec le pouvoir est souvent plus rentable que l’innovation, la politique industrielle peut vite devenir un outil de clientélisme maquillé en stratégie. Subventions, allègements fiscaux, exonérations : ces mécanismes risquent de consolider les monopoles existants plutôt que d’ouvrir le jeu économique.

Pire encore, en intervenant de manière ciblée, l’État prend le risque de parier sur les mauvais chevaux, d’orienter les ressources vers des secteurs "à la mode" mais non viables, et d’écarter des initiatives plus informelles ou locales qui, elles, créent de l’emploi réel.

En fin de compte, vouloir planifier l’économie sans en transformer la gouvernance revient à renforcer les dysfonctionnements existants. Et si, plutôt que de chercher à guider les secteurs à coup d’incitations, l’État se contentait déjà de garantir des règles du jeu claires, équitables et stables ? Peut-être serait-ce, paradoxalement, la politique industrielle la plus efficace.

Article dans L'Eco Business du 27 Avril 2025





Lundi 28 Avril 2025