Un développement spatial entre grands projets structurants et déficits territoriaux
Monceyf FADILI : Expert international en planification urbaine et développement territorial / Ancien Conseiller UN-Habitat
Au cours des vingt dernières années, le Maroc a inauguré une série de chantiers d’envergure articulés aux grands centres urbains, favorisant l’attractivité territoriale et son insertion à la compétitivité internationale, notamment en Afrique.
Les infrastructures routières et autoroutières ont été renforcées, ainsi que le réseau ferroviaire par l’extension de la ligne LGV sur l’axe Tanger-Marrakech, parallèlement à la consolidation du port de transbordement Tanger Med, premier hub du commerce maritime en Afrique et en Méditerranée. Dans les provinces du Sud, le port de Dakhla Atlantique a vocation à devenir la porte d’entrée de l’Afrique, s’appuyant sur le projet de gazoduc Nigeria-Maroc et desservi par la voie express Tiznit-Dakhla (1.100 km).
L’outil industriel est essentiellement représenté par le site Renault de Tanger (500.000 véhicules, 2025), première usine automobile d’Afrique, et par l’industrie aéronautique (Casablanca) dans le domaine de l’assemblage d’avions et la fabrication de pièces de structure.
Le secteur de l’environnement et des énergies renouvelables concerne les stations solaires Noor (Ouarzazate), les parcs éoliens (Boujdour, Tarfaya), le dessalement de l’eau de mer (16 stations opérationnelles, 5 en chantier) à vocation domestique, agricole et industrielle, et l’ouverture pilote à la production d’hydrogène vert.
En termes d’infrastructures sportives, on retiendra la vaste opération de rénovation et de construction de stades de football en vue de la CAN 2025 et de la Coupe du Monde 2030, un instrument fort du Soft Power du Maroc. Un investissement dont il faudra évaluer les retombées à moyen terme ; la seule ville de Rabat enregistre la construction de quatre stades – 130.000 places cumulées –, le futur stade Hassan II de Benslimane étant d’une capacité de 115.000 places.
Ces avancées, qui positionnent le Maroc au premier rang des économies africaines, ne doivent cependant pas occulter l’ancrage territorial de la plupart de ces projets et leur faible impact sur les territoires et leurs populations, concernées au premier chef par les problématiques de développement économique et social.
La localisation géographique des projets a en effet contribué à renforcer le corridor urbain Tanger-El Jadida, faisant de l’axe atlantique le pivot de l’armature urbaine et l’espace de concentration des richesses, que portent les régions de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Une tendance qui accentue les disparités territoriales et les inégalités, confirmées par le dernier recensement (RGPH, 2024).
Avec des taux d’urbanisation supérieurs à la moyenne nationale (62,8%), ces trois régions représentent, sur les 12 régions, 32% de la population urbaine et 46% de la population totale, mais près de 60% du PIB (HCP, 2023) ; la région de Casablanca-Settat concentrant 32% du PIB national.
La confirmation d’un Maroc à deux vitesses qui fait ressortir qu’au-delà des chantiers structurants, le défi majeur demeure l’incidence des projets sur les territoires et leurs espaces de vie, et leur capacité à générer de l’emploi et la création de richesse.
Les infrastructures routières et autoroutières ont été renforcées, ainsi que le réseau ferroviaire par l’extension de la ligne LGV sur l’axe Tanger-Marrakech, parallèlement à la consolidation du port de transbordement Tanger Med, premier hub du commerce maritime en Afrique et en Méditerranée. Dans les provinces du Sud, le port de Dakhla Atlantique a vocation à devenir la porte d’entrée de l’Afrique, s’appuyant sur le projet de gazoduc Nigeria-Maroc et desservi par la voie express Tiznit-Dakhla (1.100 km).
L’outil industriel est essentiellement représenté par le site Renault de Tanger (500.000 véhicules, 2025), première usine automobile d’Afrique, et par l’industrie aéronautique (Casablanca) dans le domaine de l’assemblage d’avions et la fabrication de pièces de structure.
Le secteur de l’environnement et des énergies renouvelables concerne les stations solaires Noor (Ouarzazate), les parcs éoliens (Boujdour, Tarfaya), le dessalement de l’eau de mer (16 stations opérationnelles, 5 en chantier) à vocation domestique, agricole et industrielle, et l’ouverture pilote à la production d’hydrogène vert.
En termes d’infrastructures sportives, on retiendra la vaste opération de rénovation et de construction de stades de football en vue de la CAN 2025 et de la Coupe du Monde 2030, un instrument fort du Soft Power du Maroc. Un investissement dont il faudra évaluer les retombées à moyen terme ; la seule ville de Rabat enregistre la construction de quatre stades – 130.000 places cumulées –, le futur stade Hassan II de Benslimane étant d’une capacité de 115.000 places.
Ces avancées, qui positionnent le Maroc au premier rang des économies africaines, ne doivent cependant pas occulter l’ancrage territorial de la plupart de ces projets et leur faible impact sur les territoires et leurs populations, concernées au premier chef par les problématiques de développement économique et social.
La localisation géographique des projets a en effet contribué à renforcer le corridor urbain Tanger-El Jadida, faisant de l’axe atlantique le pivot de l’armature urbaine et l’espace de concentration des richesses, que portent les régions de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Une tendance qui accentue les disparités territoriales et les inégalités, confirmées par le dernier recensement (RGPH, 2024).
Avec des taux d’urbanisation supérieurs à la moyenne nationale (62,8%), ces trois régions représentent, sur les 12 régions, 32% de la population urbaine et 46% de la population totale, mais près de 60% du PIB (HCP, 2023) ; la région de Casablanca-Settat concentrant 32% du PIB national.
La confirmation d’un Maroc à deux vitesses qui fait ressortir qu’au-delà des chantiers structurants, le défi majeur demeure l’incidence des projets sur les territoires et leurs espaces de vie, et leur capacité à générer de l’emploi et la création de richesse.
Stagnation du Maroc à la 120 ème place en matière d’Indice de développement humain (IDH)
Cette tendance apparaît dans le classement du Maroc à la 120ème place sur 193 Etats dans le classement de l’Indice de développement humain du PNUD, 2025.
Le Royaume accuse encore des retards importants en matière d’espérance de vie, où la longévité renvoie à la santé et à la mesure des indicateurs essentiels tels que l’eau potable, le logement décent et les soins médicaux.
- Santé : 7 médecins/10.000 hab. et 0,9 lit/1.000 hab., lorsque l’OMS préconise un minimum de
1 lit/10.000 hab. – 20% de la population parcourt 10 km pour atteindre un centre de santé ;
près de 70% en milieu rural.
- Education (nombre d’années d’éducation dont bénéficie un adulte à 25 ans) : 5,5 ans au Maroc, pour une moyenne de 7 ans dans les pays arabes – 7,2 ans en Tunisie.
Le Royaume accuse encore des retards importants en matière d’espérance de vie, où la longévité renvoie à la santé et à la mesure des indicateurs essentiels tels que l’eau potable, le logement décent et les soins médicaux.
- Santé : 7 médecins/10.000 hab. et 0,9 lit/1.000 hab., lorsque l’OMS préconise un minimum de
1 lit/10.000 hab. – 20% de la population parcourt 10 km pour atteindre un centre de santé ;
près de 70% en milieu rural.
- Education (nombre d’années d’éducation dont bénéficie un adulte à 25 ans) : 5,5 ans au Maroc, pour une moyenne de 7 ans dans les pays arabes – 7,2 ans en Tunisie.
- Revenu national brut : 7.340 $/hab. (11.561 $ pour les hommes, 3.197 $ pour les femmes) ;
10.275 $. en Tunisie.
10.275 $. en Tunisie.
Des espaces périphériques laissés-pour-compte
En dehors de l’axe atlantique Tanger El Jadida, les espaces régionaux accusent des retards prononcés en termes d’infrastructures, d’équipements sociaux et d’emploi. Une croissance spatiale différenciée qui fait ressortir des territoires périphériques en marge des régions littorales, des circuits de production et des échanges, caractérisés par des activités économiques précaires et vulnérables au changement climatique.
Ces espaces, dont certains sont enclavés, payent le tribut de l’éloignement des centres de décision et d’une répartition inéquitable des ressources. Au nombre de cinq, il s’agit des régions Drâa-Tafilalet – Béni Mellal-Khénifra – Fès-Meknès – Oriental – Souss-Massa, qui contribuent à 28% du PIB national avec des écarts marquants (Drâa-Tafilalet 2,8% ; Fès-Meknès 8,4%), pour 38% de la population marocaine et 42% du territoire.
Le capital humain révèle des écarts tout aussi forts en matière d’éducation, parent pauvre du développement. Si la durée moyenne d’études pour les plus de 25 ans est passée de 4,4 ans en 2014 à 6,3 en 2024, les cinq régions restent bien en deçà de la moyenne nationale – Béni Mellal-Khénifra 4,9 –, auxquelles s’ajoutent les régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Guelmim-Oued Noun et Marrakech-Safi, posant la question cruciale de la formation et des compétences comme levier de développement.
A cet effet, il est à noter la corrélation entre éducation, taux d’activité et chômage propre aux espaces excentrés, et au sentiment de laissé-pour-compte qui prévaut, particulièrement chez les jeunes.
Indicateur en baisse, le taux d’activité de la population âgée de 15 et plus est passé de 47,6% en 2014 à 41,6% en 2024 avec une disparité de genre (hommes 67,1%, femmes 16,8%), ce qui contribue à placer le Maroc au 5ème groupe mondial parmi les plus faibles taux d’équité (IDH).
Quant au chômage, qui frappe les femmes et les jeunes et facteur d’exode, il est en augmentation de 16,2% en 2014 à 21,3% en 2024, touchant particulièrement les femmes en milieu rural – Béni Mellal-Khénifra 26,8% ; Oriental 30,4%.
Il est à souligner qu’au sein des espaces périphériques existent des richesses, potentiellement sources d’accompagnement, d’ouverture au marché de l’emploi et génératrices de revenus. Les deux régions les plus pauvres, Béni Mellal-Khénifra et Drâa-Tafilalet abritent les bassins miniers ; les gisements de phosphates de Khourigba (premières réserves mondiales) et Drâa-Tafilalet qui abrite des métaux stratégiques – notamment cobalt, cuivre, manganèse, nickel –, dont l’exploitation n’est pas source de réinvestissement et de redistribution à l’échelle locale. Ce qui pose la question des redevances issues des sociétés minières et les dividendes générés par les entreprises publiques.
Ces espaces, dont certains sont enclavés, payent le tribut de l’éloignement des centres de décision et d’une répartition inéquitable des ressources. Au nombre de cinq, il s’agit des régions Drâa-Tafilalet – Béni Mellal-Khénifra – Fès-Meknès – Oriental – Souss-Massa, qui contribuent à 28% du PIB national avec des écarts marquants (Drâa-Tafilalet 2,8% ; Fès-Meknès 8,4%), pour 38% de la population marocaine et 42% du territoire.
Le capital humain révèle des écarts tout aussi forts en matière d’éducation, parent pauvre du développement. Si la durée moyenne d’études pour les plus de 25 ans est passée de 4,4 ans en 2014 à 6,3 en 2024, les cinq régions restent bien en deçà de la moyenne nationale – Béni Mellal-Khénifra 4,9 –, auxquelles s’ajoutent les régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Guelmim-Oued Noun et Marrakech-Safi, posant la question cruciale de la formation et des compétences comme levier de développement.
A cet effet, il est à noter la corrélation entre éducation, taux d’activité et chômage propre aux espaces excentrés, et au sentiment de laissé-pour-compte qui prévaut, particulièrement chez les jeunes.
Indicateur en baisse, le taux d’activité de la population âgée de 15 et plus est passé de 47,6% en 2014 à 41,6% en 2024 avec une disparité de genre (hommes 67,1%, femmes 16,8%), ce qui contribue à placer le Maroc au 5ème groupe mondial parmi les plus faibles taux d’équité (IDH).
Quant au chômage, qui frappe les femmes et les jeunes et facteur d’exode, il est en augmentation de 16,2% en 2014 à 21,3% en 2024, touchant particulièrement les femmes en milieu rural – Béni Mellal-Khénifra 26,8% ; Oriental 30,4%.
Il est à souligner qu’au sein des espaces périphériques existent des richesses, potentiellement sources d’accompagnement, d’ouverture au marché de l’emploi et génératrices de revenus. Les deux régions les plus pauvres, Béni Mellal-Khénifra et Drâa-Tafilalet abritent les bassins miniers ; les gisements de phosphates de Khourigba (premières réserves mondiales) et Drâa-Tafilalet qui abrite des métaux stratégiques – notamment cobalt, cuivre, manganèse, nickel –, dont l’exploitation n’est pas source de réinvestissement et de redistribution à l’échelle locale. Ce qui pose la question des redevances issues des sociétés minières et les dividendes générés par les entreprises publiques.
Le nouveau modèle de développement : une feuille de route toujours d’actualité
Elaboré par une commission pluridisciplinaire en 2021, le Nouveau Modèle de Développement (170 pages) a défini les grandes orientations économiques, sociales, territoriales et institutionnelles fixées par le Maroc à l’horizon 2035 sur la base de quatre axes stratégiques, à savoir une économie productive ; un capital humain renforcé ; des opportunités d’inclusion pour tous ; des territoires résilients, lieux d’ancrages du développement.
Cadre de référence des politiques publiques et de convergence de l’ensemble des acteurs du développement, ce plan national de développement n’est pas mis en œuvre à ce jour, ce qui interpelle sur la responsabilité de la collectivité face aux enjeux et aux défis du développement.
Le Discours royal vient rappeler que la mise en œuvre du Nouveau Modèle de Développement est plus que jamais d’actualité – en termes de programmation, d’exécution et d’accompagnement –, selon un agenda où l’équité territoriale et la réduction des disparités sociales devront figurer parmi les urgences. Au même titre que la valorisation du capital humain et la justice sociale, que la jeunesse marocaine place au rang de ses priorités.
Cette nouvelle dynamique, « en mettant l’humain au cœur des priorités des politiques publiques », saura redonner confiance pour un contrat social au service de la citoyenneté.
Par Monceyf Fadili
Cadre de référence des politiques publiques et de convergence de l’ensemble des acteurs du développement, ce plan national de développement n’est pas mis en œuvre à ce jour, ce qui interpelle sur la responsabilité de la collectivité face aux enjeux et aux défis du développement.
Le Discours royal vient rappeler que la mise en œuvre du Nouveau Modèle de Développement est plus que jamais d’actualité – en termes de programmation, d’exécution et d’accompagnement –, selon un agenda où l’équité territoriale et la réduction des disparités sociales devront figurer parmi les urgences. Au même titre que la valorisation du capital humain et la justice sociale, que la jeunesse marocaine place au rang de ses priorités.
Cette nouvelle dynamique, « en mettant l’humain au cœur des priorités des politiques publiques », saura redonner confiance pour un contrat social au service de la citoyenneté.
Par Monceyf Fadili