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Le Maroc en quête d'une égalité budgétaire ambitieuse


Rédigé par le Mardi 22 Octobre 2024

Depuis plusieurs décennies, le Maroc s’efforce de répondre à une ambition majeure : l’instauration d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes. L’un des outils centraux de cette démarche est la Budgétisation Sensible au Genre (BSG), une approche qui vise à garantir que les ressources publiques soient allouées de manière à corriger les déséquilibres entre les sexes. Le Rapport sur le Budget axé sur les Résultats tenant compte de l’aspect Genre (RBG) 2025 publié récemment marque une nouvelle étape dans cette démarche ambitieuse, mais suscite aussi des questions quant à son impact réel et ses limites.



Le Maroc en quête d'une égalité budgétaire ambitieuse
Ce rapport met en lumière l’engagement du Royaume à travers un ensemble d’initiatives et d’outils destinés à promouvoir l’égalité de genre dans la gestion des finances publiques. Cependant, bien que ce document soit un témoignage de progrès indéniables, il soulève aussi des interrogations sur l’opérationnalité concrète de la BSG et les défis qu’elle continue de poser.
 

Le Maroc à l’avant-garde de la budgétisation sensible au genre

La Budgétisation Sensible au Genre, adoptée au Maroc depuis 2002, est une stratégie novatrice qui intègre la dimension genre dans les plans budgétaires et les politiques publiques. Elle vise à s’assurer que les programmes financés par l’État bénéficient équitablement aux hommes et aux femmes. En d’autres termes, la BSG ne consiste pas simplement à allouer des fonds spécifiques pour les femmes, mais à intégrer une perspective de genre dans l’ensemble du processus budgétaire afin de garantir que les inégalités structurelles soient abordées de manière systémique.

Le Rapport RBG 2025 est un document stratégique qui non seulement évalue les actions entreprises pour l’intégration de la dimension genre dans les finances publiques, mais propose également un système de marquage des budgets pour suivre et améliorer l’impact des dépenses allouées à l’égalité des sexes.

Cette initiative s’inscrit dans la continuité des réformes précédentes, comme la promulgation du Code de la Famille en 2004 et l’adoption de la Constitution de 2011, qui consacre explicitement le principe de parité.

Les innovations méthodologiques : un levier pour plus de transparence

L’une des grandes nouveautés du RBG 2025 est l’introduction d’une méthodologie de marquage des dépenses. Ce système permet de tracer les budgets alloués à la réduction des inégalités de genre, garantissant ainsi une meilleure transparence. La méthodologie repose sur une évaluation progressive des programmes et projets ministériels selon leur impact sur l’égalité des sexes.

Chaque projet est noté selon une grille à trois niveaux :
 
  • CAD 0 (aucun impact direct sur l’égalité de genre),
  • CAD 1 (impact significatif mais non prioritaire),
  • CAD 2 (impact principal et priorité élevée pour l’égalité de genre).
Cette approche s’inspire des pratiques internationales, notamment des systèmes développés par l’OCDE, et vise à rendre plus visible la manière dont les budgets publics sont utilisés pour corriger les inégalités entre hommes et femmes. En renforçant la traçabilité des dépenses publiques, le gouvernement marocain espère mieux aligner ses engagements en matière de genre avec les ressources mobilisées.

​Des résultats encourageants, mais limités

Le rapport souligne les progrès accomplis par plusieurs ministères, notamment ceux de l’Éducation nationale, de la Santé et de l’Inclusion économique.

Par exemple, le Ministère de l’Éducation nationale a intégré des initiatives visant à réduire l’écart entre les sexes en matière d’accès à l’éducation, notamment dans les zones rurales, où les filles sont souvent défavorisées. De même, le Ministère de la Santé a lancé des programmes spécifiques pour améliorer la santé reproductive et la lutte contre les violences basées sur le genre, des priorités majeures dans la stratégie d’égalité de genre du pays.

Cependant, malgré ces avancées, les résultats restent limités dans certains secteurs. Le rapport lui-même reconnaît que la budgétisation sensible au genre n’est pas systématiquement appliquée dans tous les départements ministériels.

Certains ministères peinent encore à intégrer pleinement cette méthodologie dans leur processus budgétaire, ce qui freine l’impact global de la BSG.

De plus, l’absence d’une culture de l’évaluation rigoureuse et la dépendance excessive aux financements externes pour certains projets posent des défis supplémentaires.

Une démarche encadrée mais encore fragmentée

Malgré les progrès réalisés, le Rapport RBG 2025 met en lumière plusieurs défis importants pour assurer une mise en œuvre plus large et efficace de la BSG.

L’un des principaux obstacles est l’hétérogénéité des pratiques entre les ministères. Si certains secteurs, comme l’éducation et la santé, ont bien intégré la BSG dans leurs politiques, d’autres départements demeurent en retrait.

Ce manque d’harmonisation rend difficile une évaluation globale cohérente. Le rapport souligne que la réussite de la BSG dépend en grande partie de la capacité des ministères à mener des analyses genre sectorielles et à utiliser ces analyses pour guider leurs politiques. Or, ces capacités restent inégales d’un ministère à l’autre. En outre, la collecte et l’utilisation de données désagrégées par sexe restent une problématique récurrente qui limite l’efficacité des actions entreprises.

L’une des critiques qui peut être formulée à l’égard de la méthodologie de marquage est qu’elle risque de se transformer en un exercice bureaucratique sans réel impact sur le terrain. Si les ministères se contentent de marquer les budgets sans réelles actions transformatrices, les inégalités structurelles entre les sexes pourraient perdurer, malgré les avancées budgétaires.

Un alignement nécessaire avec les priorités internationales

Le Maroc, en alignant ses pratiques budgétaires avec des engagements internationaux comme l’Agenda 2030 pour le Développement durable, entend jouer un rôle de modèle régional en matière d’égalité de genre. L’Objectif de Développement Durable (ODD) 5, qui prône l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes et des filles, est l’un des moteurs de cette dynamique.

Cependant, un décalage persistant entre les engagements internationaux et les réalités sur le terrain au Maroc demeure. Le Rapport RBG 2025 met en lumière cette difficulté : bien que les stratégies soient en place et que des ressources soient allouées, l’égalité de genre reste un objectif partiellement atteint.

L’une des raisons de ce décalage réside dans la complexité de la mise en œuvre de ces politiques. Les inégalités de genre sont profondément enracinées dans des structures sociales, économiques et culturelles qui ne peuvent être réformées uniquement par des changements budgétaires. Il est donc nécessaire d’accompagner ces efforts financiers par des réformes institutionnelles, ainsi que des campagnes de sensibilisation à grande échelle, pour changer les mentalités.

Une approche prometteuse mais encore insuffisante

Bien que le Rapport RBG 2025 souligne des progrès indéniables, il reste encore beaucoup à faire pour transformer ces acquis en un véritable changement sociétal. L’intégration du genre dans les finances publiques est un processus complexe qui nécessite une coordination intersectorielle plus rigoureuse et des mécanismes de suivi plus précis.

L’une des critiques majeures concerne la disparité des résultats entre les différents secteurs. Certains départements, comme ceux de la santé et de l’éducation, sont sur la bonne voie, mais d’autres peinent encore à adopter cette approche. De plus, la capacité des ministères à mener des analyses genre sectorielles reste inégale, ce qui freine la mise en œuvre d’actions concrètes.

Enfin, la méthodologie de marquage des budgets, bien qu’elle favorise la transparence, pourrait devenir une simple formalité si elle n’est pas accompagnée d’une véritable volonté de transformation. La mise en place de systèmes de suivi plus stricts, ainsi que d’audits indépendants réguliers, est indispensable pour garantir que les fonds alloués à la promotion de l’égalité de genre soient utilisés efficacement.

Le Rapport sur le Budget axé sur les Résultats tenant compte de l’aspect Genre (RBG) 2025 est une étape importante dans la trajectoire du Maroc vers une égalité de genre plus substantielle. Il met en lumière des progrès significatifs et propose des outils novateurs pour une meilleure gestion des finances publiques.

Cependant, il reste des défis à relever, notamment en termes de mise en œuvre harmonieuse entre les différents départements ministériels et de suivi rigoureux des actions entreprises. Pour que la Budgétisation Sensible au Genre devienne un véritable levier de transformation sociale, il est nécessaire que le Maroc renforce sa capacité à intégrer cette approche de manière systématique dans l'ensemble de ses politiques publiques. Seule une approche cohérente et inclusive  pourra assurer que l'égalité de genre ne soit pas qu'un voeu pieux, mais une réalité tangible pour toutes les Marocaines et tous les Marocains.

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Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC. Dompteuse de mots, je jongle avec... En savoir plus sur cet auteur
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