Dans son analyse du dernier discours royal, Adnan Debbarh met en lumière un tournant historique
Adnan DEBBARH
Celui d’un Maroc qui passe du verbe à l’action, de la proclamation à la livraison. Le Souverain redéfinit la modernité de l’État par la gouvernance, non plus comme simple posture technocratique, mais comme culture de la performance, de la transparence et de la reddition des comptes. Ce changement de paradigme place la compétence au cœur de la légitimité et fait de la mesure des résultats un nouvel acte de souveraineté.
Il arrive dans la vie d’un État que les mots cessent d’être des formules et deviennent des lignes de force. Le dernier discours royal appartient à cette catégorie rare : il ne commente pas une conjoncture, il la clôt ; il ne réagit pas, il redéfinit. Depuis plus de deux décennies, le Maroc s’est modernisé par les structures : infrastructures, chantiers sociaux, stratégies sectorielles. Mais cette modernisation, pour puissante qu’elle fût, n’avait pas encore trouvé son langage interne. Le pays changeait sans que l’État ne change de logique. Le discours du Roi marque la fin de cette disjonction : il transforme la vision en méthode, l’intention en système.
Ce n’est plus une exhortation, mais un réarmement conceptuel de l’action publique. L’époque des politiques cumulatives, où chaque ministère ajoutait sa strate de réformes sans architecture d’ensemble, touche à son terme. Ce que le Souverain introduit, c’est l’idée d’un État qui se pense et s’évalue, qui ne parle plus au nom du bien mais au nom du résultat.
Il arrive dans la vie d’un État que les mots cessent d’être des formules et deviennent des lignes de force. Le dernier discours royal appartient à cette catégorie rare : il ne commente pas une conjoncture, il la clôt ; il ne réagit pas, il redéfinit. Depuis plus de deux décennies, le Maroc s’est modernisé par les structures : infrastructures, chantiers sociaux, stratégies sectorielles. Mais cette modernisation, pour puissante qu’elle fût, n’avait pas encore trouvé son langage interne. Le pays changeait sans que l’État ne change de logique. Le discours du Roi marque la fin de cette disjonction : il transforme la vision en méthode, l’intention en système.
Ce n’est plus une exhortation, mais un réarmement conceptuel de l’action publique. L’époque des politiques cumulatives, où chaque ministère ajoutait sa strate de réformes sans architecture d’ensemble, touche à son terme. Ce que le Souverain introduit, c’est l’idée d’un État qui se pense et s’évalue, qui ne parle plus au nom du bien mais au nom du résultat.
Ce basculement est d’une portée historique :
Il consacre l’entrée du Maroc dans l’ère de la gouvernance, non plus comme un emprunt rhétorique, mais comme une forme indigène de rationalité politique. Pourquoi ce tournant maintenant ? Parce que le réel, lui, a déjà changé. La société marocaine, urbaine, connectée, instruite, n’attend plus des institutions des promesses, mais des preuves. L’administration, elle, reste souvent fidèle à la culture du dossier et de la dérogation, à ce vieux réflexe d’attente du “top-down”. Ce décalage n’est plus soutenable. Il ne menace pas seulement l’efficacité de l’action publique : il fragilise la légitimité même de l’État.
L’exigence nouvelle n’est pas morale, elle est systémique. Elle découle d’abord de la souveraineté économique : dans un monde où les décisions industrielles se jouent à la semaine, l’État marocain ne peut plus répondre au rythme du siècle dernier. L’investissement, qu’il vienne d’un opérateur national ou d’un partenaire étranger, ne peut plus être otage d’une signature qui tarde, d’un circuit de validation interminable, d’un fonctionnaire paralysé par la peur de décider.
Ce que le Roi nomme “changement de mentalités” n’est pas un vœu, c’est une condition de puissance : sans agilité administrative, il n’y a plus de souveraineté réelle.
L’exigence nouvelle n’est pas morale, elle est systémique. Elle découle d’abord de la souveraineté économique : dans un monde où les décisions industrielles se jouent à la semaine, l’État marocain ne peut plus répondre au rythme du siècle dernier. L’investissement, qu’il vienne d’un opérateur national ou d’un partenaire étranger, ne peut plus être otage d’une signature qui tarde, d’un circuit de validation interminable, d’un fonctionnaire paralysé par la peur de décider.
Ce que le Roi nomme “changement de mentalités” n’est pas un vœu, c’est une condition de puissance : sans agilité administrative, il n’y a plus de souveraineté réelle.
Mais l’exigence est aussi sociale.
Le pacte citoyen se fissure lorsqu’un jeune diplômé perçoit l’État non comme un levier d’émancipation, mais comme un labyrinthe d’inefficacités. La gouvernance moderne n’est donc pas un luxe technocratique, elle est un instrument de justice. C’est par la donnée, par la transparence et par la redevabilité que l’État peut regagner la confiance des citoyens. La performance n’est pas l’ennemie de la morale publique ; elle en est le prolongement concret. La modernité politique n’est pas affaire de discours, mais de méthode.
Là où l’ancien modèle procédait par annonces et programmes, le nouveau commence par tableaux de bord et contrats d’objectifs. Là où l’on célébrait l’intention, on exigera désormais la livraison. Pour saisir ce glissement, il suffit d’imaginer une scène ordinaire : un projet de dispensaire dans un douar. Avant, le ministre annonçait, la presse relayait, les fonds étaient votés. Puis le temps s’allongeait : études, appels d’offres, lenteurs administratives.
Deux ans plus tard, le dispensaire était inaugurée, hors délai et hors budget, sans évaluation ni responsable désigné.
Là où l’ancien modèle procédait par annonces et programmes, le nouveau commence par tableaux de bord et contrats d’objectifs. Là où l’on célébrait l’intention, on exigera désormais la livraison. Pour saisir ce glissement, il suffit d’imaginer une scène ordinaire : un projet de dispensaire dans un douar. Avant, le ministre annonçait, la presse relayait, les fonds étaient votés. Puis le temps s’allongeait : études, appels d’offres, lenteurs administratives.
Deux ans plus tard, le dispensaire était inaugurée, hors délai et hors budget, sans évaluation ni responsable désigné.
Demain, si la parole royale devient système, tout change :
Le projet entre dans le tableau de bord régional, un chef de projet est nommé, les indicateurs sont publics. Si le résultat est atteint, il y a reconnaissance ; sinon, réaffectation. Ce n’est plus une chaîne hiérarchique, mais un cycle de responsabilité. Le discours royal ouvre cette révolution silencieuse : celle de la reddition des comptes comme langage ordinaire de l’État. Mais la gouvernance ne se décrète pas. Elle s’apprend, elle se vit, elle se prouve.
Et c’est ici que commence la vraie bataille : celle de la culture administrative, celle des réflexes, des carrières, des habitudes. Le Maroc ne manque ni de stratégies ni de moyens ; il manque d’une grammaire de l’action qui fasse converger les institutions vers un même horizon : le résultat.
Et c’est ici que commence la vraie bataille : celle de la culture administrative, celle des réflexes, des carrières, des habitudes. Le Maroc ne manque ni de stratégies ni de moyens ; il manque d’une grammaire de l’action qui fasse converger les institutions vers un même horizon : le résultat.
Toute mutation politique se heurte à ses gardiens invisibles :
Habitudes, réflexes, conforts de pensée. La nouvelle gouvernance que le Roi appelle de ses vœux n’a pas d’ennemis déclarés ; elle affronte une armée de routines. La première résistance est culturelle : elle tient à une certaine idée de l’autorité, héritée du temps où l’obéissance valait compétence. Dans ce modèle ancien, décider, c’était appliquer ; réussir, c’était durer. Or, la gouvernance moderne renverse cet ordre symbolique : décider, c’est assumer ; réussir, c’est prouver. Elle introduit une insécurité salutaire : celle de la mesure et de la reddition des comptes.
Ce n’est plus la loyauté statutaire qui protège, mais la performance réalisée. Beaucoup devront désapprendre avant d’apprendre ; c’est ce que le Souverain désigne, avec justesse, comme un “changement significatif des mentalités”. La seconde résistance est plus subtile : la théâtralisation du changement. Le Maroc connaît bien ce réflexe : adopter la terminologie de la réforme sans en changer les pratiques. Créer des comités qui ne se réunissent pas, des tableaux de bord sans indicateurs, des stratégies qui s’achèvent là où elles commencent : sur la page PowerPoint. C’est le risque majeur de toute modernisation par décret.
La vraie réforme n’est pas de langage, elle est de comportement. Elle suppose que le haut fonctionnaire, le président de région, le directeur d’agence publique acceptent de se voir évalués non sur leur fidélité, mais sur leur impact. C’est un basculement anthropologique : passer d’un État de procédures à un État de résultats.
Cette transition demande des outils, mais surtout des hommes.
Car sans une haute fonction publique refondée sur le mérite et la mobilité, la nouvelle gouvernance restera une idée suspendue. Lier la carrière à la performance, ouvrir les trajectoires, instituer la rotation entre administration centrale et territoires : voilà le cœur du changement de logiciel. La souveraineté de la compétence n’est pas une métaphore ; c’est la nouvelle Constitution silencieuse de l’État. Mais aucune constitution, fût-elle silencieuse, ne vit sans incarnation. Les institutions ne se transforment que lorsque les hommes acceptent de se transformer eux-mêmes.
Cette mutation n’est pas née d’un discours ; elle y trouve seulement son expression la plus claire. Le verbe royal ne crée pas la réforme : il la révèle, il l’élève à la conscience du pays. Ce moment de parole agit comme une cristallisation, celle d’une attente diffuse devenue exigence d’État, celle d’un désir collectif d’efficacité devenu norme politique. Ce discours royal n’est pas un texte de circonstance, c’est un acte de refondation. Il consacre la fin d’une époque où gouverner consistait à annoncer, pour entrer dans celle où gouverner consistera à livrer.
Il ne parle pas de changement de ton, mais de changement de temps : celui du résultat, de la mesure et de la transparence. Ce qu’il engage, c’est une réforme continue du rapport entre le citoyen et l’État, une refondation du contrat moral sur des bases de responsabilité partagée.
Cette mutation n’est pas née d’un discours ; elle y trouve seulement son expression la plus claire. Le verbe royal ne crée pas la réforme : il la révèle, il l’élève à la conscience du pays. Ce moment de parole agit comme une cristallisation, celle d’une attente diffuse devenue exigence d’État, celle d’un désir collectif d’efficacité devenu norme politique. Ce discours royal n’est pas un texte de circonstance, c’est un acte de refondation. Il consacre la fin d’une époque où gouverner consistait à annoncer, pour entrer dans celle où gouverner consistera à livrer.
Il ne parle pas de changement de ton, mais de changement de temps : celui du résultat, de la mesure et de la transparence. Ce qu’il engage, c’est une réforme continue du rapport entre le citoyen et l’État, une refondation du contrat moral sur des bases de responsabilité partagée.
Le Maroc entre dans un moment décisif de son histoire :
Celui où la modernité n’est plus un horizon de discours, mais une exigence de fonctionnement. Chaque hôpital livré, chaque école tenue dans les délais, chaque administration digitalisée devient un acte de souveraineté autant qu’un geste de justice. Là se joue désormais la légitimité politique : dans la qualité du service rendu, non dans l’ampleur des slogans.
L’État marocain est comme un pont suspendu entre deux ères : d’un côté, les câbles solides de la tradition et de la stabilité ; de l’autre, la rive incertaine de l’avenir et de ses exigences. Pour que le tablier tienne, il faut une structure souple : celle de la gouvernance moderne, capable d’encaisser les vents du monde et les secousses du temps sans rompre son ancrage.
Le Roi a choisi de tendre ce pont, mais c’est à toute la société de le franchir. La réforme ne réussira pas par décret, mais par appropriation. Si la volonté royale trace la direction, l’élan collectif doit en faire la trajectoire. C’est à ce prix que le Maroc accomplira sa vraie modernité : celle de l’efficacité juste.
PAR ADNAN DEBBARH/QUID.MA