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Le Maroc face à son miroir civique : un peuple indiscipliné ?

Le miroir inquiétant du comportement des Marocains dans l’espace public


le Vendredi 1 Août 2025



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Et si le plus grand chantier du Maroc n’était ni un port, ni une autoroute, ni un stade flambant neuf… mais le respect de l’espace public ? C’est en tout cas ce que suggère, sans ambages, l’étude récemment publiée par le Centre Marocain pour la Citoyenneté (CMC). À quelques années de l’organisation de la Coupe du Monde 2030, le rapport met à nu un constat alarmant : le comportement civique des Marocains dans l’espace public est jugé largement insuffisant par les citoyens eux-mêmes.

​Le malaise du quotidien : incivilités, irrespect et désengagement

Sur les 1173 Marocains ayant répondu au sondage du CMC, seuls 2,9 % estiment que le niveau de civisme est élevé dans l’espace public. Une majorité relative (39,5 %) parle d’un niveau “moyen”, mais 57,6 % le jugent carrément faible ou très faible.

Ce n’est pas un simple état d’âme : c’est un constat lourd, collectif, lucide. Qu’il s’agisse de la politesse, du respect des règles de circulation, de la propreté ou des rapports entre citoyens, le sentiment dominant est celui d’une régression.

Un Marocain sur deux reconnaît même avoir dû intervenir, à plusieurs reprises, pour corriger un comportement incivique. Et quand le besoin de rappeler à l’ordre devient la norme… c’est que la norme ne fonctionne plus.

​Une société où les règles ne s’appliquent qu’aux autres ?

L’un des enseignements les plus marquants du rapport, c’est l’écart entre la conscience des valeurs et leur application. En théorie, le Maroc est une société attachée aux notions de respect, de hiérarchie, d’hospitalité. Mais dans la pratique quotidienne, ces repères s’effritent.

L’indiscipline n’est pas seulement routière ou sonore. Elle est aussi sociale : on s’assoit sur les trottoirs, on crie au téléphone, on jette les ordures sans gêne, on gruge dans les files, on parle fort dans les cafés et les bus. Tout se passe comme si le collectif avait cessé d’exister, comme si l’espace public était devenu un territoire sans responsabilité partagée.

Cette fracture ne relève pas d’un effondrement soudain, mais d’une érosion lente de la régulation sociale, aggravée par l’urbanisation rapide, l’individualisme croissant, et l’absence de sanctions visibles.

​Un civisme de façade ou d’occasion

Le paradoxe, c’est que les Marocains savent parfaitement ce qu’est le comportement civique attendu. Ils le pratiquent… à l’étranger. Demandez à un Marocain vivant à Paris, Montréal ou Doha : il vous racontera comment, là-bas, il respecte les règles, traverse sur les passages piétons, trie ses déchets et baisse le ton dans les lieux fermés.

Pourquoi ce double standard ? Parce que dans ces contextes, le civisme est imposé, encadré, contrôlé, parfois de manière contraignante. Au Maroc, l’impunité crée un climat d’indulgence généralisée. On sait que l’on ne sera pas sanctionné pour avoir fraudé dans le bus, jeté une canette au sol, ou fait preuve d’agressivité dans une file d’attente.

​L’État absent ou complice ?

Le rapport du CMC est sans complaisance à l’égard des pouvoirs publics. 52,9 % des répondants estiment que l’État ne fait rien pour promouvoir le civisme, et 45,2 % jugent ses actions “insuffisantes”. Dans les rues, les cafés, les plages ou les jardins, le manque d’agents, de contrôles, de signalétique claire ou d’outils de sensibilisation est criant.

Ce vide laisse le champ libre à toutes les dérives. Et plus le citoyen se sent seul à faire l’effort, plus il s’en abstient. La démission de l’autorité favorise la déresponsabilisation. Le “laisser-faire” devient un mode de vie.

​Faut-il un choc civique ?

Certains voient dans l’organisation du Mondial 2030 un potentiel électrochoc. Un événement qui obligerait le pays à se regarder dans le miroir, à faire sa toilette collective, à changer durablement. Mais 36,7 % des sondés pensent que cet impact sera très limité, voire cosmétique. Et plus de 32 % jugent que cela n’aura aucun effet sur les comportements quotidiens.

Un Mondial peut nettoyer les murs, repeindre les façades, poser des fleurs en plastique. Mais il ne peut pas à lui seul reprogrammer une culture civique affaiblie par des décennies de désengagement collectif.

​Refonder le pacte social, pas repeindre la vitrine

Le vrai chantier est ailleurs. Dans l’école. Dans la famille. Dans la rigueur de l’exemple. La majorité des participants désigne l’éducation familiale (80 %) comme premier levier de changement, suivie de l’école (59,7 %) et de l’application ferme de la loi (54,9 %).

Il ne s’agit pas d’inventer des slogans, mais de créer des routines collectives, visibles, contraignantes mais justes. Apprendre à faire la queue. À dire bonjour. À ne pas insulter. À respecter un arrêt de bus comme on respecte un lieu sacré.

​le civisme, miroir d’un pays en transition

L’indiscipline généralisée n’est pas un détail : elle est le reflet d’un malaise plus profond. Celui d’un pays en tension entre traditions morales et modernité urbaine, entre vertus proclamées et incivilités pratiquées.

Dans un monde où l’image compte autant que l’identité, le Maroc n’a pas seulement besoin de stades et de trains. Il a besoin d’un choc d’éducation civique, porté par une volonté politique forte, relayée par des familles, des écoles et des médias mobilisés. Car sans respect du commun, il n’y a ni cohésion, ni attractivité, ni futur vivable.




Vendredi 1 Août 2025